Revue de presse

"Les jeunes sont-ils devenus antilaïques ?" (S. Grzybowski et M. Lom, Marianne, 29 fév. 24)

(Marianne, 29 fév. 24). Samuel Grzybowski, fondateur de l’association Coexister ; Martin Lom, président de l’association Génération Charlie. 10 mai 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Les jeunes sont-ils devenus antilaïques ? On en débat avec Samuel Grzybowski et Martin Lom

Propos recueillis par Hadrien Brachet

L’un a fondé le « mouvement de jeunesse interconvictionnel » Coexister, qu’il a depuis quitté. L’autre est président de l’association Génération Charlie, qui veut défendre auprès des jeunes « les valeurs et l’héritage de "Charlie Hebdo" ». « Marianne » a réuni en visioconférence Samuel Grzybowski* et Martin Lom pour débattre de la laïcité et du rapport des nouvelles générations à ce principe.

Marianne : Comment définissez-vous la laïcité ?

Samuel Grzybowski : La laïcité est un principe constitutionnel et républicain. Il se décline notamment dans un principe d’organisation de l’État au service de la devise républicaine dans le champ des religions et des convictions. Il permet la liberté de convictions, l’égalité de tous les citoyens devant la loi et la concorde nationale.

Martin Lom : C’est un principe de liberté de conscience, de libre exercice des cultes, mais aussi d’égalité. Le discours à géométrie variable sur les religions n’est pas un discours laïque. Toutes les religions doivent être logées à la même enseigne.

La loi de 2004 sur le port de signes religieux ostensibles à l’école vous paraît-elle conforme à ce principe de laïcité ?

S.G. : Si j’avais été parlementaire en 2004, j’aurais voté cette loi. Elle a été conçue pour traduire l’idéal laïque de Jules Ferry d’une école républicaine dans laquelle les citoyens peuvent découvrir l’entièreté de leur identité au-delà de leurs identités religieuses. Sans pour autant interdire aux élèves d’en parler ni exiger leur neutralité, puisque celle-ci est le fait de l’État et non des citoyens – à moins qu’ils ne soient agents du service public. Néanmoins, le débat public autour de ce texte a ouvert une boîte de Pandore, largement franchie avec les abayas ou la loi sur le séparatisme, qui se caractérise par la volonté d’étendre la sphère de neutralité aux citoyens et au domaine privé.

M.L. : La loi de 2004 est en parfaite conformité avec la loi de 1905, qui prévoit deux types de limite à la liberté d’exercice des cultes : l’ordre public et la protection de la liberté de conscience. Si la loi de 2004 ne remet pas en question le fait qu’il y a une neutralité de l’État et non des citoyens, on considère cependant que les élèves ne sont pas des usagers des services publics comme les autres. Ils sont en pleine construction citoyenne et doivent pouvoir s’émanciper. Sur l’abaya, le Conseil d’État a tranché en 2023 sur le fait qu’il s’agit, dans le contexte actuel, d’un signe qui manifeste ostensiblement une appartenance religieuse. En réalité, le débat sur l’abaya montre bien que les religions prosélytes trouvent toujours un moyen de s’affirmer et d’aller titiller la République à l’école.

Y a-t-il au sein de la jeunesse une forme de méfiance à l’égard de la laïcité et du modèle républicain ?

S.G. : Il y a surtout une déception vis-à-vis de la promesse républicaine non tenue de liberté, d’égalité et de fraternité. On le voit à travers le racisme et les agressions antireligieuses, mais aussi avec des services publics qui ne sont pas à la hauteur. Par ailleurs, une partie des jeunes s’est bien rendu compte que la laïcité était utilisée par certains, non comme un moyen de protection face au pouvoir d’institutions religieuses – comme l’Église toute puissante au début du siècle dernier –, mais pour exclure et se méfier de la foi de certains citoyens. Parce qu’ils auraient une appartenance religieuse, en particulier musulmane, mais pas seulement, ces derniers seraient moins rationnels. Je pense donc que cette méfiance est plus forte dans notre génération. Or si nous sommes fidèles à l’esprit d’Aristide Briand sur la laïcité et à celui de Jean Jaurès sur la République sociale, il n’y a aucune raison pour que la génération qui vient continue de s’en méfier.

M.L. : J’aimerais bien comprendre comment on peut considérer, comme le soutiennent des discours sur les réseaux sociaux, que la laïcité viserait particulièrement les musulmans. Alors qu’on fête les 20 ans de la loi de 2004, je voudrais rappeler que la commission Stasi, dont les travaux ont abouti à ce texte, s’est fondée sur les témoignages de jeunes filles qui étaient confrontées à une injonction à la pudeur de la part de leurs pairs. La laïcité est un principe qui les protège ! Bien sûr qu’il y a des promesses non tenues de la République, cependant elles ne doivent pas être vues comme des arguments pour justifier les attaques contre la laïcité.

Je ne suis pas pour l’opposition entre l’accompagnement des jeunes, d’un côté, et la fermeté dans les textes, de l’autre. On ne peut pas nier qu’il y a un retour de l’entre-soi religieux à l’école. Ma génération est plus encline à se diriger vers des modèles anglo-saxons de multiculturalisme. Si la laïcité était bien expliquée, elle pourrait être un ciment qui créerait du commun. Les divisions peuvent venir effectivement d’un discours pseudo-laïque de l’extrême droite mais aussi d’une partie de la gauche, qui capitalise sur des mauvaises interprétations de la laïcité.

Pensez-vous que critiquer ou caricaturer la religion ne va pas de soi pour les jeunes ?

M.L. : Oui, beaucoup de jeunes ne comprennent pas l’intérêt de caricaturer telle ou telle religion. Ma génération est fracturée sur cette question. À sa création, Charlie Hebdo était un journal contestataire, avec une forme de fraîcheur, progressiste et moderne. Aujourd’hui, des jeunes tiennent des positions que pouvaient avoir leurs aînés dans les années 1970, qui étaient alors offusqués par ce qu’était ce journal.

S.G. : C’est un phénomène inquiétant. Il faut se méfier des intégrismes qui, au sein de chacune des communautés religieuses, peuvent expliquer que le blasphème serait un délit, et aussi défendre la violence ou l’homophobie. Pour autant, je ne crois pas que la laïcité soit l’instrument destiné à examiner les problèmes de conservatisme au sein des religions. L’outil qui permet de libérer les croyants de cette bigoterie, c’est l’éducation dans la justice, c’est-à-dire dans le respect des luttes de chacune des populations qui vivent des discriminations systémiques. Ces jeunes qui ne supportent pas qu’on critique leur communauté religieuse s’attachent au seul espace qui, de leur point de vue, les protège. Les conservateurs de tout poil les recrutent en s’appuyant sur les injustices dont ils sont victimes dans la société.

M.L. : Il faut décorréler les questions d’opposition à la laïcité et d’abandon par la République. Il y a des personnes qui n’ont manqué de rien et qui tiennent les mêmes discours contre la République. La laïcité fait partie des outils principaux pour lutter contre l’homophobie, le racisme, l’antisémitisme ou les inégalités de genre et permettre aux élèves de s’émanciper.

* Gagner. Pour que la politique change (vraiment) nos vies, ouvrage collectif, Au diable vauvert, 2024.



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