(L’Express, 10 août 23) 15 août 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Certaines féministes et thérapeutes prônent une conception archaïque - et ésotérique - des femmes, aux antipodes de leurs vœux d’émancipation.
Par Alix L’Hospital
Lire "Sorcières, bénédictions d’utérus… Quand le féminisme fait fausse route".
Avouons-le : pour qui est familière des longs voyages en train, l’achat en gare d’un magazine féminin promettant de se "reconnecter à sa puissance intérieure" ou d’apprivoiser son "féminin sacré" a déjà sauvé plus d’un trajet de l’ennui. Avec, à la clef, la truculente perspective de "libérer votre sorcière intérieure". Après tout, pourquoi se priver ? Depuis quelques années, même les plus féministes des féministes font la promotion de toutes sortes de croyances ésotériques.
"Si vous êtes une femme et que vous osez regarder à l’intérieur de vous-même, alors vous êtes une sorcière". C’est par ce postulat, tiré du manifeste du mouvement féministe Watch, que Mona Chollet introduit Sorcières, la puissance invaincue des femmes (La Découverte), son best-seller paru en 2018. L’auteure y explique que "la magie apparaît paradoxalement comme un recours très pragmatique, un sursaut vital". Sur le site de la Fnac, outre l’indéboulonnable Mona Chollet, Mes petits rituels de sorcière (Larousse) et Ame de sorcière ou la magie du féminin (Pocket) arrivent avant Sacrées sorcières, le classique pour enfants de Roald Dahl… Cette normalisation de l’occulte trouve aussi des relais au sein de la sphère politique. En 2019, Marlène Schiappa, alors secrétaire d’Etat, révélait au magazine Elle son intérêt pour la sorcellerie. Deux ans plus tard, l’écologiste Sandrine Rousseau déclarait "préfère[r] des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR".
Entre 2017 et 2020, la production éditoriale de non-fiction consacrée aux femmes a bondi de 15 %, particulièrement dans les domaines de la santé, du bien-être et de l’ésotérisme (+ 72 %), selon les données de Livres Hebdo. D’après un sondage Ifop réalisé en 2020, si 58 % des Français déclaraient croire à au moins une des disciplines des para-sciences (telles les lignes de la main ou la sorcellerie), les femmes étaient 63 %, contre 52 % chez les hommes.
"Délires religieux"
Dans les années 1970, certaines féministes s’étaient déjà réapproprié la figure de la sorcière. Ainsi de l’écrivaine Xavière Gauthier qui créait en 1975 la revue Sorcières. Les femmes vivent. "C’était, raconte-t-elle, au moment où se déroulait le grand combat des femmes au XXe siècle, celui pour la contraception et pour l’avortement. Comme au temps des sorcières, l’ordre des prêtres et l’ordre des médecins s’opposaient lourdement à cette liberté. J’ai pris le symbole des sorcières, pour dire notre révolte, notre force de femmes subversives et créatrices." Mais, ajoute Xavière Gauthier, les femmes qui ont participé à la revue ne se reconnaîtraient pas dans la tendance ésotérique actuelle. "Aucune d’entre nous ne se laissait aller à des délires religieux ; nous ne croyions ni aux déesses, ni au diable, ni d’ailleurs aux sorcières !"
Maryse Simon, historienne chargée de cours à l’université de Strasbourg, regrette une utilisation parfois "abusive" de la figure de la sorcière, quitte à sacrifier la réalité historique. Surtout, l’universitaire souligne que contrairement aux années 1960-1970, "l’appropriation de cette figure se fait davantage dans une démarche de développement personnel – une porte ouverte de choix pour les arnaqueurs et autres vendeurs d’amulettes."
Dans son rapport de 2021, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) alertait particulièrement sur les dangers de la théorie du "féminin sacré", présentée comme un travail de "reconnexion du corps et de l’esprit". Parmi les figures mystiques utilisées, on retrouve celle de la sorcière. "Ce concept indique être une démarche féministe pour penser la liberté de femmes et leur empowerment, souligne la Miviludes. […] En réalité, ce mouvement lucratif reposerait essentiellement sur des stages et pratiques non réglementées."
