Revue de presse

M. Sorel et G. Chevrier : Harcèlement de femmes archéologues à Saint-Denis, "l’outrage sexiste est une infraction pénale" (atlantico.fr , 19 juil. 23)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant, membre du Conseil d’administration du Comité Laïcité République ; Malika Sorel, essayiste, auteur de "Les Dindons de la farce" (Albin Michel, 2022). 19 juillet 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Sur le chantier de fouilles menées par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) et l’unité archéologique de la ville de Saint-Denis, des femmes archéologues ont été victimes de faits de “harcèlement à caractère sexiste”.

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Lire "Face au harcèlement de jeunes femmes archéologues à Saint-Denis, que faire ?"

Atlantico : Sur le chantier de fouilles menées par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) et l’unité archéologique de la ville de Saint-Denis, des femmes archéologues ont été victimes de faits de “harcèlement à caractère sexiste”. Cela a suscité des réactions diverses, comme par exemple, la maire-adjointe de Saint-Denis Oriane Filhol. A quel point ce genre de comportements est-il une réalité en France ? Est-ce que cela est devenu banal ? Est-ce que cela est répandu bien au-delà de Saint-Denis ?

Guylain Chevrier : Si ces archéologues sont victimes d’attaques liées à leur corps, parce qu’elles portent des débardeurs, elles le sont aussi selon les paroles rapportées, parce qu’elles exerceraient un métier d’homme, alors que leur place serait plutôt à la maison. Il y a bien sûr ce qui est dénoncé là comme un harcèlement de rue, à caractère machiste, qui tient à une conception inégalitaire des rapports entre les sexes, et une vision de la femme réduite à un objet de convoitise ou à une fonction essentiellement maternelle. Je crois qu’il faut distinguer ce comportement sexiste bien repéré, de celui qui relève d’un comportement culturel ou/et religieux où la femme a un statut sexuel ou/et juridique inférieur à celui des hommes. Ce qui ressort de ce qui est relaté par des journalistes sur le terrain, avec des témoignages de passants dont l’un évoque le caractère religieux de certaines réactions. On retrouve ce comportement discriminant dans le travail où, selon le dernier rapport de l’Observatoire du fait religieux en entreprise, l’un des faits majeurs comme cas bloquants est relatif au refus d’hommes de serrer la main d’une femme, de travailler avec une femme ou sous ses ordres.

C’est sur internet que ce comportement est le plus palpable. On y voit apparaître de plus en plus de groupes injurieux envers des jeunes femmes maghrébines aux mœurs dites "libérées" accusées en général de "salir" leur religion. On sait combien de façon plus cachée, cela existe dans certains quartiers communautarisés. Une mère voilée, dans un échange avec un directeur d’école primaire de ma connaissance qui me l’a rapporté, parlait du poids du « regard du quartier », qui ne lui laissait pas le choix de comment se vêtir.

Il est d’ailleurs assez significatif que ce ne soit pas que des hommes mais aussi des femmes qui harcèlent ces femmes archéologues, comme cela a été remarqué, en raison d’être en débardeur ou dans des positions de travail jugées comme choquantes. Cette inégalité entre hommes et femmes inscrite dans la religion est aussi accompagnée d’exigences vestimentaires censées protéger la pudeur des femmes, mais aussi protéger les hommes vis-à-vis du risque qu’elle leur ferait courir en raison de leurs atours, si elles ne les cachaient pas. La femme étant porteuse du péché. Si des jeunes filles revendiquent de porter l’abaya en cours par exemple, ce qui se multiplie dans les établissements scolaires en ce moment, robe ample dont le but est de dissimuler les formes féminines, cela n’est pas sans incidence comme élément de pression sur les autres jeunes filles qui peuvent être vues comme de même culture religieuse sans pour autant vouloir l’affirmer par des signes ostensibles, mais qui peuvent difficilement résister à la pression. Elle ne vient donc pas que des garçons, mais d’une vision religieuse selon laquelle il faut cacher son corps, l’homme lui étant libre de ne pas le faire, selon une conception qui oppose le pur et l’impur. Ce que l’on ne peut que constater, c’est qu’il s’agit d’un phénomène d’ampleur, qui mérite que l’on s’y intéresse. Alors que l’on pensait avoir dépassé certains stéréotypes, ils reviennent à la charge, et particulièrement en raison d’un retour du religieux par les affirmations identitaires.

