« Ma grand-mère a sorti sa carte avec la mention "juif" » (Libération, 16 août 07)

août 2007

Les déboires avec l’administration de Brigitte Abitbol, Française juive née en Algérie en 1950 (Libération du 7 août) ont passionné les lecteurs de liberation.fr.

Comme à tous les Français nés hors de l’Hexagone ou de parents étrangers, cette quinquagénaire s’est vu demander, pour le renouvellement de sa carte d’identité, un certificat de nationalité, délivré par un tribunal d’instance, en l’occurrence celui de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Mais, comme elle porte un patronyme à « consonance israélite », le greffier lui a demandé de fournir un « acte de [sa] religion ».

Objectif : s’assurer que Brigitte Abitbol est bien juive, ce qui laisse supposer qu’elle descend d’une famille naturalisée en 1870 grâce au décret Crémieux, comme la quasi-totalité des juifs d’Algérie. Brigitte Abitbol a refusé de produire un tel document. Elle n’a toujours pas de carte d’identité. Et son cas n’est pas isolé.

Médiateur. Le grand nettoyage organisé par l’Etat depuis 1993-1994, lorsque la carte d’identité papier a été remplacée par sa version informatisée et sécurisée, en désoriente plus d’un. Ainsi Gérard à qui une greffière du tribunal d’instance du XVIIe arrondissement de Paris a demandé « un certificat de judaïcité ». « Il a fallu l’intervention du médiateur de la République pour résoudre ce problème, témoigne-t-il. Un grand-père qui s’est battu en 14-18, un père mort pour la France et moi-même deux ans d’armée dans les paras… bravo pour l’égalité, la fraternité ».

De même Mita : « Juive d’origine algérienne, il m’a été demandé de prouver ma nationalité française. J’ai produit le jugement de nationalité de mon père ainsi que le livret de famille. Il m’a été demandé, malgré ce premier jugement, de prouver ma judaïté, comme si le décret Crémieux prévoyait que les descendants des juifs algériens devaient rester juifs jusqu’a la nuit des temps. Il se trouve que je suis restée juive et que j’ai produit le certificat demandé, mais si j’en avais eu le temps et les moyens, j’aurais saisi le Conseil d’Etat ».

Mamwe raconte que sa mère a vécu la même mésaventure que Brigitte Abitbol : « Il lui est arrivé la même chose à la mairie de Massy (Essonne). En effet, elle est née en 1953 à Bône en Algérie. Son nom de jeune fille à consonance israélite , y est peut-être pour quelque chose. Mais elle a fait un tel scandale que c’est passé ».

Que l’administration ose réclamer un « certificat de religion » choque les internautes. « On n’a pas à demander un acte religieux, s’insurge Warp. A quand une demande de baptême pour les inscriptions dans les maternelles ? Lamentable ». « Et si cette dame était de famille juive athée ? questionne un autre. Comment avoir un acte religieux ? On fait quoi, on lui paie un charter ? Pour aller où ? »

« Dégradant ». Les non-juifs nés à l’étranger ou de parents étrangers sont censés avoir hérité de la nationalité française par le sang et non grâce au décret Crémieux. Ils ne sont pas astreints à la fourniture d’un certificat religieux. Mais beaucoup jugent humiliant de devoir produire un certificat de nationalité. « Je témoigne en tant que pied-noir. C’est dégradant de se voir considéré comme non-français », écrit un homme. « Née en Algérie d’un père réfugié espagnol, naturalisé français et d’une mère née en Algérie, j’ai dû moi aussi prouver ma nationalité, rapporte Caroline. Fonctionnaire depuis 38 ans, j’aurais pu en rire mais je me suis sentie furieuse et surtout… en danger. J’imagine si j’avais été juive, ou noire ou beur… »

Ce lecteur raconte l’histoire de sa grand-mère : « Elle est née en 1919 dans un shtetl en Pologne à 30 km de Dachau, et a été naturalisée française en 1921 après que sa famille a émigré suite aux premiers pogroms. En 2001, elle s’est vu demander un certificat de nationalité pour le renouvellement de sa carte d’identité. Elle a expliqué que son village avait été détruit et brûlé et qu’il n’existait plus de documents. On lui a rétorqué qu’alors elle serait renvoyée dans son pays. Elle a sorti sa carte nationale de Français éditée en 1943 et barrée de la mention JUIF et m’a téléphoné en larmes… J’ai demandé à voir le sous-préfet et celui-ci a fini par s’excuser et ma grand-mère a eu sa carte. »

Autre catégorie de population qui vit particulièrement mal l’obligation de fournir un certificat de nationalité, les Français descendants de personnes nées en Alsace-Lorraine entre 1870 et 1918 alors que cette province était allemande. « J’ai dû renouveler mes papiers et ceux de mes enfants, raconte Isabelle. L’administration a exigé un certificat de nationalité car un de mes parents est né en Alsace. On m’a demandé le livret militaire de mes deux grands-pères (morts depuis longtemps), ne les ayant pas, il y a eu enquête approfondie. Manifestant mon mécontentement devant cette procédure basée sur le délit de sale origine , on m’a gentiment répondu que je n’étais française que par réintégration. »

Indépendance. L’inquisition administrative atteint son maximum pour les Français originaires d’anciennes colonies descendants, non pas de colons, mais d’indigènes. L’administration zélée s’attache alors à vérifier si eux - ou leurs parents - ont fait toutes les démarches nécessaires pour conserver la nationalité française lors de l’indépendance.

L’enquête aboutit parfois à un retrait de la nationalité. « Pour les Français nés à l’étranger et notamment ceux nés au Maghreb, s’insurge Mathkara, il est assez déroutant, pour ne pas dire vexant ou humiliant, à 50, 60 ans et plus, de voir de jeunes freluquets venir demander à des individus, Français depuis des années, de justifier de leur francité . Le pire étant lorsque après avoir été français pendant plusieurs décennies, on vient vous dire : ha, mais en fait, non vous n’êtes pas Français, vous allez devoir retourner dans votre pays car vous êtes en plus sans-papiers ! »

Catherine Coroller


Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales