Revue de presse

"Liberté, inégalité, "sororité"" (S. Piquet, Marianne, 29 mars 19)

5 avril 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La femme serait-elle un être humain pas comme les autres ? C’est ce que l’on est en droit de se demander à la lecture de récents articles faisant l’apologie de la « sororité », c’est-à-dire de l’idée selon laquelle les femmes devraient prioritairement être solidaires entre elles. « N’ont-elles pas oublié la sororité ? » s’interroge Libération au sujet des femmes ayant critiqué le hidjab de running en introduction d’un article d’Annie Ernaux paru il y a quelques jours. « La sororité énonce le fait qu’il y a une oppression qui s’appelle la domination masculine et qui touche toutes les femmes », écrivait le mois dernier le collectif Georgette Sand dans une tribune parue également dans Libération. Et d’ajouter : « Nous entendons faire de la sororité une exigence de conduite des femmes les unes vis-à-vis des autres. »

Il y aurait donc, selon ces néoféministes qui prônent avec ardeur la « transidentité » et la « non-binarité » et qui fustigent « l’éducation genrée », une identité féminine si forte que les relations entre femmes primeraient sur toutes les autres, quels que soient leurs opinions, leurs goûts ou leurs coutumes. Mais que faire alors des femmes qui fustigent la sororité ? De celles qui trahissent la cause féministe en défendant les hommes, pardon, le patriarcat blanc cisgenre hétéro ? Que faire des femmes qui cautionnent la lapidation d’autres femmes au mépris de ladite « sororité » ? Restent-elles quand même des sœurs avant tout ?

Cette obsession pour le sexe chez les néoféministes n’est évidemment pas sans rappeler l’obsession pour la race des antiracistes. Celles-ci n’ont de cesse que d’essentialiser la femme, en la réduisant à ses attributs biologiques ou à sa condition féminine, autrement dit à tout ce qu’elles prétendent justement combattre. Interrogée sur la condition de la femme par Bernard Pivot en 1981, Marguerite Yourcenar déclarait : « Combien de fois par jour vous sentez-vous femme, vous éprouvez-vous comme femme ? C’est beaucoup moins fréquent qu’on ne le croit. » Que voulez-vous ? La romancière était bien naïve, mais on ne saurait lui en vouloir, elle n’avait pas la chance de côtoyer le mouvement Georgette Sand.

Il y a encore autre chose. Si l’on en croit les définitions que l’on trouve sur la Toile, la « sororité » serait le pendant de la fraternité pour les femmes. Mais là où la fraternité unit les hommes par-delà leur sexe, la sororité n’unit que les femmes entre elles. Difficile de trouver meilleur moyen pour encourager les hommes à n’appliquer la fraternité qu’entre eux. De la part de personnes qui affirment que ces messieurs sont toujours solidaires parce qu’ils sont soucieux de défendre leurs intérêts et notamment le patriarcat, les violences ou encore la culture du viol, cela pourrait sembler légèrement paradoxal, mais ces féministes-là n’en sont plus à une contradiction près.

En niant l’existence d’hommes attachés à l’égalité, en faisant prévaloir l’alliance biologique sur la complicité intellectuelle et le déterminisme sur la libre-pensée, ces néoféministes exigent de toutes les femmes qu’elle les suivent dans l’impasse idéologique qui leur sert de pensée.

« Une femme est un être humain […], dans tout ce qui ne touche pas à l’ordre sexuel, ce qui est évidemment considérable comme domaine, elle se comporte et agit à peu près de la même manière qu’un homme […], ça, je crois qu’il ne faut jamais l’oublier, que, quand on pense aux femmes, on pense trop souvent à elles de deux manières, ou bien on pense du point de vue de l’homme […] ou bien on pense à la réaction des femmes qui réagissent contre les hommes et se sentent femmes en opposition aux hommes […] » disait Marguerite Yourcenar. A la lecture de ces réflexions pleines de sagesse de la romancière, on comprend mieux à quel point ce concept de « sororité » est une arnaque. Et à la lecture des féministes du collectif Georgette Sand, qui n’ont d’autre référence culturelle dans leur tribune que Batman, Tintin ou la Reine des neiges, on a effectivement bien du mal à croire que Marguerite Yourcenar puisse un jour être leur sœur."

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