Malika Sorel : Ces comportements, lorsqu’ils sont signalés par les victimes, sont recensés comme étant des outrages sexistes, et leur nombre publié par le ministère de l’Intérieur. Entre 2020 et 2021, le chiffre de ce qui n’est autre que des agressions à caractère sexiste est passé de 1400 à 2300. Près des deux tiers des victimes ont moins de 30 ans. Dans cette affaire de Saint-Denis, Claude Héron, directeur de l’unité d’archéologie de Saint-Denis, a confirmé l’existence de cas de harcèlements à caractère sexiste. Il est évident que les chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur sont très en deçà de la réalité. Notons que ces femmes archéologues refusent de porter plainte, très vraisemblablement par peur de potentielles représailles, donc leurs agressions ne seront pas comptabilisées. Dans une enquête menée par Ipsos en 2020, 81% des femmes en France disaient avoir déjà été victimes de harcèlement sexuel dans les lieux publics ! Être une femme en France, en particulier une jeune femme, fait de vous une proie. Ces femmes ont simplement découvert leurs épaules ! Sommes-nous encore en France ? Manifestement, non. Elles se sont par ailleurs vues reprocher jusqu’à la position de leurs corps, leurs travaux de recherche et de fouilles nécessitant en effet un travail au sol et l’adoption de positions accroupies ou allongées. Ces situations, je les ai vues et parfois vécues durant mes quinze longues années de vie en Algérie où, les filles, dès le plus jeune âge, sont reprises sur le positionnement de leur corps ainsi que sur leur gestuelle. Les agressions ne serait-ce que verbales, y étaient fréquentes car la femme est souvent réduite à un objet sexuel, et perçue comme tel. Un objet de vive tentation - l’envoyé du diable sur terre-, et dans le même temps, objet de rejet violent. Les deux sont en réalité intimement liés. Mais toutes ces situations, on les retrouve également dans les pays où les femmes possèdent des statuts inférieurs comme, entre autres, en Inde, pays qui défraie régulièrement la chronique en la matière.

L’adjointe à la mairie a rappelé que ces agressions constituaient des infractions passibles d’une amende mais on sent surtout, au travers de différentes prises de position, qu’il est urgent de relativiser, de masquer le réel et de taire l’identité des acteurs en présence, en disant que « comme partout : des femmes sont victimes de harcèlement sexuel et de propos sexistes par des hommes ». Au demeurant, il suffirait d’installer des caméras qui seraient par ailleurs fort utiles pour retrouver et condamner les auteurs d’actes dont la sanction est prévue par la loi.

Que faire face à cela ? Comment faire pour revenir à une civilité commune ? Quelles réponses la société et les pouvoirs publics ou l’exécutif doivent et peuvent apporter pour protéger ces femmes dans l’exercice de leur métier ? Qu’est-ce qui peut être fait en matière d’éducation, d’intégration voire de contrôle de l’immigration, de citoyenneté... ?

Guylain Chevrier : Bien sûr, il y a la possibilité de poursuites, comme le prévoit la loi, puisque depuis août 2018, l’outrage sexiste est une infraction pénale. La loi a d’ailleurs été renforcée en avril 2023. Mais concernant la question d’une « civilité commune » à trouver ou retrouver, il faut chercher les causes de cette situation. Pour cela, ne pas éluder l’enjeu qui apparaît autour de la conception des rapports entre les sexes qui peut être très différente selon les cultures, et peut même toucher à la question du séparatisme. Il faut évidemment marteler qu’il n’y a qu’une conception des sexes en France, celle de l’égalité, inscrite d’ailleurs dans le préambule de la Constitution de la IV e République repris par la Ve. Il serait même essentiel d’ajouter, à l’article premier de nôtre Constitution, lorsque l’on affirme que la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. », aussi « de sexe ». Cela étant, faut-il encore être sur la chose intransigeant, ce que l’on n’est pas assez. Car, trop souvent on banalise les comportements culturels sexistes au nom du droit à la différence, d’un relativisme des cultures qui conduit l’abandon à leur sort de combien de femmes soumises à la pression communautaire.

