Revue de presse

M. Tribalat : "Hollande, le PS et l’immigration" (lefigaro.fr/vox , 18 déc. 14)

Michèle Tribalat est démographe, auteur de « Assimilation. La fin du modèle français » (Toucan). 20 décembre 2014

"Dans son discours du 15 décembre au Musée de l’immigration, le président de la République a minimisé l’importance de l’immigration étrangère en France au cours des dernières années. À plusieurs reprises : « Depuis dix ans, notre pays accueille environ 200.000 personnes par an, soit la proportion la plus faible d’Europe, rapportée, bien sûr, à notre propre population. » Cette assertion est reprise ensuite sous la forme suivante : « Quant à l’immigration d’aujourd’hui, dont j’ai dit le caractère limité… » En fait, la première formule fait référence à une comparaison internationale, quand la seconde suggère une comparaison temporelle.

Sur le site de l’Élysée, un article intitulé « L’histoire de l’immigration est notre histoire à tous [1] » consacre un paragraphe à « l’immigration en chiffres ». Ce chapitre est introduit par une déclaration inexacte : « Le droit de chaque individu à émigrer et à être accueilli est un droit de l’homme inaliénable. Il est donc important de se fonder sur des constats justes et objectifs. » Si le droit de quitter son pays est un droit de l’homme, le droit d’être accueilli dans un autre pays n’en est pas un. Par ailleurs, qu’il s’agisse d’un droit de l’homme ou pas, il vaut toujours mieux se fonder sur un constat objectif de la situation que sur des données frelatées.

Cet article énonce l’un de ces constats qu’il croit juste et objectif : « La proportion d’immigrés dans la population française est d’environ 8,5 %, ce qui est stable depuis les années 1970. Cela représente environ 5 millions de personnes. » En fait, cette population immigrée est de 5,5 millions en 2011 en France métropolitaine, dernier chiffre connu à partir des résultats définitifs de la population légale donnés par l’Insee. Ce qui représente 8,7 % de la population, à comparer à 7, 4 % en 1975. La proportion d’immigrés a donc pris 1,3 point de pourcentage.
Mais cette comparaison est trompeuse, car la proportion d’immigrés a stagné pendant vingt-cinq ans, jusqu’à la fin du siècle dernier. Toute la croissance est donc à reporter sur les années 2000-2010. En fait l’accroissement relatif moyen annuel de la proportion d’immigrés en France est, dans ces années-là, voisin de ce qu’il a été au cours des Trente Glorieuses (voir le graphique).
Nous sommes donc entrés dans un nouveau cycle migratoire. Ce que notre président ignore visiblement. Pour lui, « les crises des années 1970, paradoxalement, n’ont pas tari le flux parce que les entreprises continuaient d’appeler de nouveaux immigrés qui venaient chaque fois de plus en plus loin pour pouvoir occuper les postes que nul ne voulait occuper. Et ce mouvement ne s’est arrêté que récemment » (déclaration contraire à celle de l’article en ligne sur le site de l’Élysée). [...]

Mais c’est vrai que beaucoup de nos voisins accueillent plus d’étrangers que nous. Le président se réfère sans doute au classement de l’OCDE dans lequel, avec 0,4 % en 2012, la France connaît des entrées d’étrangers, en proportion, voisines de celles de l’Italie, mais supérieures aux Etats-Unis.
Je ne pense pas que les Etats-Unis soient sortis de l’histoire migratoire. Par ailleurs, il faut savoir que ces données ne sont pas harmonisées, tous les pays ne comptant pas de la même façon. Et, pour un même pays, différentes données sont publiées. Prenons le cas de l’Allemagne : l’OCDE compte près de 400.000 entrées en 2012, Eurostat un peu plus de 500.000 pour la même année. Pour la France, l’Insee annonce, dans une publication récente, 230.000 entrées d’immigrés en 2012, Eurostat 212.000 entrées d’étrangers et l’OCDE 259.000. Les comparaisons internationales sont donc à mener avec précaution. En plus, elles ne disent rien de la manière dont on peut situer la période actuelle dans l’histoire migratoire de la France.

Le président nous invite à traiter l’immigration de façon républicaine : « imposer la vérité des faits » et « agir ». On ne peut être que d’accord avec lui sur cette proposition, même si le verbe « imposer » résonne de manière inquiétante. D’autant que, on l’a vu, la vérité des faits n’était pas vraiment au rendez-vous dans ce discours à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Tout cela donne l’impression que c’est une « vérité » bien particulière que l’on cherche à nous imposer.
Par ailleurs, les codes linguistiques qui sévissent dès que l’on parle d’immigration et de populations d’origine étrangère amènent notre président à un lapsus signifiant lorsqu’il s’agit de désigner les Français d’origine étrangère et les autochtones ou « français de souche » (que moi j’appelle le plus souvent « natifs au carré » pour avoir la paix : c’est-à-dire nés en France de deux parents nés en France). Je le cite : « Trop de nos concitoyens issus de l’immigration se considèrent encore comme des étrangers assignés à leurs origines et trop de nos compatriotes ont le sentiment qu’ils ne sont plus chez eux… » Il y aurait donc une distinction subtile à faire entre concitoyens issus de l’immigration et compatriotes : des citoyens d’un côté, des patriotes de l’autre ? Si, on le sait, il faut absolument éviter la référence à la « souche » lorsqu’il s’agit des natifs au carré, le président n’a aucun complexe à l’utiliser pour les immigrés qui ont fait souche en France. Décidément, il est vraiment très difficile de parler d’immigration en en maîtrisant tous les codes."

Lire "Hollande, le PS et l’immigration : le décryptage de Michèle Tribalat".


Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales