22 février 2016
Monsieur,
Vous avez choisi, malgré l’anathème lancé contre vous par les plus obscurantistes de vos concitoyens, de vivre en Algérie. Vous avez ainsi manifesté clairement que vous ne faites pas partie de ces intellectuels algériens que les prébendes et les petits arrangements avec le pouvoir ont conduit à ne rien dire lorsque se préparaient les horreurs des années 90 et qui ont préféré ensuite mettre la Méditerranée entre eux et leurs petits renoncements. De là où vous vivez, vous écrivez, en français, montrant avec talent et élégance que la langue n’est pas celle du colonisateur -chassé désormais il y a 54 ans- mais celle de l’universel des Lumières, à laquelle et auxquelles vous rendez un hommage émouvant en dialoguant avec Albert Camus, qui fut la boussole de ceux qui, comme mon père et tant d’autres, espérèrent que l’Algérie pourrait être la patrie de tous ses enfants. Vous regardez lucidement les errances d’un islam devenu fou comme celles d’un fascisme revigoré par la xénophobie anti-arabe. Vous n’avez peur ni des barbus, ni des chemises brunes, qui les uns comme les autres, vous détestent parce que vous êtes un pont entre les hommes et que vous incarnez l’espoir laïque de la fraternité.
Moi qui suis né dans votre pays, qui était alors le mien, comme tous mes ancêtres depuis les plus reculés des temps, moi qui ferme les yeux, 54 ans après l’exil, pour retrouver la lumière et les sensations de mon enfance, moi qui, élevé par un père instituteur de la République et une mère infirmière, qui tous deux se sont dévoués sans jamais se poser la question de qui ils instruisaient ou soignaient, j’ai depuis quelques années, trouvé en vous comme en quelques autres, frères arabes de ma juiverie maghrébine et berbère, l’espoir d’une vie commune, débarrassée de tout le fatras des haines obscurantistes et des hostilités postcoloniales, attisées par les uns et les autres. Je suis lié à vous parce que la Méditerranée. Parce que ce coin précis de la plaine côtière et de l’Atlas, qui va d’Oran, votre ville, à Tlemcen, la mienne, parce que Camus, parce que cet éventail d’identifications à l’Algérie, à la France, à la langue, à ce passé qui fait de nous les porteurs de cultures si vieilles et si profondes…
C’est au nom de tout cela, Monsieur, que je veux vous dire que j’ai honte. Honte de ces petits procureurs haineux, sans talent, portant des noms aux consonances arabes, juives ou berrichonnes, enfants de la France qui leur a tout donné, et surtout l’immense avantage de ne pas être essentialisés, qui viennent aujourd’hui, de leurs petites estrades, vous donner des leçons, confits dans leur détestation de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, de la laïcité, de l’union des êtres humains. Ils veulent, ces minuscules aux titres universitaires gonflés et portés en bandoulière, ces bas bleus de la pensée communautariste, vous punir de ne pas être comme eux. M. Daoud, oubliez-les, oubliez ceux qui les approuvent au détriment de leur honneur, pas du vôtre… pas du vôtre…Nous sommes des millions qui portons au fond de nous l’héritage de la Grande Révolution. Vous avez décidé de le partager avec nous malgré Sétif, malgré le passé. Vous nous honorez et nous vous remercions de nous rappeler que nous fûmes un grand peuple en apportant au monde les Lumières. Restez avec nous, nous vous protégerons de la fange remuée par ces petits, tous petits individus. Nous sommes, avec vous, grâce à vous aussi, la France.
Jean-Pierre Sakoun
Membre du Comité Laïcité République
Comité Laïcité République
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