Note de lecture

M. Desmurget - Addiction aux écrans : "Je ne construis pas, maman, je tue" (G. Durand)

par Gérard Durand. 8 décembre 2021

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Michel Desmurget, La Fabrique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants, éd. Seuil, 2019, 432 p., 20 € ; Points, 2020, 220 p., 8,90 €.

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Michel Desmurget est docteur en neurosciences et directeur de recherches à l’Inserm. Son livre sur les dégâts des écrans sur la jeune génération ne manque pas d’arguments. Troubles du comportement, déficits intellectuels etc. il publie ici l’une des premières synthèses des études scientifiques sur le sujet et nous propose un travail universitaire à la lecture ardue, au long de ces 450 pages, complétées par plus de 100 autres pages de bibliographie le lecteur s’enrichit de connaissances nouvelles et trouve un homme en colère qui va démonter la plupart des idées reçues sur le sujet et les études bidon présentées par des « spécialistes » qui le sont tout autant. Colère aussi contre les médias prêts à prendre pour argent comptant les sornettes de ces faux scientifiques et de les diffuser largement dans l’opinion.

Le sujet mérite d’être pris au sérieux car la consommation récréative du numérique est colossale. Dès 2 ans un enfant de pays occidental cumule chaque jour près de 3 heures d’écran, entre 8 et 12 ans il passe à 4h45 puis à 6h45 entre 13 et 18 ans. Cela représente presque 1000 heures pour un élève de maternelle et 2400 pour un lycéen du secondaire, soit près de 40% de son temps de veille. Le danger est évident, tellement évident que les hauts cadres des entreprises du numérique prennent grand soin d’inscrire leurs enfants dans des écoles sans écrans. La morale est résumée par le journaliste et docteur en sociologie Guillaume Erner : « Livrez vos enfants aux écrans, les fabricants d’écrans continueront de livrer leurs enfants aux livres ».

Pour lutter contre l’évidence, l’industrie numérique, comme l’avait fait en son temps l’industrie du tabac, a inventé l’expert maison. Peu importe ses compétences, il doit simplement justifier d’un titre séduisant et être dépourvu de toute probité morale. C’est suffisant pour séduire des journalistes obsédés par la doctrine de l’équité. Quand deux thèses s’opposent, chacune doit pouvoir disposer des mêmes moyens pour être défendue. Comme le disait Jean Luc Godard, c’est « cinq minutes pour les juifs et cinq minutes pour les nazis ». La plupart d’entre eux pratiquent l’art d’ignorer les conflits d’intérêt, il n’arrive pratiquement pas que les déclarations d’un pseudo expert soient précédées d’une information indiquant ses liens avec telle ou telle entreprise. Cela s’applique à tous les domaines, tel le CSA approuvant la publicité alimentaire pour les tout-petits, gavés de sucre et de graisses, nous l’avons vu aussi depuis le début de la pandémie de Covid ou ces fameux experts étaient majoritairement subventionnés par des laboratoires.

L’âge est un critère essentiel, toutes les études, dans tous les domaines, apprentissage des langues, de la musique etc.. montrent que le jeune émigré de 3 ans assimilera beaucoup plus facilement le langage de son pays d’accueil que son frère de 8 ans. En fait le cerveau humain commence à se cristalliser vers l’âge de 7 ans. Il faut en conséquence privilégier cette période de plasticité maximale pour permettre à l’enfant de s’intégrer dans le monde et de se socialiser, il a besoin de jouer, d’expérimenter, de courir de sauter, de dormir, d’interagir avec d’autres enfants. Les écrans ne lui apportent que des « courants glaciaires » en détournant son temps de ces besoins essentiels. La conclusion évidente est : Pas d’écrans avant six ans et pas plus d’une heure quotidienne ensuite, l’idéal se limitant à 30 minutes.

