Revue de presse

"Les clubs sportifs inquiets de l’entrisme des islamistes radicaux" (Le Figaro, 7 juin 17)

9 juin 2017

"[...] Depuis la publication, fin 2015, dʼune note confidentielle du Service central du renseignement territorial (SCRT), « Le sport, vecteur de communautarisme, voire de radicalisme », les clubs ont pris conscience des risques. « Cʼest un phénomène que lʼon retrouve partout en Europe, mais que lʼon ne veut pas voir, souligne Médéric Chapitaux, ancien gendarme, fonctionnaire du ministère des Sports devenu consultant. Et auquel personne nʼa encore trouvé de parade efficace… Les fédérations sportives nʼont aucun moyen juridique pour évincer un éducateur sportif fiché S, par exemple. Or son influence peut être considérable, puisquʼil peut préparer en même temps le corps et lʼesprit à un objectif précis. »

Où trouve-t-on de jeunes proies faciles à embobiner ? « Dans les clubs de sport ! répond Patrick Karam, vice-président de la région chargé de la jeunesse et des sports. On estime quʼune radicalisation, ça peut prendre trois mois seulement : cʼest donc une course contre la montre. » Lʼidée du conseil régional : « mettre en place un réseau dʼalerte qui va nous permettre dʼapporter des réponses éducatives pour empêcher tout basculement ». « Il y a parfois des signaux faibles, et, le temps que lʼon comprenne, le gamin a basculé, déplore Patrick Karam. Jusquʼà présent, cʼétait une question de survie, pour les clubs, les fédérations, de se réfugier dans lʼomerta. Rendez-vous compte : sʼils apprennent quʼil y a des problèmes de radicalisation dans un club, les parents en retirent aussitôt leurs enfants, et le club perd les subventions de la mairie… »

Selon la note du SCRT, les surveillances effectuées sur le terrain, notamment au sein dʼassociations dʼamateurs, ont mis en évidence, sur tout le territoire français, de nombreuses dérives révélant des « noyautages » religieux, voire de graves entorses commises au nom dʼun « droit à la différence », orchestrées par des individus se posant en victimes de racisme et dʼislamophobie à la moindre remarque. « Le modus operandi qui mène à ces replis communautaires, voire au prosélytisme, est souvent similaire, souligne le rapport. Les effectifs des adhérents de confession musulmane croissent rapidement, puis, forts de leur nombre, pèsent sur la vie du club. Si les dirigeants ne sont pas assez fermes, cet effet de masse conduit à des écarts, comme lʼinterdiction de lʼaccès du club-house aux femmes ou la suppression de boissons alcoolisées. »

À une question du sénateur LR Jean-Paul Fournier sʼindignant de « ces démarches dʼautant plus inacceptables quʼelles se font dans des bâtiments appartenant aux collectivités territoriales et que ces clubs sont parfois publiquement subventionnés », le ministère de lʼIntérieur confirmait en juillet 2016 que « depuis un certain temps sont apparus dans des espaces dédiés au sport des phénomènes étrangers à son éthique et à ses valeurs : recrutements exclusivement menés au sein dʼune communauté particulière, prosélytisme au profit de lʼislam, actions de solidarité en faveur de la Palestine, refus de la mixité, tenues traditionnelles et prières ». Par ailleurs, précisait-il, « lʼapparition dans les clubs sportifs de salafistes et autres islamistes radicaux, dont les canons de la pratique religieuse leur interdisent pourtant le sport, est source de préoccupation et donc de vigilance ».

Malgré de nombreuses sollicitations, le précédent ministère des Sports nʼa pas trouvé le temps de répondre au Figaro. Lʼété dernier, il avait diffusé un guide destiné à « Mieux comprendre et mieux prévenir les phénomènes de radicalisation ». On peut y lire que « les pratiques sportives ne constituent pas en soi un terreau de radicalisation. Bien au contraire, lʼactivité sportive participe à la régulation des comportements. » Ce nʼest pas du tout ce que pense Médéric Chapitaux : « On a vu que, sur les derniers attentats majeurs que lʼon a eus en France, tous les terroristes étaient passés par un club de sport, affirme-t-il. De Mohamed Merah, qui pratiquait le foot, à Yassine Salhi, la boxe thaïe et les MMA (arts martiaux mixtes), en passant par Amedy Coulibaly, adepte de boxe thaïe. Quant à Chérif Kouachi, il a fréquenté un club de foot aujourdʼhui dissous, mais remonté sous un autre nom, avec les mêmes pratiques douteuses. »

