Revue de presse

"Les élus (trop) cultes" : Philippe Grenier, "le prophète de Dieu" (B. Fuligni, Marianne, 4 août 22)

Bruno Fuligni, historien, maître de conférence à Sciences-po (IEP Paris). 3 septembre 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"« Lisez plutôt la Bible », lança en 1998 Christine Boutin à l’adresse de la représentation nationale pour s’opposer au pacs. Bien avant elle, bigots et dévots ont défilé dans l’Hémicycle.

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[...] Lors de ses voyages en Algérie, l’homme s’y est converti à l’islam, puis a fait le pèlerinage de La Mecque. Revenu au pays, le docteur Grenier est considéré comme un saint homme, et ses patients lui passent bien volontiers cet habit de Bédouin qu’il a pris l’habitude de revêtir dans les paysages enneigés du Doubs. Au premier tour de l’élection, il réalise un score honorable, mais ce curieux radical-socialiste musulman ne vient qu’en troisième position. Le retrait en sa faveur du candidat arrivé deuxième le fait élire, à la surprise générale, par 5 141 voix contre 4 856. Pour Philippe Grenier, ce carambolage électoral ne peut qu’exprimer la volonté divine : « Allah veut que j’enseigne sa religion à la Chambre ! » Dans cette entreprise, le musulman de Pontarlier trouve une auxiliaire de choix : la presse. C’est la trêve des confiseurs, les chroniqueurs politiques manquent de copie, quand cette élection d’un converti leur apporte sur un plateau le sujet de l’année.

Pour le Soir, il s’agit d’un déséquilibré, « jadis soumis à une surveillance médicale spéciale ». Faux ! D’ailleurs, si la Liberté juge sa profession de foi trop longue, « il est impossible de dire que c’est une œuvre de déraison et que l’on a affaire à un maniaque dont l’esprit enfante les conceptions les plus excentriques. Le docteur Grenier y apparaît comme un réformateur minutieux ». Ce sont justement ses airs de doctrinaire subversif qui le rendent suspect à droite. Ainsi, les monarchistes du Gaulois se méfient du prophète « qui viendra réclamer des droits civils et politiques en faveur de ses frères d’Algérie, et l’impôt progressif sur le revenu contre ses frères de France ». Le Temps, conservateur, voit venir « la polygamie autorisée, l’admission des mahométans aux fonctions publiques, la reconnaissance officielle de leur culte ». La Croix ne se montre guère plus charitable : « L’exclusion des catholiques, auxquels on préfère tous les rastaquouères, pourvu qu’ils aient l’impiété dans l’âme, devait amener un musulman. Nous avons cette honte. Le renégat était, il y a encore quelques années, l’être le plus odieux à la France chrétienne ; aujourd’hui il en est le député. Cela montre le chemin accompli. »

Pourtant, une fraction des catholiques ne fait pas si mauvais accueil à l’apostat. « J’aime encore mieux voir entrer à la Chambre un mufti sincère qu’un mufle déguisé » résume un éditorialiste du National. La République sort à peine du Panama, le grand scandale politico-boursier. C’est pourquoi on apprécie tant la « sincérité » de Philippe Grenier, que salue aussi Jean Jaurès, dans le Matin du 29 décembre 1896, en adressant une véritable lettre ouverte « au prophète de Dieu » : « Laissez-moi vous dire, avec cette sincérité que vous semblez aimer, que votre élection est un des événements les plus considérables de ces dernières années » écrit le député du Tarn à son nouveau collègue du Doubs. « Ce qui est important dans votre élection, et peut-être décisif, c’est que, par vous, pour la première fois, pénètre au Parlement un député des Arabes… »

Pour Philippe Grenier, la voie est tracée. Il ne lui reste qu’à convaincre la Chambre. Or celle-ci n’est guère disposée à l’entendre. « Mon cher collègue, le carnaval est fini », lui lance l’austère président Brisson ; et quand le député, ainsi que l’indique le compte rendu officiel, « se présente à la tribune et s’incline en portant la main à son front » c’est en trop : « La Chambre me permettra sans doute de faire remarquer à qui de droit que les chambres législatives ne sont pas faites pour les manifestations d’un culte (applaudissements) mais simplement pour la discussion des lois et des propositions qui leur sont soumises » tonne le président. Grenier obtient tout de même un petit local pour faire ses prières – ses tentatives d’ablutions en bord de Seine ayant provoqué des attroupements de badauds aux abords du Palais-Bourbon. [...]"

Lire "Philippe Grenier, "le prophète de Dieu" : avant Christine Boutin, ces élus (trop) cultes".


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