Note de lecture

M.-A. Burnier, F. Bon : Comment les hommes politiques font tout pour perdre (G. Durand)

par Gérard Durand. 8 juin 2020

Michel-Antoine Burnier, Frédéric Bon, Que le meilleur perde. Eloge de la défaite en politique, Balland (1986) puis Plon, 18,50 e.

[Les échos "Culture (Lire, entendre & voir)" sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Ce livre en est à sa troisième édition. La première, parue en 1986, étudiait le premier septennat de François Mitterand. La seconde, en 1998 raconte les mésaventures de Jacques Chirac. La dernière, parue en 2012, est consacrée à Nicolas Sarkozy. Si l’un des deux auteurs, Frédéric Bon, a disparu, l’ouvrage ne perd en rien de ses qualités sous la seule plume de Michel-Antoine Burnier.

L’idée du livre est originale. L’exercice du pouvoir est, en démocratie une source perpétuelle de désagréments. On vous tient responsable de tout : une vieille dame agressée, l’incorrection d’un flic, la surproduction de tomates, la neige, le gel, la canicule. Cela conduit à l’abandon d’une idée reçue que l’auteur définit simplement. « L’objectif profond des hommes politiques, ce n’est pas de s’installer à l’Elysée, de s’imposer au gouvernement ou de gagner une majorité à l’Assemblée Nationale ; l’objectif profond des hommes politiques, ce n’est pas la victoire mais la défaite. » Le livre sera donc, fidèle à son sous-titre, un éloge de la défaite en politique.

Et très vite la lecture devient jubilatoire. Des comportements incompréhensibles pour l’observateur, prennent tout leur sens avec cet éclairage. Pourquoi Strauss Kahn a-t-il fait échouer sa candidature alors qu’il avait toutes les chances de l’emporter ? Pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il choisi d’inaugurer son mandat par un cocktail bling bling qui deviendra la marque de son mandat ? Pourquoi a-t-il reçu sans broncher et avec faste le grotesque colonel Khadafi ? Pourquoi madame Alliot-Marie a-t-elle choisi d’aller passer ses vacances en Tunisie, alors en pleine révolution et d’y vanter les mérites de la police française ?

Une seule explication s’impose. Accablés par le pouvoir, tout homme politique n’aura d’autre but que de s’en débarrasser.

Mais l’exercice est délicat, le moindre faux pas peut vous faire réélire et vous priver, dans le cadre de ce nouveau mandat, d’un puissant argument : accabler votre prédécesseur !

La défaite ne s’improvise pas, il convient de la préparer soigneusement et de ne pas s’écarter de recettes dont même la plus éprouvée n’est pas infaillible. Notre auteur va donc les reprendre chapitre par chapitre.

Il y a d’abord l’incurie qu’il faut mettre en œuvre avant même d’être élu. Multiplier les promesses absurdes que l’on ne pourra pas tenir, comme la baisse des impôts compensée par des recettes imaginaires. Arrivé au pouvoir, cela exigera une politique économique désastreuse, ce qui n’est pas chose aisée car toute décision économique peut avoir des effets pervers qui en satisfaisant une partie de la population fera remonter votre cote. L’expérience fournit les ressources nécessaires. Un cadeau au patronat fera hurler les syndicats alors qu’une hausse du smic ne plaira pas au patronat. Un victoricide compétent doit donc s’attacher à mécontenter les deux.

Multiplier les dettes est un outil précieux mais il doit être manipulé avec précaution car s’il peut vous permettre d’être battu à la première élection, il obligera votre adversaire à pratiquer une politique impopulaire pour redresser les comptes et vous risquez d’être élu à l’élection suivante. Il y a quand même de grands artistes. Giscard d’Estaing lançât un grand emprunt indexé sur le cours du lingot d’or en 1973 pour 6,5 milliards de Francs. Son remboursement devait coûter à l’état 100 milliards et ne s’acheva qu’au cours du second septennat de François Mitterand.

Mais ces conditions macro-économiques ne sont pas toujours perçues par l’ensemble des électeurs et une défaite bien préparée rend nécessaire une augmentation des impôts, dont l’efficacité n’est plus à démontrer surtout si l’on a fait campagne sur leur diminution. Si l’on veut être sûr de l’échec, il faut y aller franchement et annoncer, comme l’a fait Nicolas Sarkozy, une grande réforme fiscale, un an avant l’élection. Notre auteur ne pouvait pas prévoir en 2012 que François Hollande utiliserait la même méthode dans un autre domaine avec la loi dite El Khomri. Promettre un fort taux de croissance peut aussi être efficace pour se décrédibiliser, ainsi François Fillon qui promit une croissance à 2.5 % puis à 1,75, puis à 1, pour finir à 0,5.

Mais l’incurie ne suffit pas, il y a aussi l’isolement. A peine élu, l’homme politique sérieux va s’attacher à miner sa base électorale, lancer des réformes hasardeuses, comme celle des retraites ou des 35 heures, démoraliser ses militants, provoquer une crise sociale, s’en prendre à l’Education nationale.

Pour les plus doués, donner du pouvoir à ses adversaires, même s’ils n’en veulent pas comme l’a fait Jacque Chirac avec sa célèbre dissolution qui le contraignit à nommer Lionel Jospin Premier ministre, la suite montrant que la méthode était risquée car elle perdit Lionel Jospin et fit réélire Chirac.

D’autres recettes existent : diviser son propre camp, multiplier les mensonges en s’assurant d’être pris en flagrant délit, cacher ses erreurs de jeunesse, comme l’a fait Jospin avec son passé trotskiste.

La bouffonnerie n’est pas à exclure. On peut faire le malin, comme Sarkozy sur le yacht de Bolloré alors qu’il prétendait avoir fait retraite dans un couvent, ou le même assurant qu’il se trouvait à Berlin au moment de la chute du Mur, le même encore ou d’autres (Chatel, Stirn...) payants des figurants pour se faire applaudir lors d’un déplacement, ce dont on s’aperçut aussitôt.

C’est encore Sarkozy voulant se déplacer dans un avion à l’égal du président des Etats Unis et dépensant pour cela des millions par centaines. Sarkozy toujours qui joue au chef de guerre sans se soucier des conséquences ni en avoir les moyens comme pour la Libye.

Les trois derniers chapitres sont les plus documentés et, pour moi, les plus savoureux. Ils nous disent comment perdre sa popularité, comment préparer avec soin une débâcle électorale et un bon scandale. Ici encore Sarkozy agit en expert et réussit à conduire les trois à la fois. En se brouillant avec la presse, dont une large partie lui était favorable. En faisant durer par mensonges et omissions l’affaire Bettencourt.

Mais ces techniques sont fort répandues et l’on peut s’attarder sur d’autres experts en débâcles comme M. Besancenot qui, après avoir fait passer son petit parti de 3000 à 9000 membres, le fit aussitôt redescendre à 3000. Mais nul n‘a jamais pu égaler le Parti communiste qui, par une politique à long terme et des efforts constants, est parvenu à réduire sa base électorale sous la cinquième république de 22 à 1,9 %. Impossible de reprendre ici tous les moyens de la défaite mais, pour avoir vécu ce quinquennat, on en découvre les divers épisodes sous ce nouvel angle, l’humour en prime.

Les plus avisés ne pourront que rependre la suite de l’histoire avec le quinquennat de Hollande et les premières années de Macron, sans reconnaître leurs talents de victoricides. Le premier ne put même pas aller au combat, l’histoire nous dira si le second aura ou non réussi.

Gérard Durand


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