2 décembre 2013
"Dans son arrêt, rendu le mercredi 27 novembre 2013, la Cour d’appel de Paris considère que les restrictions prévues par le règlement intérieur de Baby Loup "ne portent pas atteinte aux libertés fondamentales, dont la liberté religieuse, et ne présentent pas de caractère discriminatoire au sens de l’article L. 1132-1 du code du travail".
Les dispositions du Règlement intérieur de la crèche Baby Loup "répondent aussi, dans le cas particulier, à l’exigence professionnelle essentielle et déterminante de respecter et protéger la conscience en éveil des enfants, même si cette exigence ne résulte pas de la loi".
Mais la Cour ne s’en tient pas là, et souligne également qu’au regard, tant de la "nécessité" de "protéger la liberté de pensée, de conscience et de religion à construire pour chaque enfant, que celle de respecter la pluralité des options religieuses des femmes au profit desquelles est mise en œuvre une insertion sociale et professionnelle aux métiers de la petite enfance, dans un environnement multiconfessionnel, ces missions peuvent être accomplies par une entreprise soucieuse d’imposer à son personnel un principe de neutralité pour transcender le multiculturalisme des personnes auxquelles elle s’adresse".
Ainsi, selon la Cour d’appel de Paris, "l’association Baby Loup peut être qualifiée d’entreprise de conviction en mesure d’exiger la neutralité de ses employés".
"Le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche", poursuit encore la Cour.
Elle considère ainsi que "la formulation de cette obligation de neutralité dans le règlement intérieur (...) n’a donc pas la portée d’une interdiction générale puisqu’elle exclut les activités sans contact avec les enfants". Les magistrats de la Cour d’appel ont donc estimé que le comportement de la salariée, consistant à "se maintenir sur les lieux de travail après notification de la mise à pied conservatoire consécutive au refus d’ôter son voile islamique et à faire preuve d’agressivité envers les membres de la direction et de ses collègues", "caractérise une faute grave nécessitant" son "départ immédiat".
Aussi, la cour d’appel de Paris considère-t-elle qu’une telle "faute grave justifie le licenciement", comme l’avait jugé en première instance le Conseil des prud’hommes de Mantes-la-Jolie (Yvelines) le 13 décembre 2010, puis la Cour d’appel de Versailles le 27 octobre 2011, celle-ci ayant jugé que les enfants, "compte tenu de leur jeune âge, n’ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse".
Dans son arrêt du 27 novembre 2013 la Cour d’appel de Paris a suivi les réquisitions de son procureur général, pour prendre le contre-pied de l’arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2013 et entrer ainsi en résistance contre la juridiction suprême de l’ordre judiciaire...
Cet arrêt, parfois qualifié de "rébellion", de la Cour d’appel de Paris tranche avec la position timide et frileuse de l’Observatoire de la Laïcité qui, dans sa session du 15 octobre 2013, prétextant une éventuelle censure du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne des Droits de l’Homme, en cas d’extension par la loi de l’obligation de neutralité aux personnes et structures privées gérant les crèches accueillant la petite enfance - avait préféré "recommander au Gouvernement d’édicter une circulaire interministérielle explicitant la jurisprudence de la Cour de cassation et rappelant clairement, à destination de tous les acteurs concernés, ce que le droit positif permet et ne permet pas selon la catégorie juridique à laquelle appartient le gestionnaire".
Cette position timorée de l’Observatoire de la laïcité - d’une part niant la nécessité d’une intervention législative [1] et d’autre part consistant à prendre pour argent comptant, sans aucun esprit critique, les deux arrêts de la Cour de cassation du 19 mars 2013 [2] , précisément à un moment où, le procureur général de la Cour d’appel de Paris demandait, dans son réquisitoire, la confirmation du licenciement de la salariée de Baby Loup en invitant ainsi la Cour d’appel de Paris à la résistance contre l’arrêt très contestable de la Cour de cassation - pose le problème de l’utilité, de l’Observatoire de la laïcité [3], voire de sa légitimité [4]. [...]
Pour autant, sur le plan juridictionnel, la victoire n’est pas définitivement acquise (d’où l’intérêt de l’intervention d’une loi sur la petite enfance), car il est malheureusement probable qu’il y aura un nouveau pourvoi en cassation de la part de la salariée licenciée, et que la Cour de cassation devra se prononcer à nouveau, mais cette fois dans sa formation d’assemblée plénière... Et l’on rêve alors de pouvoir espérer que cette fois l’assemblée plénière de la Cour de cassation confirmera l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en rendant un arrêt conforme au principe de laïcité (contrairement à ce qu’avait fait le 19 mars 2013 sa chambre sociale...). Mais ça n’est pas gagné d’avance... [...]"
[1] « Il n’est donc pas possible d’appliquer le principe de laïcité à ces établissements privés en tant qu’ils participeraient à la gestion d’un service public. Imposer par la loi les règles de laïcité du public à des établissements privés non chargés d’une mission de service public, même dans un ou plusieurs secteurs seulement, serait sans doute, faute de base constitutionnelle, contraire à la Constitution (liberté de conscience) et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La notion de service public, même avec les extensions que lui donne la jurisprudence et, le cas échéant, la loi, ne paraît pas pouvoir permettre d’aligner le régime du secteur privé hospitalier ou d’accueil de la petite enfance sur celui du public, en ce qui concerne les règles de la laïcité. » (Contribution de M. Alain CHRISTNACHT, conseiller d’Etat, au Rapport d’étape de L’Observatoire [...] du 25 juin 2013).
[2] Il n’échappera en effet à aucun juriste sérieux qu’aux termes mêmes de l’article 1er de notre Constitution du 4 octobre 1958 (cf. infra note 3 ci-dessous), c’est notre République qui est "laïque". Or c’est cette République qui elle-même définit la "France". Par suite, la conception d’une laïcité qui serait limitée au seul Etat et à ses services publics - et donc laisserait en dehors de sa sphère d’application les entreprises et les services privés - serait considérablement réductrice et surtout littéralement fausse car contraire à l’article 1er de notre Constitution qui définit les conditions du "vivre ensemble" : "République indivisible, laïque, démocratique et sociale".
[3] Observatoire qui, en effet, en application de l’alinéa 1er de l’article 2 du décret du 25 mars 2007 l’instituant , s’est vu confier une mission assez minorée dans son étendue, celle "d’assister le gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité dans les services publics". Or la laïcité ne se réduit pas au fonctionnement des services publics.
[4] Si ses préconisations frileuses consistent à nous dire qu’il est urgent de ne rien faire...
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