Michel Seelig, auteur de "Vous avez dit Concordat ? Sortir progressivement du régime dérogatoire des cultes" (L’Harmattan). 13 novembre 2017
Cette tentation n’est pas nouvelle, même si elle est fortement réaffirmée aujourd’hui. Elle peut prendre plusieurs formes qui, toutes cependant, mettent en cause la loi de 1905. Rappelons déjà qu’Émile Combes, à qui l’on attribue souvent à tort la loi de Séparation, était pour le maintien du Concordat appliqué de façon stricte, afin de ne pas laisser de liberté à l’Église et toujours la contrôler.
Depuis une dizaine d’année, le discours a évolué. Au cours des années 2000, le ton est plutôt compassionnel : l’islam reconnu comme deuxième religion pratiquée en France ne bénéficie pas des avantages historiques d’autres religions, surtout le catholicisme.
Monsieur Grosdidier, alors député-maire UMP d’une commune de Moselle à forte population de culture musulmane, dépose en 2006 une proposition de loi « visant à intégrer le culte musulman dans le droit concordataire d’Alsace et de Moselle ».
On se souvient aussi du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy qui confie au professeur Machelon une mission qui doit répondre « sur les modalités des relations entre les communes et les cultes, en ce qui concerne, d’une part, le régime de la construction et de l’aménagement des lieux de cultes et, d’autre part, la police spéciale des cimetières et du régime fiscal des cultes. … cette réflexion, [doit] conduire à des propositions opérationnelles passant, le cas échéant, par des ajustements législatifs et réglementaires. »
Il s’agissait de redonner plus de place aux religions dans l’espace public… Un peu plus tard au Latran, Nicolas Sarkozy, devenu président de la République vantera les mérites du curé supérieur à l’instituteur pour transmettre des valeurs et en Arabie Saoudite, à Riyad, il célèbrera « le Dieu unique des religions du Livre. Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme ».
Certains ont des vues plus restrictives, ainsi M. Philippot candidat alors FN aux dernières régionales, qui déclarait vouloir « maintenir le concordat au nom de la tradition, et ne pas l’étendre au nom de la laïcité ».
La droite traditionnelle n’est pas à l’abri des contradictions. Alors que plusieurs de ses ténors bataillent contre le halal dans les cantines, au lendemain des attentats de janvier 2015, Gérald Darmanin dénonce une laïcité dite “punitive”. Et émet l’idée d’une révision de la loi de 1905 dans l’objectif de créer un concordat entre la République et l’islam en France.
Concordat … le mot est lâché ! Et « révision de la loi de 1905 » ne peut se comprendre ici que par suppression de son article 2 (non reconnaissance et non financement des cultes). Mais, un peu plus tard, Éric Ciotti critique une position il est vrai ambiguë de Manuel Valls et se dit « totalement opposé au financement public des mosquées ou de tout lieu de culte ».
Il est vrai aussi que le député niçois finançait avec sa réserve parlementaire l’aménagement de plusieurs chapelles et qu’il milite pour l’inscription dans le marbre de la Constitution française des « racines chrétiennes » de la France…
Mais quittons les discours pour s’intéresser aux actes.
Après avoir signé le Concordat avec la papauté, Napoléon Bonaparte a réglementé les Églises protestantes (les Actes Organiques) et a obligé les juifs à s’organiser. Ceux-ci au début du XIXe siècle étaient relativement nombreux dans quatre régions. Ce qu’on appelait sous l’Ancien Régime la Nation juive alsacienne, la Nation juive lorraine (à Metz), la Nation juive dite portugaise (à Bordeaux et au Pays Basque) et la Nation juive avignonnaise (ou les juifs du Pape).
Ces diverses communautés avaient des pratiques culturelles et cultuelles différentes, et des attaches avec diverses communautés étrangères.
Sous la pression politique, elles acceptèrent de respecter le Code civil et donc de renoncer à leurs pratiques en matière juridiques, le droit de la famille notamment. Elles se plièrent aussi à l’organisation très structurée des consistoires …
Je fais ce rappel historique, vous l’avez compris, parce qu’il sert en quelque sorte de modèle à ceux qui voudraient imposer la constitution d’un « Islam de France ».
