Revue de presse

M. Maeso : En assimilant toute critique contre Taha Bouhafs à du racisme, ses défenseurs dissuadaient ses victimes de parler (lexpress.fr , 14 mai 22)

Marylin Maeso, agrégée de philosophie, auteur de "La petite fabrique de l’inhumain" (L’Observatoire). 31 mai 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"Mais pourquoi les victimes n’ont-elles pas parlé plus tôt ?" Cette question, parfois faussement naïve, se fait récurrente depuis le début du mouvement MeToo. Le silence des agneaux dans l’abattoir fascine. À tel point qu’on en oublierait presque de disséquer le pacte des loups.

La polémique qui entoure actuellement La France insoumise suite aux accusations de violences sexuelles portées par plusieurs femmes à l’encontre de Taha Bouhafs, candidat investi à Vénissieux avant d’être écarté, offre une énième et triste illustration de ce biais plus coûteux qu’il n’y paraît. Sans se prononcer sur les actes qui lui sont reprochés et qui font pour l’heure l’objet d’une enquête interne au sein de son parti, le traitement réservé à cette affaire par les cadres de LFI permet de formuler quelques observations. Et d’éclairer, à leur lumière, un angle mort de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes au sein d’une gauche qui, se revendiquant volontiers intersectionnelle, n’en est pas à son premier carambolage.

La chronologie des faits établie par plusieurs journalistes a mis en évidence une faute politique et éthique qui vaut aujourd’hui aux Insoumis une salve de reproches scandalisés. Lorsque l’investiture de Taha Bouhafs en qualité de représentant de l’union des gauches pour la 14ème circonscription du Rhône est officiellement annoncée le samedi 7 mai, plusieurs leaders du parti sont au courant du signalement qui l’accable. Si bien que quand la députée insoumise et militante féministe Clémentine Autain reprend trois jours plus tard sur son compte Twitter le communiqué où Taha Bouhafs annonce retirer sa candidature sous la pression du harcèlement raciste dont il est la cible, et qu’elle fustige l’acharnement de l’extrême droite, d’une partie de la gauche et des médias "contre un jeune homme sans diplôme, issu des Q[uartiers ]P[opulaires] et de l’immigration", elle ne peut ignorer qu’elle file un narratif mensonger. Elle sait que s’il se retire, c’est d’abord parce que les faits qui lui sont reprochés, et qu’il omet de mentionner, l’exigent. En d’autres termes, durant plusieurs jours, LFI a joué en choeur une troublante comédie où la chute de l’enfant prodige des quartiers populaires a été dépeinte comme étant l’oeuvre d’une meute raciste s’acharnant contre sa victime, alors qu’on assistait à la disgrâce d’un potentiel agresseur.

La supercherie serait de peu d’intérêt s’il ne s’agissait que de la bonne vieille hypocrisie politicienne. Celle dont les Insoumis n’ont pas manqué de souligner l’omniprésence en rappelant fort justement à leurs adversaires de La République en marche et d’extrême droite qu’en matière d’investitures peu glorieuses, ces derniers n’étaient pas en reste. Non, le mal vient de plus loin. Ce que cette réécriture de l’histoire révèle, c’est le déni d’une gauche qui peine à s’extraire d’une vision du monde manichéenne au sein de laquelle, à force de vouloir se donner des causes absolues incarnées par des victimes immaculées, elle finit par engendrer des personnalités rendues toxiques par l’impunité qu’elle leur a conférée. En s’évertuant, depuis des mois, à amalgamer dans un même épouvantail infamant l’extrême droite qui, conformément à son ADN, s’en prend à Taha Bouhafs en raison de ses origines, avec tous ceux qui se contentent de relever depuis des années les dérapages à répétition du journaliste, elle a contribué à le rendre intouchable, et la parole de celles qui l’accusent difficile à faire entendre.

Ces dernières ont confié avoir hésité à témoigner par peur d’alimenter les attaques racistes dont Taha Bouhafs fait l’objet, et de nombreuses voix se sont élevées à gauche pour pointer la responsabilité des détracteurs du journaliste dans l’imposition de ce dilemme insoutenable aux femmes qu’il est soupçonné d’avoir agressées. Mais pas une voix pour admettre qu’en répondant à chaque grief soulevé contre Taha Bouhafs par un procès en racisme, en travestissant systématiquement les critiques de ses propos et comportements agressifs - y compris ceux qu’on lui connaissait déjà envers certaines de ses collègues journalistes - en cabale haineuse et inique, ses défenseurs ont tout fait pour dissuader les prises de parole de celles et ceux auxquels il a nui.

Pas une voix pour relever que si le journaliste a pu, dans son communiqué, dissimuler les raisons de son retrait pour mieux en faire porter la culpabilité aux autres ; s’il a pu confier à Mediapart, tout en affirmant respecter le droit des femmes à parler, que le signalement qui l’accuse était "la dernière goutte" l’ayant poussé à abandonner, incluant de ce fait les témoignages des plaignantes dans la liste des maux qui l’assaillent injustement, c’est parce que ses soutiens lui répètent à longueur d’interventions médiatiques que la seule victime, c’est lui. Que tout reproche qu’on lui adresse est une agression inadmissible contre lui et, à travers lui, contre tous les immigrés des quartiers populaires dont il est à leurs yeux le représentant incontestable.

Ceux qui doutent encore de l’inversion accusatoire à l’oeuvre et des conséquences dramatiques que ce petit jeu dangereux a engendré gagneraient à écouter les échanges qui ont rassemblé jeudi soir sur Twitter une poignée de militants, avec une brève intervention de Caroline De Haas et du journaliste de Politis Michel Soudais, au sein d’un groupe de discussion ("space") intitulé "Taha Bouhafs, entre trahisons et leçons" sous la houlette de l’islamiste Idriss Sihamedi. Si on en arrive à ce que la militante féministe à l’origine du signalement contre Taha Bouhafs se défende de faire de lui un bouc émissaire auprès d’un homme connu pour avoir tenu sur son compte Facebook des propos d’une extrême violence envers les féministes musulmanes qu’il "déteste" et "maudi[t] comme [il] maudi[t] Satan", pour s’être réjoui de l’arrivée des talibans en Afghanistan et pour avoir pris la défense de Tariq Ramadan en attribuant à toutes les femmes qui l’accusent de viol des intentions malveillantes, c’est que le renversement des rôles et des valeurs est bel et bien achevé.

Si, quand un homme est accusé de violences sexuelles, les porte-parole auxquels les victimes se confient estiment avoir des comptes à rendre à un misogyne patenté dont le mode opératoire consiste précisément à instrumentaliser les origines de l’agresseur présumé pour retourner les accusations qui le touchent en complots racistes et incriminer les plaignantes, c’est la victoire de l’inconséquence coupable de ceux qui, déplorant à juste titre l’impunité des agresseurs sauvés par leur statut social ou politique privilégié, croient la corriger en en alimentant une autre fondée quant à elle sur les discriminations que subit par ailleurs l’accusé.

"Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir", nous prévenait La Fontaine dans sa fable Les Animaux malades de la peste. Si la maxime possède une part de vérité, elle a aussi ses limites qui, faute d’être reconnues, nous condamnent à abandonner à leur sort les victimes dont le bourreau clopine. Ajoutons-lui ce bémol : "la misère n’empêche pas de devenir filou/gare au persécuté qui danse avec les loups"."

Lire "En assimilant toute critique contre Taha Bouhafs à du racisme, la gauche l’a rendu intouchable".


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