(lepoint.fr , 20 juin 24). Pierre-André Taguieff, philosophe, politiste et historien des idées 22 juin 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Le Nouveau Front populaire propose « un programme totalement immigrationniste », a estimé mardi 18 juin Emmanuel Macron, en marge d’un déplacement à l’île de Sein, dans le Finistère. Cette déclaration n’a pas manqué de faire réagir le bloc de gauche, dominé par La France insoumise (LFI), pour qui cette affirmation relève de la rhétorique de l’extrême droite. Le Point a contacté Pierre-André Taguieff, philosophe et historien des idées, qui resitue la définition de ce concept polémique et passe au tamis la déclaration du président. Verdict.
Lire "Macron, « l’immigrationnisme » et LFI : la réponse de Pierre-André Taguieff".
Le Point : Qu’est-ce que l’immigrationnisme ?
Pierre-André Taguieff : Il s’agit d’une croyance idéologique selon laquelle l’immigration est un processus à la fois inéluctable et intrinsèquement positif. Il découle de cette croyance fataliste et optimiste, variante de la gnose progressiste, une vision adaptationniste de la politique reposant sur une utopie messianique qui est celle de l’unification du genre humain, par-delà les nations, les frontières et les barrières civilisationnelles.
L’immigration, selon les partisans de cette conception providentialiste sommaire, est considérée d’une façon angélique comme un processeur salvateur, producteur de croissance et de rajeunissement des populations européennes vieillissantes, à commencer par celle de la France. Dans cette perspective, la lutte contre le déclin démographique ne passe pas par des mesures favorisant la natalité, mais par l’appel à l’immigration, considérée comme un remède miracle.
L’emploi de ce terme est pour le moins connoté…
Tout dépend de la charge morale qu’on y projette. Pour la bien-pensance de gauche, s’inspirant d’un antiracisme moralisant, les principes de l’ouverture à l’autre, de l’accueil de l’autre et de la compassion non sélective font de l’immigrationnisme une vertu en même temps qu’une méthode de salut. Et tant mieux, pensent les nouveaux immigrationnistes d’extrême gauche, si la quasi-totalité de l’immigration récente en France est de culture ou de religion musulmane.
Dans les milieux immigrationnistes de gauche, l’islam est toujours perçu comme la « religion des pauvres », au mépris de certaines réalités économico-financières internationales. Et la gauche islamophile se sent tenue de prendre parti pour ces pauvres et leurs croyances religieuses, même si elles s’avèrent incompatibles avec les principes de la laïcité et permettent aux propagandistes islamistes de faire des adeptes.
Par ailleurs, dès les années 1980, à gauche, on affirmait avec assurance, voire enthousiasme, que l’immigration était une « chance pour la France ». Le Front national de l’époque répliquait en stigmatisant l’immigration comme une malchance pour la France, la désignant comme une menace qu’il s’agissait de conjurer. Deux camps commençaient alors à se profiler : le camp des immigrationnistes militants et celui des anti-immigrationnistes qui ne tarderont pas à se regrouper dans le FN.
Et vous, comment vous positionnez-vous ?
Pour moi, l’immigrationnisme, croyance idéologisée que je critique depuis les années 2000, comme en témoigne ma tribune parue dans Le Figaro en 2006, est au cœur d’une religion séculière considérant l’immigration comme bonne en elle-même et illustrant un processus de l’ordre de la fatalité, censé aller dans le sens de l’Histoire. Il est frappant d’ailleurs que la gauche accorde autant de valeur à ce processus qu’elle voit comme inéluctable alors qu’elle se veut toujours l’héritière d’une tradition politique dont le projet fondamental est de changer le monde, ce qui implique d’accorder à la volonté politique la place royale. C’est là un désaveu de toute volonté politique. Une revanche du fatalisme sur le volontarisme. [...]
Les propos du président ont, sans surprise, fait bondir à gauche de l’échiquier politique. On imagine que cela ne vous surprend pas…
La gauche affirme que le mot « immigrationnisme » est un « mot d’extrême droite ». C’est là simplement un réflexe idéologique conditionné. Selon ceux qui jouent les indignés, Emmanuel Macron aurait utilisé cyniquement un mot diabolisé, celui de l’ennemi absolu qui se trouve être le Rassemblement national. Voilà une réaction pour le moins paresseuse, qui témoigne d’une certaine ignorance… Ce mot n’appartient nullement au lexique de l’extrême droite, même s’il est vrai que certains de ses courants l’ont employé à des fins polémiques, avec des connotations xénophobes. Mais il est avant tout un terme descriptif, désignant, comme je l’ai déjà dit, la conviction idéologique que l’immigration est à la fois inéluctable et souhaitable, car ses effets seraient bénéfiques à tous égards.
Le problème, c’est qu’un certain nombre de termes, dès le moment où ils sont employés par un camp politique, sont utilisés comme marqueurs de ce camp. On entre alors dans la guerre des mots, qui fait partie de la guerre culturelle. Ainsi, si la gauche accuse le Rassemblement national d’être l’inventeur ou le dépositaire du mot « immigrationnisme », alors n’importe quelle personnalité politique qui l’utilisera ensuite sera qualifiée d’« extrême droite », donc diabolisée. Ces petits jeux lexicaux et rhétoriques réduisent les débats politiques à des séries de diabolisations et de contre-diabolisations, chaque camp cherchant à diaboliser son adversaire principal tout en cherchant à se dédiaboliser lui-même. Rien de plus banal ni de plus répétitif. Des affrontements symboliques codifiés qui ne font pas avancer d’un pouce la réflexion politique, tout en barrant la route à la négociation et à la recherche de compromis. [...]"
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