Nous avons aujourd’hui en France une population musulmane très diverse. Par l’origine de la famille : du Maghreb, de Turquie, du Proche-Orient, d’Asie, d’Afrique subsaharienne… ou de convertis récents, ce qui entraîne souvent des pratiques culturelles différentes. Par le culte pratiqué, la majorité sont sunnites, mais d’autres chiites, soufis, etc.
Une mosaïque bien plus complexe que le judaïsme d’il y a 200 ans ! Sur ce point, et c’est bien le seul, je suis d’accord avec M. Marwan Muhammad, ancien responsable du Collectif contre l’islamophobie en France, le CCIF, lorsqu’il déclare « Il n’y a pas d’islam de France » !
Et pourtant, de manière récurrente, des politiques ont tenté, et tentent encore, d’engager l’État dans une démarche d’organisation du culte musulman.
Ce fut Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur en 1990 qui crée un Conseil de réflexion sur l’Islam de France, chargé de présenter des propositions pour l’organisation du culte…
Ce fut Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Jospin, qui lance une large consultation en 1997 sur « l’intégration d’un islam à la française », qui achoppe sur la question de l’ "apostasie" que Chevènement voulait voir accepter par les responsables musulmans…
Ce fut Daniel Vaillant, ministre de l’Intérieur qui poursuit la démarche en 2000…
Ce fut Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur qui crée en 2003 le Conseil français du culte musulman, CFCM… dont chacun aujourd’hui critique la composition et le fonctionnement…
C’est, il y a quelques mois, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, qui déclarait vouloir (je cite) « faire émerger un islam de France ancré dans les valeurs de la République »…
C’est aussi la création ou le réveil d’une « Fondation pour l’islam » dirigée par une personnalité nommée par l’État… un ancien ministre de l’Intérieur…
En novembre 2016, un ancien ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, alors Premier ministre, tweetait après l’annonce du décès de l’anthropologue Malek Chebel : « Malek Chebel, c’était l’Islam des Lumières et la modernité. Son œuvre dit quel doit être notre ouvrage : bâtir l’Islam de notre temps ».
Aujourd’hui, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, annonce l’installation, prévue en décembre, d’une instance informelle de dialogue et de concorde entre les autorités des principaux cultes. Celle-ci se réunira autour du ministre, « en complément des cadres bilatéraux de relations avec les représentants des cultes ». Il ne s’agit pas là d’organiser directement les cultes mais bien de contourner encore l’article 2 de la loi de 1905.
Si vous m’avez suivi, vous avez noté que toutes ces initiatives sont l’œuvre de MINISTRES DE L’INTÉRIEUR… Il s’agit bien de reprendre la philosophie du Concordat napoléonien : contrôler, instrumentaliser si possible un culte, les cultes, pour « le maintien de la tranquillité intérieure » comme le dit le traité de 1801 !
Mais nous ne sommes plus en 1801, et l’histoire, l’exemple de la pratique du Concordat avec l’Église, le démontre : c’est une illusion de croire que la République a intérêt à se mêler de l’organisation des cultes. C’est à eux de se structurer de se financer et de dialoguer entre eux !
Le Concordat ne saurait pas être un modèle pour la France ! Et il serait aussi temps de revenir sur les exceptions régionales que j’ai décrites.
Et si certains se gaussent de l’esprit « laïciste » - quand ils ne disent pas « laïcard » - de la France.
En quelques mots, je voudrais vous informer de ce qui se passe chez un de nos voisins. Le Grand-Duché de Luxembourg faisait partie de la République française en 1801. Il a conservé jusqu’en 2013 les effets du Concordat. Or, en trois ans, avec accord signé par l’archevêque de Luxembourg, à une large majorité du parlement, sans aucune manifestation dans la rue, le Grand-Duché a supprimé le salariat des prêtres, l’enseignement religieux confessionnel à l’école publique et l’obligation pour les communes de participer aux frais du culte…
Alors, pour les trois départements du Nord-Est, pour la Guyane, pour Mayotte, et les territoires d’Outre-Mer, pour l’ensemble de la République, je vous invite à interpeller les élus, à leur demander lucidité face à l’évolution de la société et surtout courage politique !
Car, à l’évidence, entre laïcité et Concordat, il faut choisir !
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
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