Ces harcèlements se déroulant devant des petites filles ou adolescentes passant par-là, peuvent contrecarrer le désir d’embrasser un jour ce type de métier. L’école joue donc un rôle majeur de digue pour contrecarrer ces stéréotypes, et là, on ne doit rien laisser passer. On sait pourtant combien l’école de la République se confronte à des revendications contraires aujourd’hui, par celles et ceux qui tentent d’imposer leur vision religieuse inégale des rapports hommes-femmes dans l’école avec des incidents réguliers, auxquels on a le plus grand mal à mettre un terme. On voit bien que dans les enquêtes d’opinion, dans les jeunes générations, on est bien plus dans la tolérance au nom du « je fais comme je veux », que de l’idée du respect avant tout des principes communs. Ce qui interpelle les fondements politiques de notre société. On doit mieux faire comprendre ce que vivre en société veut dire : construire un espace de règles et de normes dont la liberté ne peut pas se passer, parce qu’elle n’existerait pas si elle n’était pas protégée par la loi, que la liberté est ainsi une responsabilité commune. Mais aussi que tout ce que ne dit pas la loi est libre.

D’un point de vue culturel, l’intégration des populations étrangères qui s’installent en France appelle une grande attention, car elle ne se fait pas en un claquement de doigt. Le Contrat d’intégration républicaine qui est obligatoire depuis 2007, signé entre celui qui est accueilli et l’Etat représenté par le préfet, et qui comprend une obligation de maîtrise minimale de la langue française sans laquelle il n’y a pas de communauté nationale, avec un volume d’heures attribué si nécessaire, un module de formation à la connaissance de nos institutions et de la société française, devrait être renforcé, avec de grande exigences, à la hauteur de la société que l’on veut. Fondée tout particulièrement sur l’adhésion à l’égalité entre les sexes, ce qui n’a rien d’une réalité commune dans le monde, dont bien des sociétés en ignorent le sens. Ce qui bien sûr conditionne la citoyenneté, alors que l’accès à la nationalité française par acquisition se fait par l’entremise de la Charte des droits et devoirs du citoyen français, dont on retient surtout, et par trop, les droits, lorsque les devoirs qui vont avec, sont bien moins mis en relief, dont le respect de la loi. Et si on ne veut pas se trouver dans une situation de submersion qui ne permette pas l’intégration, qui n’est donc pas qu’économique, il faut une maîtrise des flux migratoires. La montée des exigences du point de vue de l’accueil, dont l’égalité entre les sexes, sera ainsi susceptible de dissuader ceux qui entendent venir sur notre sol pour ne pas respecter les valeurs et principes de notre République.

Malika Sorel : Bien trop de temps a été perdu et ce sont malheureusement, pour beaucoup, de mauvaises décisions qui ont été mises en œuvre. Il faudrait pouvoir disposer d’une classe politique qui sache regarder la réalité en face, accepte de nommer un chat un chat, et daigne traiter avec sérieux des problèmes qui se posent au quotidien. Pour cela, le préalable est de restaurer la liberté d’expression, et cela commence par le fait que chaque citoyen se mette à parler librement plutôt que de rentrer les épaules, baisser les yeux et détourner le regard. Si les citoyens s’étaient comportés en véritables citoyens respectueux de leurs devoirs envers la nation et son devenir, les politiques n’auraient pas eu d’autre choix que celui de "filer droit" sur ces sujets.

Les Occidentaux doivent délaisser leur arrogance et cesser de penser que les autres ne sont pas éduqués. Ils possèdent une autre éducation, voilà tout. En 2016, au micro de France culture, Tahar Ben Jelloun insistait sur le fait que, pour certains, « le corps de la femme est le principal objet de fixation » et « c’est pour cela qu’on cherche à ce que le corps des femmes ne s’exprime pas, qu’il ne se dévoile pas, qu’il ne soit pas libre. Alors, on le cache ». Les archéologues qui montrent leurs épaules, ça ne colle donc pas à ce schéma, à cette vison culturelle.

À signaler également que sur le chantier de Saint-Denis, des femmes s’arrêtent pour dire aux archéologues qu’elles ne devraient pas exercer ce métier qui est, selon elles, un métier d’homme ! Le comportement des femmes envers d’autres femmes a systématiquement été laissé de côté dans le débat public, ce qui est une erreur monumentale. Pour lutter contre ces phénomènes dont nous parlons ici et pour bien d’autres, il convient donc de mettre sur la table le rôle des femmes et en particulier le rôle des mères. C’est un point que je développe dans mes livres car il est tout bonnement central.

