15 octobre 2020
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Fondateur de l’ONG BarakaCity, Idriss Sihamedi, très suivi sur les réseaux sociaux, s’est lancé depuis la rentrée dans une offensive contre le projet de loi sur le séparatisme. Ce mercredi matin, les locaux de BarakaCity ainsi que le domicile de son président ont été perquisitionnés. Sihamedi a été arrêté, accusé de harcèlement sur Twitter, après avoir dévoilé des informations d’ordre privé concernant l’ex-journaliste de Charlie Zineb El Rhazoui. Portrait d’un « néo-salafiste ».
Par Laure Daussy
Le hashtag « Soutien BarakaCity » était en tête sur Twitter toute la matinée, signe de son influence sur le web auprès de certains militants fondamentalistes ou indigénistes. Ce mercredi matin, les locaux de BarakaCity ont été perquisitionnés et son président, Idriss Sihamedi arrêté. L’avocat de l’association, Me Samim Bolaky, dénonce des « violences policières très lourdes ». Les vidéos des locaux après la perquisition ont été relayées sur le compte Twitter de l’association et l’on voit des portes et des caméras de surveillance cassées. « Des lits retournés, table cassée, paniers et linge retourné. La police a empêché à l’épouse du président Idriss Sihamedi de s’habiller et de couvrir d’une couette son fils de 4 ans qui dormait avec elle », peut-on lire également sur le compte Twitter de BarakaCity. « La chasse aux musulmans est lancé », ajoutent-ils sur Facebook. Idriss Sihamedi est poursuivi pour avoir dévoilé dans une série de tweets des informations d’ordre privé au sujet de l’ex-journaliste de Charlie Hebdo Zineb El Rhazoui, qui a déposé plainte.
Le journaliste et fondateur de @Barakacity a subi de lourdes violences policières lors de la perquisition de son domicile ce matin. Le siège de l’ONG a été également saccagé lors d’une perquisition.
L’État se venge d’@IdrissSihamedi après #ZinebElRhazouiGate #soutienbarakacity pic.twitter.com/QA7kXk9DTN— Dômes & Minarets 🧕 (@domes_minarets) October 14, 2020
Si la perquisition était aussi musclée, c’est aussi probablement parce que Idriss Sihamedi a lui-même lancé une offensive contre la loi sur le séparatisme. Il a organisé, au siège de BarakaCity ce qu’il a appelé des « réunions de crise », « afin de mettre en place des dispositifs appropriés permettant de stopper la chasse aux musulmans lancée par Gérald Darmanin et Marlène Schiappa ». Il évoquait carrément une « résistance » : « Nos objectifs sont clairs : parasiter ces manœuvres politiques visant à neutraliser les musulmans, sécuriser la communauté musulmane, rendre indépendant les lieux de cultes et les imams. Mettre en place une résistance acharnée sur tous les fronts, tous les niveaux par tout le monde ! ».
Idriss Sihamedi veut se présenter comme rassemblant sous sa bannière la communauté musulmane (comme si tous les musulmans se reconnaissaient dans un énergumène qui ne sert pas la main aux femmes). Il a tenté de tracer des ponts avec la mouvance indigéniste, invitant Houria Bouteldja, fondatrice des Indigènes de la République, à le rejoindre, via Twitter. Il avait même annoncé qu’il allait rencontrer des députés LREM opposés à la loi sur le séparatisme. Mais était-ce du bluff ? Jusque-là, il n’a reçu aucun soutien politique affiché. Suite à son arrestation, on constate des soutiens de la mouvance issue du CCIF, Collectif contre l’islamophobie en France, comme son président Marwan Mohammed ou encore Siham Assbague, créatrice du collectif « Stop le contrôle au faciès », à l’origine de camps d’été décoloniaux. Un rassemblement de soutien à Sihamedi a été lancé devant le commissariat d’Evry-Courcouronnes, mercredi 14 octobre. « Mobilisons-nous pacifiquement », est-il précisé.
⚡️ 🇫🇷 [ URGENT ] En SOUTIEN à @Barakacity et à @IdrissSihamedi : Mobilisons nous PACIFIQUEMENT ⤵#soutienbarakacity #soutienIdrissSihamedi pic.twitter.com/166Oun8v5B
— [ Lies Breaker ] (@Lies_Breaker) October 14, 2020
Mais qui est donc Idriss Simahedi ? Il réfute dans plusieurs interviews le terme de « salafiste ». Pourtant, ses prises de positions le classent sans aucun doute du côté des fondamentalistes. Au début de la crise du Covid, il se réjouissait : « C’est la première fois de ma vie que je peux dire à une femme qui veut me serrer la main ‘non’ dans la joie et la bonne humeur. Ça fait bizarre de voir que des choses halal deviennent normales ».