Ironiquement, la plupart des sites proposant des services pour "renouer" avec son "féminin sacré" affichent une part de gratuité. Le message implicite est qu’il s’agirait là d’une démarche dénuée de considérations pécuniaires. Au sein de L’Ecole des mystères – les éveilleuses du féminin, dont la mission est de "restaurer les rites sacrés et ancestraux du féminin", on propose un test gratuit pour découvrir son profil de "magicienne". Mais pour qui se prendrait au jeu, la note peut atteindre des sommets. Afin d’effectuer le "cycle complet des quatre portails en présentiel de quatre jours", comptez 3 500 euros.
"Archétypes" de femmes
Le coût de ces "voyages sacrés" apparaît d’autant plus exorbitant que ces derniers charrient souvent une conception de la femme frisant la caricature. L’Ecole des mystères - qui n’a pas donné suite à nos sollicitations - propose ainsi d’explorer les "archétypes" de femmes tels la sorcière, l’amante, l’amazone ou encore la déesse mère. Un concept inspiré des théories du psychiatre Carl Jung et repris par la thérapeute autoproclamée Miranda Gray, l’une des grandes prêtresses du "féminin sacré". Selon elle, la femme passerait par quatre états selon les phases de son cycle ovulatoire : la jeune fille (pré-ovulatoire), la mère (ovulatoire), l’enchanteresse (prémenstruelle), la sorcière (menstruations). Miranda Gray a popularisé la "bénédiction de l’utérus", qui vise à "harmoniser" les énergies de la femme, et conseille de synchroniser son quotidien avec le cycle de la lune et des menstruations. "Ces conseils et ces rituels, qui ne font l’objet d’aucun consensus scientifique, sont présentés comme des règles impératives au bien-être féminin", met en garde la Miviludes.
Selon Illana Weizman, essayiste et militante féministe, cette rhétorique prêtant aux femmes une énergie particulière parce qu’elles seraient des femmes est "essentialisante à bien des égards, car elle aboutit à réassocier des attributs biologiques, comme l’utérus, à une conception archaïque de la femme, qui serait intrinsèquement douce, pourvoyeuse de soins, maternelle. En définitive, le danger de ces mouvances est justement de revenir à quelque chose d’antiféministe !".
"C’est une vraie force que d’avoir conscience de son corps", défend Amma Polovtseva, créatrice d’Amma Soul. Cette "Moon Mother niveau 3" - comprendre qu’elle a reçu une formation lui permettant de réaliser des bénédictions de l’utérus - confie organiser son temps en fonction de ses cycles : "Si j’ai besoin de faire quelque chose de très intellectuel, je vais le faire lors de la phase de la jeune fille (juste après les règles, où mon énergie est haute et mon intellect aiguisé). Si je dois gérer un conflit, je serai plus apte à le faire quand je serai dans la phase de la mère…"
Mathieu Repiquet, du collectif No FakeMed, observe ce phénomène depuis 2021. "Le danger principal de ces pratiques est qu’elles en prédisposent certaines à dériver vers les pseudos médecines promettant de soulager de véritables pathologies par des ’bénédictions d’utérus’". Pour Mathieu Repiquet, ces dérives "se nourrissent des faillites du système médical classique". Il prend l’exemple de l’absence de diagnostic sur l’endométriose qui "peut davantage pousser certaines femmes à chercher des réponses ’simples’ dans des pratiques ésotériques". Certaines thérapeutes promettent ainsi de "transformer" ces troubles du "féminin blessé", qu’il s’agisse d’un cancer de l’utérus ou encore de problèmes de fertilité. "Transformer" ? C’est sans doute dans l’ambiguïté entre soutien émotionnel et promesse de traitement que réside le danger principal de ces pratiques. Quand la sororité devient l’ennemi des femmes…"
Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier L’Express "L’inquiétant essor de l’ésotérisme" (10 août 23), les rubriques Complotisme, Sectes, Femmes-hommes (note de la rédaction CLR).
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