Un autre exemple parmi d’autres. Lorsque je siégeais au sein du collège du Haut Conseil à l’intégration, un grand groupe technologique avait décidé de renoncer à promouvoir une femme car des subordonnés non Occidentaux avaient refusé d’être commandés par une femme. Dans d’autres entreprises, était expliqué à des femmes recevant des délégations étrangères, qu’elles ne devaient pas serrer les mains des hommes et que leurs vêtements se devaient d’être amples... Le monde de l’entreprise porte également une part de responsabilité. Pourtant, lui aussi est laissé de côté, s’achetant parfois une "virginité" à bon compte avec quelques mesures prises dans le cadre du RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Que dire aussi des « féministes » que l’on n’entend quasiment pas, quand elles devraient être omniprésentes dans ces questions ? Quid également du silence de la classe politique qui ne s’exprime que lors d’élections pour instrumentaliser le sujet, que ce soit dans un sens ou dans un autre ? Quel est, en la matière, le bilan du Défenseur des droits et des différents ministres qui avaient en charge l’égalité entre les femmes et les hommes ? Durant des années, il n’a été question que de parité en politique et d’introduire des femmes dans les Conseils d’Administration des grandes entreprises. La belle affaire !

Quels sont les principaux obstacles pour revenir à une civilité commune ?

Guylain Chevrier : On parle de « politique genrée » pour lutter contre les inégalités entre les sexes, mais il apparait que les remarques sexistes et discriminatoires viennent aussi de femmes, et donc, reflètent un ancrage qui va au-delà du sexe ou genre, fréquemment inscrites dans un registre religieux et culturelle, de groupe. Aussi, l’un des principaux obstacles est la logique communautaire qui porte une conception qui peut être très fermée du regard sur les rapports entre les sexes, voire communautariste. Voilà pourquoi en briser le cercle est l’une des clés. La mixité sociale peut en être l’outil, en inversant cette volonté de recentrer sur les plus en difficulté les logements sociaux et ainsi, souvent, regroupant des populations immigrées. Mais faut-il encore donner envie à des familles de venir dans ces quartiers, en y faisant régner la loi, le respect des biens publics, contrairement à l’image qu’en ont donné les dernières émeutes. La laïcité est un facteur essentiel de l’égalité, en protégeant la liberté de conscience, l’autonomie de la personne, dont sont privées bien des femmes dans des milieux culturellement fermés, pour lesquelles c’est un recours capital. La laïcisation de la vie politique et de la société est allée de concert avec les grandes conquêtes des libertés républicaines, soyons ainsi à la hauteur de cet héritage en mettant partout au féminin Liberté-Egalité-Fraternité.

Malika Sorel : Les obstacles sont nombreux. Il m’est impossible de tous les citer ici. Il convient donc de se reporter à mes ouvrages qui constituent des programmes politiques en la matière.

L’un des principaux obstacles a été la poursuite de l’immigration à haut niveau alors même que les signaux avaient viré au rouge depuis longtemps puisque l’intégration culturelle rencontrait des difficultés croissantes. C’est une erreur politique impardonnable car c’est ce qui a conduit à la constitution de diasporas dont j’explique dans mes livres de quelle manière ces dernières empêchent l’intégration culturelle. C’est aussi l’existence de diasporas conséquentes qui a incité les élites politiques au clientélisme qui a lui-même alimenté le séparatisme. Le chercheur Hugues Lagrange avait alerté, notant que depuis plusieurs décennies, « en matière religieuse aussi bien qu’au sujet du mariage et de la conception des rôles sexués, de nombreux descendants de migrants ont adopté des positions hyper-traditionnelles, franchissant à rebours le chemin que la génération de leurs parents avait suivi à la fin des années 1970 ».

L’octroi, par la classe politique et la haute administration, de la nationalité française à des individus qui ne sont, de toute évidence, pas devenus culturellement Français constitue un passeport pour l’impunité. Le résultat, nous l’avons sous les yeux. Comment sortir de cette situation où des élites ont violé, en toute impunité, le code civil qui subordonnait pourtant l’octroi de la nationalité à la réussite de l’assimilation ? La société française a été entrainée dans une situation extrêmement grave.

