Maryam Namazie, cofondatrice du Conseil central des ex-musulmans de Grande-Bretagne. 12 novembre 2016
"Ce mercredi 2 novembre, Maryam Namazie reçoit à la mairie de Paris le prix international de la laïcité, décerné par le Comité Laïcité République. Athée, laïque et communiste, Maryam Namazie a fui l’Iran des mollahs en 1980. En Grande-Bretagne, où elle réside, elle a participé à la fondation du Conseil central des ex-musulmans, pour défendre les athées de l’islam, et est la porte-parole de l’association One Law for All (« une loi pour tous »), qui se bat contre les tribunaux parallèles islamiques. En juillet 2017, elle organisera à Londres une conférence internationale pour la liberté de conscience, avec des athées et des laïcs des quatre coins du monde : « On y parlera de censure, des lois antiblasphème, de liberté religieuse, d’apostasie, des limites du rôle de la religion dans la société, des droits des femmes et des LGBT, d’athéisme, de laïcité et de bien d’autres choses. » Rencontre.
Charlie Hebdo : Parlez-nous des tribunaux islamiques (sharia courts). Comment fonctionnent-ils ?
Maryam Namazie : Il y a deux types de tribunaux islamiques en Grande-Bretagne. Les tribunaux d’arbitrages musulmans, qui existent depuis 2007, et les conseils de la charia, qui prétendent faire de la « médiation », et qui existent, eux, depuis 1982. Le gouvernement britannique ignore délibérément les violations aux droits des femmes dont ils se rendent coupables, en disant qu’il ne s’agit pas à proprement parler de tribunaux, que les femmes qui « choisissent » d’y avoir recours doivent avoir le « droit » de le faire et qu’en cas de litige elles peuvent toujours s’adresser à des tribunaux civils… Mais ce n’est pas si simple. Les conseils de la charia sont clairement un système légal parallèle. Le terme charia en lui-même signifie « loi ». Ils sont organisés comme des tribunaux. Ceux qui les président se désignent comme des « juges » et sont considérés comme tels par la communauté. Qui plus est, refuser d’y avoir recours peut être vu comme une tentation d’apostasie. Et puis, même si certaines femmes « choisissent » d’y avoir recours, cela ne veut pas dire que des violations des droits n’y sont pas commises. La charia dit par exemple que le témoignage d’une femme vaut deux fois moins que celui d’un homme, qu’un homme peut avoir quatre épouses et divorcer par simple répudiation. Le viol entre époux n’est pas puni, et la violence conjugale est systématiquement excusée.
Qui les finance ?
Tous ont un lien direct avec les Frères musulmans, les salafistes, le parti pakistanais Jamaat-e-Islami ou des organisations de prédicateurs fondamentalistes. J’ai fui une théocratie, je trouve scandaleux de voir des tribunaux de la charia en Grande-Bretagne qui appliquent certaines « lois » qu’on retrouve dans les « tribunaux de la famille » en Iran ou en Arabie saoudite. Cela dépasse le cadre du débat sur l’islam « modéré » et l’islam « extrémiste ».
Pourtant, beaucoup disent que la laïcité « à la française » est trop « agressive » et entraîne des discriminations, et que nous devrions prendre exemple sur le communautarisme à l’anglo-saxonne…
La vérité est que le communautarisme britannique augmente les discriminations, car il justifie que l’on applique des droits particuliers à ceux que l’on déclare « différents » et ne voit les citoyens qu’à travers le prisme de la religion, apportant aux problèmes de discriminations des « solutions » religieuses plutôt que sociales et politiques. La laïcité n’est pas agressive, elle est un antidote aux agressions religieuses. Dire qu’elle est agressive fait partie de la propagande de ceux qui ne veulent pas voir de limites à l’influence religieuse dans l’espace public.
Le problème, c’est que l’extrême droite instrumentalise la laïcité…
C’est vrai, la laïcité est parfois utilisée par l’extrême droite pour faire avancer ses idées racistes et xénophobes. Mais c’est l’extrême droite qu’il faut accuser, pas la laïcité ! Il est important de ne pas confondre la critique de l’islam ou de l’islamisme avec l’attaque contre les musulmans. Après tout, il y a beaucoup de « musulmans » athées, laïques, féministes, progressistes, et qui sont en première ligne dans la lutte contre les extrémistes, au péril de leur vie. Il est tout aussi important de ne pas « homogénéiser » les musulmans, parce que cela revient à abandonner des millions de gens aux islamistes, et cela empêche de voir qu’il existe de nombreux dissidents, intellectuels, mouvements politiques et sociaux qui leur résistent, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Asie et dans la diaspora. Le combat contre l’islamisme n’est pas une guerre de civilisation, mais un affrontement entre des théocrates, d’un côté, et des laïques et des démocrates, de l’autre. Et cet affrontement a lieu dans chaque pays, dans chaque ville et dans chaque foyer.