Ecrans domestiques et réussite scolaire ne font pas bon ménage. Une étude anglaise a montré chez des enfants de 14 ans que chaque heure d’écran consommée quotidiennement fait baisser la note d’un niveau, un élève noté A qui passe à deux heures d’écran/jour n’obtient plus qu’un C après quelques mois. Une autre montre que les enfants n’ayant pas de télévision dans leur chambre ont des résultats bien meilleurs que ceux équipés, +19% en mathématiques, +17% en expressions écrite et +15% à l’oral. Cela vaut pour les tablettes, les consoles de jeu etc… Mais le record appartient au smartphone, que l’on peut utiliser n’importe où et n’importe quand, il peut faire des ravages dans les études dont le succès repose sur la réussite aux concours. Chaque heure quotidienne passées à regarder son smartphone coutera en moyenne quatre places.

Pourtant les autorités éducatives se tournent de plus en plus vers le numérique pour « aider » et même remplacer les enseignants. Difficile en effet de résister à l’économie budgétaire réalisable en réduisant ou en remplaçant les enseignants qualifiés, travaillant pour 25 élèves et de simples techniciens régulateurs pouvant contrôler 50 ou 70 élèves collés devant un ordinateur. Le Mooc (Massive open online course), cours sur un sujet donné dispensé via internet, gagne chaque année du terrain dans les universités. Bien entendu les prétendus « experts » en chantent les louanges et l’efficacité alors que les résultats prouvent le contraire. Les universités américaines sont les premières à en faire les frais. Dans un cours de microéconomie comptant 35876 inscrits, seuls 886 vont jusqu’au bout et 740 obtiennent le diplôme final. L’université de Californie abandonne cette méthode après avoir constaté entre 45 et 71 % d’abandon dans la plupart des cursus. Ce qui permet au journal Le Monde de publier un article sous le titre "Les MOOCs font pschitt". Revient l’évidence, un ordinateur ne peut pas sourire, guider, consoler, encourager, émouvoir ni faire preuve d’empathie, indispensables pour l’apprentissage.

Les écrans sapent les trois piliers les plus essentiels de l’attention de l’enfant. D’abord, les interactions humaines ; ensuite, le langage qui se trouve appauvri ; et enfin, la concentration dispersée et émiettée par le multitâches. L’individu se trouve moins pourvus des mots que ses parents lui enseignent moins, ne serait-ce que par les conversations courantes, et se trouve prisonnier d’une addiction à son smartphone. Des expériences ont montré que, même pendant les cours, la plupart des jeunes élèves ne peuvent passer plus de 6 minutes sans consulter leur écran, tant ils craignent de « rater quelque chose ».

Enfin, les écrans sont très négatifs pour la santé des enfants. Parce qu’ils réduisent le temps de sommeil, parce qu’ils augmentent fortement le temps de sédentarité et que les contenus dits « à risques » (sexuels, alcooliques, violents, alimentaires etc.) saturent l’espace audiovisuels. Or pour l’enfant et l’adolescent ces contenus sont, souvent de façon inconsciente, d’importants prescripteurs de normes. Un lycéen « normal » ça fume et ça couche sans se soucier de préservatifs. Normes qui bien souvent se répercuteront sur le comportement adulte.

Pour terminer son livre, Michel Desmurget rapporte une courte conversation entre un jeune garçon, J., accompagné de sa mère et son professeur des écoles (en REP). Je ne résiste pas au plaisir de la rapporter ici.

"Qu’est ce que tu fais de tes journées J ?
Je joue
A quoi ?
A la console.
Toute la journée ?
Non, dit maman.
Si, corrige J.
A quel jeu est-ce que tu joues ?
A Fortnite, dit J, fier. Dans deux jours il y a un nouveau niveau, je sens que je vais le réussir lui aussi.
Maman reprend la parole. Mais il construit aussi dans ce jeu, c’est pédagogique.
J. la coupe. Non, je ne construis pas, maman, je tue."

Ce livre mérite amplement un effort de lecture. A lire, chapitre après chapitre pour comprendre l’avenir qui se prépare.

Gérard Durand


Voir aussi les autres Notes de lecture dans Culture (note du CLR).


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