Les tergiversations sans fin autour de vêtements qui couvrent le corps des femmes : abayas, burkini, voile, font que cela valide, peu à peu, l’idée que pour être respectée, une femme doit se couvrir au sein des établissements scolaires, ceux de l’enseignement supérieur ou encore dans l’espace public. Dans un article publié dans Le Monde en décembre 2009, Abdelwahab Meddeb faisait la démonstration de ce que le couvrement des femmes signifiait et en 2023, il se trouve encore des "élites" à palabrer. Oui, décidément, le premier obstacle à l’action est bien l’incompétence d’une bonne part des "élites", sans oublier les élus locaux. Lors d’une intervention télévisée face à deux journalistes, Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel, le Président Emmanuel Macron avait dit lui-même que le voile "n’est pas conforme à la civilité qu’il y a dans notre pays, c’est-à-dire au rapport entre les hommes et les femmes dans notre pays. Nous sommes attachés à l’égalité entre l’homme et la femme", donc toute action qui vise à cacher la femme est contraire aux modalités de notre "vivre ensemble". Aussi, la récente décision du Conseil d’État qui a invalidé l’arrêté anti-burkini de Mandelieu-la-Napoule est une faute lourde, condamnable, sur laquelle il faut revenir. Qui gouverne la France au juste ? Ceux que le peuple a porté au pouvoir ou les Conseillers d’État ? La France est-elle encore une véritable démocratie ? La question se pose et doit être posée sur la table et discutée devant les citoyens.

La mairie a installé, sur le grilles du site, une affiche appelant au respect des femmes archéologues, harcelées par des passants. Est-ce la bonne méthode ? Cette mesure peut-elle faire évoluer les mentalités ? Le rappel à la loi ou la pédagogie suffisent-ils ?

Guylain Chevrier : Effectivement, les visiteurs de Saint-Denis peuvent observer une affiche qui peut paraitre surprenante, avec cet appel à « Adoptez le bon comportement » : On peut y voir la photo d’une femme à genou et outillée, avec inscrit à côté le rappel de la loi. Des exemplaires de cette affiche ont été collés tout autour du chantier des fouilles, mais ont été en grande partie arrachées par les passants, selon un reportage de BFMTV indiquant qu’il ne s’agit pas d’un simple cas d’espèce, mais d’un phénomène plus large.

Par-delà le rappel à la loi de l’affiche, du côté de la mairie, on évoque aussi la vidéosurveillance, qui est censée permettre d’identifier les auteurs de ces harcèlements, avec des patrouilles renforcées de la police municipale sensibilisée sur ce sujet. Faire respecter la loi en s’en donnant les moyens est évidemment essentiel ici, mais ne règle pas l’aspect social et moral, celui relatif à une rupture dans les valeurs communes dû à ce comportement harcelant.

Cela étant, on ne change pas les mentalités par la simple peur du gendarme, Il faut redonner des repères non seulement par la loi mais aussi moraux, éthiques. Pour cela, il faut oser dire le pourquoi, en pointant du doigt l’immoralité de cette attitude, y compris lorsqu’elle est du ressort religieux venant de la part de femmes. Cela, pour créer un mouvement de recul, qui fasse s’interroger ceux qui sont les auteurs de ces faits, se sentant un peu sur la sellette en même temps qu’inviter à évoluer, pour prendre conscience des bienfaits de cette égalité entre les sexes, émancipatrice des rapports de domination, et donc, avec les avantages que cela peut entraîner aussi, du côté de la libre disposition de soi. C’est d’une pédagogie de l’intériorisation d’une culture dont nous parlons, qui implique d’être menée avec force de conviction. Mais cela implique le préalable d’un discours public sur le sujet avec une cohérence à tenir, sans complaisance aucune, qui tarde à venir avec les actes en accord. Comme on a fait des campagnes de sensibilisation pour le handicap afin de faire tomber des préjugés, ce qui a été efficace, lançons une grande campagne sur l’égalité, quitte à choquer certaines et certains. Passons de la tolérance à tout, à montrer ce qu’est notre pays dans le fond sur lequel il repose, dans sa modernité démocratique, dont l’égalité entre les sexes résonne. Valorisons-la, arrêtons de tenir un discours à chacun en fonction de ce qu’il veut entendre, et nous aurons déjà fait un bon bout de chemin.

Malika Sorel : Les médias ont constaté que les affiches avaient été arrachées. Vous avez là, la réponse à votre question.

