"Les écoles privées hors contrat, une galaxie éclectique à la marge du système" (Le Monde, 27 av. 12)

30 avril 2012

"Écoles « alternatives » de type Steiner ou Montessori, écoles catholiques « tradi », écoles autogérées d’inspiration altermondialiste, écoles bilingues, internationales ou régionales, écoles pour enfants précoces, dyslexiques… La galaxie des écoles dites hors contrat semble bien éclectique, et méconnue. « Un angle mort », lâche-t-on au ministère de l’éducation nationale.

Ces établissements ont vu le jour en marge du système classique, souvent à l’initiative de familles qui revendiquent le « libre choix de l’école ». Et prennent en charge leur fonctionnement. Ces écoles sont rassemblées sous l’appellation d’enseignement privé hors contrat - par opposition à l’enseignement privé sous contrat avec l’État, qui accueille 2 millions d’élèves.

Un secteur en croissance ?

« Sans conteste », répond Anne Coffinier, directrice générale de la Fondation pour l’école, qui défend l’essor de ces établissements et s’est vu reconnaître le statut d’utilité publique. « Trente et une écoles hors contrat ont vu le jour en 2011, contre une vingtaine par an en moyenne depuis 2004 ». Quelque 900 structures - 348 écoles, 111 collèges, 181 lycées généraux et technologiques et 259 lycées professionnels - ont été recensées à la rentrée 2011 par la Rue de Grenelle.

Elles attirent « les déçus de l’éducation nationale », assure Anne Coffinier, « des parents mais aussi des enseignants effrayés de la baisse du niveau scolaire, rebutés par un système rigide et cassant… et qui veulent en inventer un autre ».

Un besoin plus fortement ressenti en 2011, semble-t-il, année marquée par 16 000 suppressions de postes – 80 000 depuis 2007. « La création d’écoles indépendantes permet d’assurer la continuité du service public d’éducation dans les zones les plus mises à mal, comme en milieu rural », affirme la jeune énarque et normalienne, citant l’exemple de maires « convertis au hors contrat » dans l’Ariège ou le Puy-de-Dôme.

Pour qui ?

« Ces écoles se constituent sur des ‘niches’, offrant une alternative pour des familles majoritairement issues des classes supérieures et moyennes, même si les classes populaires n’en sont pas exclues », explique la sociologue Agnès van Zanten, directrice de recherches au CNRS. L’option est coûteuse : entre 60 euros et 800 euros par élève et par mois, estime-t-on.

Mais elle attire des parents d’élèves estimant avoir un rôle à jouer dans le choix des méthodes et de la pédagogie, souvent à la recherche d’un encadrement philosophique ou spirituel « différent », parfois d’un niveau de discipline « particulier », voire de non-mixité… « Les attentes sont très diverses, souligne Agnès van Zanten. C’est moins un réseau qu’une collection d’écoles qui n’entretiennent pas nécessairement de lien entre elles. »

Un ensemble au périmètre très limité : 24 860 écoliers, 32 749 collégiens et lycéens, selon le ministère. Quelque 58 000 élèves… sur 12 millions au total.

Un risque de dérives ?

« C’est une des idées fausses que l’on se fait sur le hors contrat », soutient Anne Coffinier, qui a récemment constitué un annuaire de ces établissements. « Contrairement aux idées reçues, trois sur cinq ne se réfèrent à aucune foi particulière », dit-elle. Si elle reconnaît que le « hors contrat » compte aussi des écoles traditionalistes – comme celles de la Fraternité Saint Pie X -, qu’il attire des familles parfois déçues par l’enseignement catholique « sous contrat » ou qui n’y ont pas trouvé de place – avec 30 000 à 40 000 demandes insatisfaites en 2011 -, elle juge infondés les « soupçons de dérives intégristes » pesant sur le « hors contrat ».

Infondée, aussi, la proposition de résolution déposée par des députés socialistes – Jean Glavany en tête – en mai 2011, visant à créer une commission d’enquête sur les pratiques de ces écoles – « proposition retoquée », rappelle-t-elle. « Je travaille à plein-temps sur ces établissements et je peux vous assurer qu’ils sont plus surveillés que n’importe quelle école publique. En dix ans, la Miviludes [mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires] n’a jamais trouvé un seul cas de dérive sectaire. »

Des structures hors contrôle ?

« Dans les textes, une inspection de ces établissements peut être prescrite chaque année, confirme Patrick Roumagnac, secrétaire général du SIEN-UNSA, le principal syndicat des inspecteurs de l’éducation nationale, « mais dans les faits, c’est plutôt une tous les trois ou quatre ans dans les écoles hors contrat, et une par an lorsque l’instruction est délivrée à domicile. »

C’est là « à la maison », que le risque de dérive peut exister, estiment les inspecteurs, davantage que dans les écoles hors contrat où leurs visites sont « bien accueillies ». La tâche n’est pas simple pour autant : « On doit s’assurer de l’acquisition du ‘socle commun de connaissances et de compétences’ à 16 ans, sans porter de jugement sur les étapes, la pédagogie, les manuels utilisés, car ces écoles sont libres de s’affranchir des programmes et de choisir les méthodes qui leur conviennent », rappelle M. Roumagnac. Libres, aussi, du choix de leurs enseignants, pas toujours diplômés de l’éducation nationale.

Un impact sur l’école publique ?

« Pas à mon sens, car l’essor des établissements hors contrat mérite d’être nuancé », répond l’historien de l’éducation Bruno Poucet. « La liberté d’enseignement est un principe en France. Des parents qui estiment que l’école officielle ne répond pas à leurs attentes, il y en a toujours eu, explique-t-il. Les écoles indépendantes accueillaient même deux fois plus d’élèves il y a un demi-siècle. »

En 1959, au moment du vote de la loi Debré – qui régit aujourd’hui encore les rapports entre les établissements privés et l’État -, on recensait quelque 100 000 élèves dans 310 établissements hors contrat, rappelle-t-il. « Et puis, ça veut dire quoi une école qui ouvre ?, interroge l’historien. Il faut savoir pour combien d’enfants, et pour combien de temps. Les ‘boîtes à bac’, très en vogue dans les années 1980, ont subi la crise économique. Une poignée de petites structures confessionnelles se sont créées, catholiques mais aussi juives, protestantes ou musulmanes. Des ‘écoles nouvelles’ ont fleuri ça et là. Mais beaucoup sont menacées de fermeture dès que l’investissement des parents se réduit. »

Si Bruno Poucet reconnaît que les créations d’écoles disent beaucoup de l’état de tension des familles, de leurs attentes insatisfaites, « celles-ci font encore massivement confiance à l’éducation nationale », assure-t-il.

« Opposer systématiquement école publique-école privée enferme le débat », avance Anne Coffinier. La Fondation pour l’école a lancé, le 3 avril, depuis le Palais Bourbon, un appel à expérimenter des ‘charters schools’, ces écoles publiques de gestion privée en développement dans les pays anglo-saxons notamment.

L’idée n’a pas, semble-t-il, trouvé d’écho parmi les prétendants à l’Élysée.

Mattea Battaglia"


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