6 mars 2015
"Les attaques contre cette minorité ont triplé en deux ans dans la République laïque, où une mouvance proche du pouvoir espère parvenir à instaurer un État religieux hindou.
De l’église Saint-Sébastien, il ne reste que les murs. Le reste a brûlé le 1er décembre. Encore sous le choc, le pasteur Anthony Francis se lamente au milieu des cendres : « Regardez au plafond, les flammes sont montées si haut que les ventilateurs ont fondu. » Le seul rescapé, un christ en croix, a laissé ses deux bras dans le brasier. « Nous avons décelé des flaques d’essence après l’incendie, pointe Anthony Francis. La police a voulu croire à un court-circuit, mais ce n’était pas un accident. »
Tandis que l’église Saint-Sébastien partait en fumée à New Delhi, les attaques se multipliaient à travers l’Inde : agressions contre le clergé et les convertis, lieux de culte vandalisés ? Cinq chrétiens ont été assassinés l’an dernier, dont un pasteur poignardé par des extrémistes hindous. Dans un rapport publié en janvier, le Christian Catholic Secular Forum, basé à Bombay, a dénombré 365 incidents l’année passée. Cette recrudescence coïncide avec l’arrivée au pouvoir l’an dernier duBJP (le Parti du peuple indien), la droite nationaliste hindoue. Le BJP est la vitrine politique du RSS, une mouvance qui veut instaurer un État religieux hindou dans cette République laïque.
Alors que les attaques contre les lieux de culte se succèdent à Delhi en décembre et en janvier, le premier ministre, Narendra Modi, garde le silence. Puis le 17 février, quatre jours après une sixième attaque contre une institution chrétienne dans la capitale indienne, il déclare publiquement : « Mon gouvernement interdira aux groupes religieux quels qu’ils soient d’inciter à la haine. Nous ne tolérerons aucune violence. »
L’archevêque de Delhi, Anil Couto, attend davantage : « Le premier ministre doit réfréner les fondamentalistes, les empêcher d’imposer leur programme. Le christianisme est arrivé en Inde avec saint Thomas au Ier siècle. Mais ils nous considèrent comme un héritage de la colonisation anglaise, une menace pour la cohésion nationale. Ils pensent que nous menaçons la prédominance de l’hindouisme en convertissant des hindous. »
Les chrétiens représentent 2 % de la population dans un pays hindou à 80 %. Ces derniers mois, le RSS ainsi que ses alliés du Bajrang Dal et du Vishva Hindu Parishad ont multiplié les cérémonies dites « ghar wapsi » (retour au foyer), pour convertir des chrétiens à l’hindouisme.
La crainte des extrémistes hindous d’un recul de l’hindouisme est ancrée dans l’histoire. Au XIXe siècle, l’autorité britannique avait encouragé les missionnaires évangéliques. Aujourd’hui encore, les missions pentecôtistes sont réputées très prosélytes en Inde, ciblant les populations tribales et les intouchables. Cinq États du pays appliquent d’ailleurs une loi anticonversion pour endiguer le phénomène.
Et depuis quelques semaines, ministres, députés du BJP et cadres du RSS militent pour qu’une loi similaire soit votée au Parlement fédéral. « Le texte qui encadre les conversions dans certaines régions impose aux convertis d’informer l’administration de leur choix. Nous voulons seulement empêcher les conversions forcées », justifie Narashima Rao, le porte-parole du BJP.
Colin Gonsalves, avocat à la Cour suprême, juge cette législation discriminatoire. « Dans les États où ce texte est appliqué, les fondamentalistes hindous s’en servent contre les minorités. Par exemple, quand un hindou veut se convertir et qu’il en informe les autorités, celles-ci alertent les radicaux hindous. Ces derniers rendent visite à la famille du converti. Ils font pression, y compris par la violence, pour qu’il renonce à son choix. En revanche, s’il s’agit d’un chrétien qui veut se convertir à l’hindouisme, personne ne s’y oppose. »
Les extrémistes hindous militent avec d’autant plus de conviction pour une loi anticonversion qu’à leurs yeux, les chrétiens qui se tournent vers l’hindouisme ne se convertissent pas : ils reviennent à leur religion de naissance. « Ces personnes se sont détournées de l’hindouisme. Il n’y a rien de mal à les ramener dans le droit chemin », a récemment déclaré le chef du RSS, Mohan Bhagwat.
Le BJP assure toutefois que la loi sur les conversions n’est pas une priorité du gouvernement. « Nous nous concentrons sur les réformes et le développement économique », insiste Narasimha Rao. Le parti a subi sa première défaite électorale depuis les législatives en perdant le scrutin local à Delhi le 10 février. L’électorat attend en priorité des améliorations sur les fronts de l’inflation et de l’emploi."
Lire "Les fondamentalistes hindous ciblent les chrétiens en Inde".
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