Plus récemment, il a défendu la polygamie, en la mettant sur le même plan que l’adultère. « Pour rappel : la polygamie en islam est le fait d’avoir plusieurs femmes ayant les mêmes droits, statuts que la première épouse. Sans cachotteries. L’inverse de ce que beaucoup d’hommes politiques ont fait et continuent sûrement de faire. » Une défense d’autant plus drôle quand on relit ce tweet de 2015 : « Que notre jeunesse prenne garde à la fornication. Si Allah l’a interdit c’est assurément pour préserver l’honneur et la société ». Et pour couronner ce beau programme de vie, rappelons qu’en 2016, il rechignait sur le plateau de Canal + à condamner Daech. Sur le même plateau, il avait fait parler de lui lorsqu’il avait refusé de serrer la main de Najat Vallaud-Belkacem (alors ministre de l’Éducation nationale).
Pour des spécialistes des mouvement islamistes comme Bernard Godard, Sihamedi peut être qualifié de « néo-salafiste » : il ne prône ni le quiétisme, ni la violence contrairement aux salafistes « classiques », mais souhaite participer au débat public en y faisant influer ses idées.
Idriss Sihamedi est donc un néo-salafiste qui expose tweet après tweet ses préceptes sur les réseaux sociaux. Son influence est loin d’être négligeable. Sur son compte Twitter – où il se présente comme journaliste et « lanceur d’alerte » ! – il compte 32 000 followers. Et 42 000 sur Facebook. Le compte de Barakacity est encore plus suivi : 700 000 abonnés sur Facebook. On voit, dans la masse de réaction ce matin, que l’ONG a une puissance de mobilisation importante.
BarakaCity, présentée sur son site comme « une association humanitaire qui vient en aide aux populations démunies partout dans le monde » s’était illustrée notamment dans l’aide aux Rohingyas en Birmanie, mais aussi par des interventions au Bangladesh, en Syrie, à Gaza ou au Togo. Ses locaux, immenses, de 1000 m2, se situent dans la Zone d’activité d’Évry-Courcouronnes. Francis Chouat, député de cette circonscription de l’Essonne souligne : « Il y a quelques années, Baraka City était avant tout perçue comme une association humanitaire. Beaucoup s’étaient laissés prendre au piège. À tel point que dans ma propre équipe municipale, certains voulaient les soutenir. Mais les propos d’Idriss Sihamedi sur Twitter ont permis de montrer qui ils sont vraiment ». D’ailleurs, dans une enquête réalisée par Streetpress, Sihamedi expliquait : « Nous avons un rôle politique (…). Il est aujourd’hui de notre devoir de prendre position dans certains conflits, d’interpeller les politiques et d’amener le débat sur table. »
Sur le plateau de Canal+ en 2016, Sihamedi n’avait condamné qu’à demi-mot Daech. Mais a-t-il eu des liens avec le terrorisme ? Baraka City avait affiché sa proximité avec l’association Sanabil, association d’aide aux détenus qui, en réalité, était proche de terroristes et avait été dissoute par Bernard Cazeneuve. « Nous remercions l’association Sanabil qui nous a permis d’approcher des victimes. Et une grande pensée pour son président lui-même victime » avait alors twitté Baraka City en 2015. Mais lorsqu’elle organisait des voyages humanitaires en Syrie, l’ONG prenait bien soin de transmettre aux services de police les pièces d’identités des participants pour montrer patte blanche. Le président de BarakaCity se targuait même… d’empêcher des jeunes de partir faire le djihad, soulignant qu’« à plusieurs reprises », il a « repêché des gars venus [le] voir pour partir à Raqqa ».
BarakaCity a fait l’objet de perquisitions en 2015 et en 2017, sans qu’il n’y ait aucune suite. En 2015, c’était suite au survol sans autorisation d’un drone qui filmait le départ d’un convoi d’ambulances pour la Syrie. En 2017, une enquête était confiée à la sous-direction antiterroriste (Sdat) et l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière pour des soupçons de financement du terrorisme. Les investigations portaient sur des transferts de dons à l’étranger. L’enquête a finalement été classée sans suite en 2019. Fiché S, Sihamedi est en tout cas toujours suivi par les renseignements, notamment, selon nos informations, par des organes de renseignement économique. Les fonds de son association sont considérables : elle aurait reçu, depuis 2013, 16 millions d’euros. Parmi ses soutiens financiers, des footballeurs de la Ligue 1, mais aussi les rappeurs Rohff ou La Fouine.
BarakaCity avait poursuivi ses activités « humanitaires » pendant le Covid : ainsi, tout en se réjouissant de ne pas serrer la main des femmes grâce à la pandémie, Idriss Sihamedi distribuait des masques auprès d’hôpitaux pendant le confinement.
Sihamedi est en tout cas caractéristique de ces nouveaux leaders de l’islam fondamentaliste qui associe humanitaire, fibre sociale et mobilisation identitaire et religieuse. Comme Tarik Ramadan a perdu de sa superbe depuis ses mises en examen, une place était à prendre.
Nous avions commencé ce « portrait » avant son arrestation, nous aurions voulu lui poser quelques questions, mais, dès que nous avons commencé à le suivre sur Twitter pour le contacter, il s’est empressé de nous bloquer. Dommage, on ne va plus pouvoir lire ses préceptes salafistes."
Lire "Mais qui est Idriss Sihamedi, l’influenceur fondamentaliste qui vient d’être arrêté ?"
Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique BarakaCity dans Islamisme (note du CLR).
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