En 2008, le journal The Independent on Sunday publiait une enquête qui révélait que des milliers de musulmanes, bien que citoyennes britanniques, étaient victimes de mariages forcés, d’enlèvements, de châtiments corporels et même de « crimes d’honneur ». Et que le taux de suicide parmi les jeunes femmes d’origine pakistanaise, indienne ou bangladaise était trois fois supérieur à celui des jeunes femmes britanniques. Qu’en est-il aujourd’hui ?
La situation est identique et cela n’a rien d’étonnant. Au lieu d’être traitées comme des personnes indépendantes avec des droits civils et humains, les femmes des minorités sont vues comme membres exclusifs de leur communauté religieuse. Donc, soumises aux codes et aux « droits » de leur groupe. L’effet de cette politique est bien visible : il n’y a plus de citoyens, mais des communautés dirigées, avec l’assentiment de l’État, par des « chefs de communauté » autoproclamés, qui sont vus comme les seuls arbitres des « valeurs » de la communauté, au détriment de ceux qui luttent contre les attaques religieuses et culturelles contre les droits humains. C’est la fin du concept de citoyenneté.
C’est compliqué d’être athée, en Angleterre ?
Non, même si l’État n’est pas laïque, la société est très sécularisée. C’est facile d’être athée… si on est anglican, ou catholique. Mais c’est très difficile d’être un ex-musulman. Les athées de l’islam sont ostracisés et mis à l’écart par leurs familles, et les discriminations à leur égard – qui vont jusqu’à la violence – sont légitimées par les imams et les organisations islamistes, et ignorées par l’État. Du fait de l’influence des mouvements islamistes – qui sont vus comme des outils d’« apaisement » par le gouvernement –, du multiculturalisme qui homogénéise la « communauté musulmane » et refuse de reconnaître les dissidences – sans oublier les accusations d’islamophobie utilisées pour faire taire toute critique –, on se retrouve dans une situation où des jeunes qui sont nés et ont grandi dans ce pays n’ont ni le droit ni le choix d’être athées. Beaucoup s’en cachent, mènent une double vie – en prétendant être encore croyants, en fréquentant quand même la mosquée, en se voilant –, pour éviter d’être victimes d’ostracisme, d’abus, de violences. Résultat : dépressions, automutilations, suicides… La politique communautariste et identitaire est littéralement en train de nous tuer.
En visite à Paris l’été dernier, le maire de Londres, Sadiq Khan, a commenté la polémique sur le burkini en disant que personne ne devrait dire aux femmes comment s’habiller. Que pensez-vous de cette position ?
La religion passe son temps à dire aux femmes comment s’habiller. Sachant que les islamistes imposent le hidjab en assassinant, en défigurant à l’acide et en emprisonnant partout où ils le peuvent, « choix » est le dernier mot qui me viendrait à l’esprit. Même dans les endroits où il n’est pas obligatoire, les femmes et les jeunes filles subissent une lourde pression sociale et familiale. On leur fait honte si elles ne sont pas voilées ou « mal voilées ». La « bonne musulmane » doit être voilée. Pourtant, en dépit de ces pressions et parfois de ces violences, ici, en Occident, le débat se limite strictement au « droit » et au « choix » de porter le voile. Bien que ce droit soit parfaitement effectif, et qu’il n’y ait pas de droit correspondant à ne pas se voiler ou à se dévoiler – du moins, pas sans en subir les conséquences… Il suffit que vous questionniez le principe du voile et ce qu’il dit du corps des femmes, et tout le monde est scandalisé. Malheureusement, du fait de l’attitude de la gauche, la question du voile et de la burqa est monopolisée par l’extrême droite. La gauche a abandonné les femmes des minorités, elle les a livrées aux attaques conjointes des racistes et des fondamentalistes.
Justement, en France, tout comme dans de nombreux pays occidentaux, la gauche défend l’islam politique, en affirmant que les musulmans subissent des discriminations et que l’on doit tenir compte de leurs « revendications culturelles ».
Je suis profondément de gauche et, pour moi, cette posture est une double trahison. Une trahison envers les principes de la gauche et une trahison envers ceux qui luttent sous la botte de l’islamisme, qui n’est pas une force révolutionnaire, mais une force contre-révolutionnaire. Ces soi-disant gauchistes pensent qu’après tout les « musulmans » ne sont pas comme eux, que l’égalité et la laïcité ne sont pas pour eux, qu’ils aiment se voiler, être privés de droits fondamentaux et être soumis à la charia. Quel racisme ! Ces « gauchistes » postmodernistes veulent des politiques progressistes pour eux – ils défendent à juste titre les droits des homosexuels, l’égalité hommes-femmes et le droit de critiquer le pape et la droite religieuse –, mais d’autres politiques pour nous. Nos revendications doivent se faire dans les limites de l’islam et des politiques identitaires, et en ayant toujours en tête que nous sommes une « minorité ». En réalité, ces businessmen de la défense de l’islamisme se moquent bien des valeurs de la gauche et sont incapables de lutter contre les injustices sociales, contre la droite religieuse, contre le racisme et la xénophobie, contre les atteintes aux libertés civiles. Ils prétendent défendre les musulmans contre les discriminations, mais ils soutiennent en fait les fascistes qui nous écrasent.
Propos recueillis par Gérard Biard"
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