Ce jour-là, douze responsables de ligues sportives de lʼÎle-de-France, un peu perdus face aux multiples dérapages quʼils constatent sur le terrain, écoutent le formateur du Comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée (CNLAPS). Attention, bien sûr, à « ne pas confondre découverte de la religion, simple atteinte à la laïcité et radicalisation ! » explique-t-il. « Si vous avez des cas dans votre club, parlez-en ! ordonne lʼexpert. Ce nʼest pas de la discrimination, pas du racisme, cʼest de la responsabilité ! Délation ? Oubliez, et remplacez par protection. Car, en signalant un jeune, vous le protégez, lui et la société. Et surtout, ne pas lʼexclure du club parce quʼil pose des problèmes… »

Autour de la table, les incidents vécus dans les différentes disciplines sont similaires. « Quand un gamin me confie : “Je ne peux pas aller me doucher avec les autres, par pudeur !”, je lui dis OK, rapporte un coach. Mais quand il réclame du halal, puis entraîne trois joueurs à faire la prière, là, faut reposer le cadre. » Une responsable de club se souvient : « Moi, on mʼa même demandé les factures pour prouver que jʼavais bien acheté du halal ! Ces cinq dernières années, cʼest que de la revendication ! Un premier a prié dans le vestiaire, puis dʼautres sont arrivés en djellaba, avec leurs sonneries de portables qui appelaient à la prière… » Un dirigeant de club de taekwondo est perplexe : « On mʼa spécifié : “En compétition fédérale, vous appliquez le règlement, donc pas de voile, raconte-t-il. En revanche, chez vous, vous faites comme vous voulez.” Mais on a des menaces… Lʼun des jeunes a dit : “On va faire passer ça en demandant aux élus.” »

Pour Médéric Chapitaux, « une erreur fondamentale a été faite autour du mythe “blackblanc-beur” », popularisé par la victoire dʼune équipe de France multiethnique à la Coupe du monde de football de 1998 : « Cela a conduit à un laisser-faire chez les dirigeants de clubs, analyse-t-il. En 2004-2005 sont apparus les premiers signaux, puis, dès 2010, les revendications religieuses et les problèmes de radicalisation. Les principales disciplines touchées sont les sports de combat, le football et les arts martiaux. » Mais personne nʼest épargné : « On se dit : pourquoi pas chez nous aussi ? » sʼalarme Michel Abravanel, vice-président du conseil fédéral de la Fédération française des sports de glace. Et de raconter une curieuse chorégraphie proposée par une équipe dʼadolescentes : « Elles sont arrivées totalement voilées sur la glace, et se sont prosternées, semble-t-il, vers La Mecque. On a fait part de notre malaise aux dirigeants, et cela a permis de désamorcer le problème. Il est difficile de savoir quelle est la limite entre la chorégraphie et le geste prosélyte. Mais, même si cʼétait anodin, est-ce que, en laissant faire, cela ne prenait pas une signification différente ? »

Le consultant décline les signaux faibles qui doivent alerter : le changement dʼapparence physique, de comportement, de vêtements, de langage. La vénération aussi : « Dans certains endroits, on va plus avoir le culte de Merah que celui de Zidane ! sʼexclame Médéric Chapitaux. Nʼattendez pas que toutes les cases soient cochées ! Dès que vous commencez à mal dormir, appelez la Licra ou le CNLAPS. » Un participant sʼaffole : « Mais moi, des comme ça, jʼen vois tous les jours ! Ouh là, je vais en remplir, des fiches de signalement… »

Au niveau national, les dirigeants de fédération aimeraient bien, eux aussi, que « le ministère des Sports », « les politiques » et « les autres régions » se mobilisent fortement… « Ça mʼest arrivé quatre fois de signaler quelquʼun, indique Alain Bertholom, président de la Fédération française de lutte. Pas plus tard que la semaine dernière, un dirigeant mʼa communiqué des informations suspectes. Sʼil va voir le maire, il nʼy a quʼune chance sur dix quʼil prenne ses responsabilités : les politiques, souvent conditionnés par le clientélisme, ne veulent surtout pas créer de vagues… » Président de la Fédération française de kick-boxing, muay thaï et disciplines associées (FFKMDA), Nadir Allouache confie que « deux jeunes de la région parisienne sont actuellement surveillés de près ». « Nous espérons démanteler un réseau, explique-t-il. Mais cʼest très difficile : il y a des personnes qui sont comme des hyènes, qui attendent le bon moment pour mordre. Pas des barbus ni des femmes voilées : des gens habillés comme vous et moi. Rémunérés à la mission. Une fois que les adolescents sont appâtés, cʼest une autre personne qui récupère la proie. Et comme ils savent quʼils sont particulièrement surveillés dans les grandes villes, maintenant ils sʼinfiltrent dans les petits clubs des zones rurales… Que fait lʼÉtat ? » Pour tous, cʼest le même constat désabusé : « On a lʼimpression dʼêtre seuls sur le terrain. »"

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Voir la rubrique Sport amateur (note du CLR).


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