Il faut punir sévèrement en faisant payer des amendes qui ne me semblent au demeurant pas assez élevées. Une sanction doit en effet dissuader de passer à l’acte. C’est son principe même. Quant à la tarte à la crème de la « pédagogie », c’est la réponse de ceux qui ne sont pas à la hauteur des enjeux et des défis à relever. Sur le terrain, les "pédagogistes"ont triomphé et leurs résultats s’étalent au grand jour.

Est-ce un nouvel exemple des difficultés du “vivre-ensemble” ? L’Etat est-il suffisamment armé pour répondre et apporter des solutions à une telle situation ? Les valeurs prônées par notre société sont-elles fragilisées ? L’Etat est-il en capacité d’agir ? Quelles seraient les bonnes pratiques à adopter ?

Guylain Chevrier : Comment faire société ? Voilà la grande question qui est posée, alors que nous sommes dans une communauté nationale de plus en plus diverse. Ce qui doit amener à avoir d’autant plus d’exigences, pour ce que l’on doit absolument partager pour faire société. L’égalité devant la loi, nécessite une homogénéisation des mentalités, créant l’attente sinon le désir d’un même droit pour tous, spécialement concernant l’égalité entre les sexes, par-delà nos différences. Il n’en va pas que d’une question de mœurs mais de citoyenneté, impossible à s’exprimer dans l’égalité si un sexe est dans les relations coutumières considéré comme inférieur à l’autre. N’est-ce pas justement autour de la citoyenneté, de sa mise en valeur, que se joue l’ensemble de ce qui nous préoccupe ici ? Faut-il encore que le mot ait un véritable sens. Il y a donc aussi, à impliquer les citoyens dans la vie de la nation, à tous ses niveaux, pas pour venir promouvoir sa différence, mais dans des projets d’intérêt général, des rites laïques communs autour desquels se souder comme égaux. Cela en vaut le prix. Il y a ici à inventer de nouvelles formes d’expériences communes pour mieux faire peuple, pour renforcer notre pacte républicain. Comme le voit le politiste Philippe Braud, « la citoyenneté n’est pas seulement un système de droits et de devoirs qui s’exerce au sein du même Etat, elle est aussi une manière de décliner une identité commune » (Philippe Braud, Penser l’Etat, seuil, 2004). Et pour paraphraser l’auteur qui vient d’être cité, à travers la citoyenneté, l’égalité entre les sexes doit finir par transgresser toutes les allégeances particulières de classe, de religion, de profession, de génération. L’Etat en est sans aucun doute l’indispensable instrument, s’il le veut.

Malika Sorel : L’État a perdu son autorité. Il n’est plus respecté. Ces derniers jours, ce que j’ai trouvé le plus sidérant c’est ce qui suit. Après ce 14 juillet où 45 000 policiers et gendarmes ont été mobilisés sur l’ensemble du territoire national ; où les forces de l’ordre ont été visées par 51 tirs dans la nuit du 13 au 14 ; où sept policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers ont été blessés, 255 véhicules incendiés, plus de 2000 tirs de mortier et 97 personnes interpellées, beaucoup de politiques et même de journalistes se sont félicités soutenant que, finalement, le calme était revenu et que le gouvernement pouvait passer à autre chose !!!

Ce qui se déroule un peu partout en France est une énième illustration, tout comme avec les récentes émeutes, du « face à face » que le Ministre de l’Intérieur Gérard Collomb évoquait lors de sa passation de pouvoir. Mais Gérard Collomb se trompait en voyant manifestement un "face à face" entre certaines populations issues de l’immigration et d’autres qui sont d’origine culturelle occidentale. Chaque jour nous fait en effet la preuve que la ligne de fracture se joue allègrement des origines, et que le "face à face" se dessine entre tous ceux qui œuvrent à déconstruire la France, à l’affaiblir, à masquer la réalité et l’ampleur des problèmes, à attaquer les fondements de la République française, et tous ceux qui s’engagent dans leur vie quotidienne, au travers de leurs faits et gestes, à permettre à la France d’assurer sa continuité historique. Il n’y a donc pas, comme on peut l’entendre, d’un côté les Français de souche européenne qui seraient "blancs comme neige" et de l’autre, les enfants issus de l’immigration extra-occidentale. Ces approches simplistes auront largement participé à empêcher que ces sujets pourtant vitaux pour la nation, ne soient traités et surtout réglés."


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Archéologues harcelées à Saint-Denis (juillet 23) dans Femmes-hommes, les rubriques Travail, Voile & vêtements (note de la rédaction CLR).


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