"Lettre ouverte à la Première ministre de la Nouvelle-Zélande" 29 mars 2019
[Les échos des initiatives proches sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"À l’attention de la Première ministre de la Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern
Madame la Première ministre,
C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons suivi le drame qui a frappé votre pays à la suite de l’assassinat de cinquante Néozélandais musulmans dans les deux mosquées de Christchurch. Un crime odieux qui a horrifié le monde entier. Cette situation dramatique que vous vivez avec vos concitoyens nécessitera du temps et du courage pour se remettre du deuil.
Mais aucune tragédie ne peut justifier que l’on ignore les valeurs universelles d’égalité et de liberté. En tant que citoyennes et citoyens du Canada de foi et/ou de culture musulmanes, il nous apparait crucial de vous informer des retombées désastreuses de la parodie pseudo religieuse à laquelle vous vous êtes livrée avec les femmes de votre pays, sans aucun doute par ignorance et en signe de solidarité, en portant sur la tête un voile islamiste et non pas musulman. Ce voile est un symbole d’infériorisation de la femme. Sous sa forme la plus avilissante, il sert d’étendard à des groupes islamistes tels qu’ISIS [1], Boko Haram ou Chebab qui kidnappent, violent, assassinent et emprisonnent sans aucun scrupule les femmes des pays où ils sévissent. En agissant ainsi, les Néozélandaises font preuve d’inconscience envers une extrême droite religieuse qui instrumentalise les femmes pour faire avancer un agenda politique totalitaire.
Qu’en est-il de la solidarité envers les femmes musulmanes qui se battent pour se libérer de l’oppression du voile ? Comment, dans un pays aussi égalitaire que la Nouvelle-Zélande, peut-on choisir d’exprimer sa compassion en revêtant un symbole de minorisation de la femme et de ségrégation sexuelle ? Le plus avilissant est que cette initiative émane des femmes, qui le portent à titre symbolique pour quelques heures mais qui, par leur geste, contribuent à légitimer des pratiques misogynes dont sont victimes des femmes qui le portent toute leur vie.
Rappelons quelques faits. Le voile islamique n’est pas une prescription coranique. Il a été imposé en Iran après la révolution islamique de 1979, et propagé dans les pays arabes vers la fin des années 1980 avec la montée en puissance de l’organisation des Frères musulmans d’Égypte, du Wahhabosalafisme saoudien, et grâce aux pétrodollars de la monarchie saoudienne et des pays du Golfe. Ce voile est associé à la mouvance de l’islam politique, et représente son moyen de prosélytisme et de marquage du territoire le plus efficace.
Nul besoin d’évoquer les exactions commises par les différentes factions islamistes à travers le monde, pour imposer leur vision d’un islam sclérosé et revanchard. Les Algériennes et Algériens qui ont vécu les atrocités d’une guerre menée par les islamistes contre les civils, et qui ont vu des femmes assassinées parce qu’elles refusaient de se voiler, manifestent en ce moment même dans les rues d’Algérie pour un changement démocratique de la gouvernance de leur pays mais également pour l’égalité, l’émancipation des femmes et l’abrogation du code de la famille inspiré de la charia.
Comment expliquer qu’au même moment, et à l’heure où en Iran l’avocate Nasrin Sotoudeh est condamnée à 38 ans de prison et 148 coups pour sa défense de femmes refusant de se voiler, des Néozélandaises participent à normaliser le voile islamique comme symbole de l’islam ?
Madame la Première ministre, nous faisons appel à votre sens de la responsabilité pour faire cesser cette banalisation du voilement des femmes et des petites filles. Comme le dit notre compatriote Tarek Fatah, compatir avec les musulmans tombés sous les balles à Christchurch est un devoir absolu, qu’ils soient hommes ou femmes, voilées ou non voilées. Consentir à se transformer en publicité vivante pour ce symbole de l’islam politique relève d’une inconscience face à l’agenda des islamistes.
C’est en misant sur des valeurs universelles de liberté et d’égalité, au-delà de nos particularismes religieux et de nos convictions philosophiques, que l’on pourra tisser une solidarité entre les humains.
Association québécoise des Nord-africains pour la laïcité (AQNAL)
Mohand Abdelli, ingénieur retraité
Nora Abdelli, ingénieure chimiste
Radhia Ben Amor, militante associative
Djemila Benhabib, politologue et écrivaine
Leila Bensalem, enseignante
Nawal Bouchareb, technicienne en organisation scolaire à la CSDM
Ferid Chikhi, conseiller en emploi
Yasmina Chouakri, Consultante
Nadia El-Mabrouk, professeure à l’Université de Montréal
Hassiba Idir, gestionnaire
Nacer Irid, ingénieur
Hassan Jamali, professeur retraité
Ali Kaidi, militant pour la laïcité
Karim Lassel, analyste organisationnel
Leila Lesbet, technicienne en éducation spécialisée
Nacera Zergane, conseillère financière."
Lire "Lettre ouverte à la Première Ministre de la Nouvelle-Zélande".
[1] Islamic State in Irak and Syria : Daech, l’organisation Etat islamique (note du CLR).
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
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