Revue de presse

"Les forçats de la liberté : Madeleine Pelletier, l’émancipée qui ruait dans les brancards" (Y. Diener, Charlie Hebdo, 13 juil. 22)

Yann Diener, psychanalyste, chroniqueur à "Charlie Hebdo". 13 juillet 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"« Sur notre corps, notre droit est absolu. » Nous sommes au tout début du XXe siècle, c’est Madeleine Pelletier qui parle. Née en 1874 dans une famille pauvre qui tient une échoppe aux Halles de Paris, Madeleine Pelletier est devenue médecin, pionnière du féminisme, militante pour le droit à l’avortement, avant de tomber dans l’oubli.

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J’ai découvert Madeleine Pelletier en lisant son livre L’Émancipation sexuelle de la femme, d’abord publié en 1911 et opportunément réédité, en juin dernier, par les excellentes éditions La Variation.

Madeleine Pelletier quitte l’école à 12 ans, mais elle fréquente assidûment les bibliothèques municipales pour passer son bac en candidate libre, à 24 ans. Une bourse de la Ville de Paris lui permet de commencer des études de médecine en 1899. Elle fait le cursus en cinq ans. Pendant ses études et ses stages, elle est ostracisée par les hommes, alors elle décide de se couper les cheveux et de s’habiller « en homme », c’est-à-dire de porter un pantalon, ce qu’elle fait sans demander l’autorisation au préfet, comme l’exige l’ordonnance du 7 novembre 1800 « concernant le travestissement des femmes ». Elle écrira plus tard : « Mon costume dit à l’homme : je suis ton égale »  ; et puis : « Je montrerai les miens [de seins] dès que les hommes commenceront à s’habiller avec une sorte de pantalon qui montre leur… »

Les femmes sont tout juste autorisées à préparer l’internat dans les hôpitaux, mais pas encore dans les asiles psychiatriques, où Madeleine veut exercer – elle lit Freud, et soutient sa thèse sur « L’Association des idées dans la manie aiguë et dans la débilité mentale ». Aidée par Marguerite Durand, qui dirige le journal féministe La Fronde, elle lance une campagne de presse qui aboutit à un changement du règlement, ce qui lui ouvre les portes de l’internat en psychiatrie. Mais elle rate le concours, et n’est donc pas nommée psychiatre. Elle va alors pratiquer comme généraliste, et sera nommée médecin des Postes. Du fait de sa marginalité, ses patients sont rares. Elle s’inscrit sur la liste des médecins de nuit. Elle soigne surtout les pauvres et les prostituées, et milite pour la liberté des femmes à disposer de leur corps : elle fonde la revue La Suffragiste en 1907, puis participe, à Londres, à la manifestation historique réunissant 500 000 suffragettes. En 1908, elle brise les vitres d’un bureau de vote à Paris pour protester contre l’exclusion des femmes du suffrage. Et puis elle est candidate aux élections législatives à Paris en 1910 : pour protester contre l’inéligibilité des femmes, la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) présente des candidatures féminines illégales.

C’est en 1911 que Madeleine Pelletier publie L’Émancipation sexuelle de la femme, dont le premier chapitre est intitulé « Une seule morale pour les deux sexes ». Elle défend ouvertement ce qui ne s’appelle pas encore l’IVG, publiant en 1913 Le Droit à l’avortement, et pratiquant elle-même des interruptions de grossesse.

Membre active de la SFIO, elle fait adopter une résolution en faveur du suffrage féminin au sein du parti. Après avoir fréquenté des groupes anarchistes et des loges maçonniques, elle adhère au Parti communiste en 1920, mais s’en éloigne après un voyage en URSS. Elle participe à des meetings antifascistes. En 1933, à 59 ans, Madeleine Pelletier publie un roman autobiographique, La Femme vierge, où elle dit combien lui est insupportable l’idée même d’avoir été, dans le ventre de sa mère, « mêlée aux boyaux et au caca ».

En 1937, elle est mise en cause pour avoir avorté une jeune fille de 14 ans qui a été violée par son frère. L’affaire aboutit à un non-lieu, mais elle est à nouveau poursuivie en 1939. Elle n’est pas inculpée, du fait de son état de santé – elle a fait un AVC qui l’a laissée hémiplégique –, mais elle est déclarée « dangereuse pour elle-même et pour les autres », avant d’être internée en mai 1939 à l’asile psychiatrique de Perray-Vaucluse, à Épinay-sur-Orge (91), où elle meurt en décembre de la même année.

Je garderai gravé en mémoire ce propos hyper moderne au cœur de L’Émancipation sexuelle de la femme : « Stéréotypé dans l’espace, le commun des hommes l’est aussi dans le temps. »"

Lire "Madeleine Pelletier : l’émancipée qui ruait dans les brancards".


Voir aussi dans la Revue de presse "Les forçats de la liberté" (Riss, Charlie Hebdo, 13 juil. 22) (note du CLR).


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