Revue de presse

"Les ambitions intactes de Mélenchon, isolé au sein du Nouveau Front populaire" (Le Figaro, 24 juil. 24)

(Le Figaro, 24 juil. 24) 24 juillet 2024

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Les ambitions intactes de Mélenchon, isolé au sein du Nouveau Front populaire

Par Richard Flurin

RÉCIT - Le jusqu’au-boutisme des européennes puis des législatives a réduit le capital politique acquis en 2022 par le troisième homme de la dernière présidentielle.

Il ne veut pas que son aventure politique ne soit qu’une parenthèse de plus. Qu’un énième phénomène évanescent qui a jailli de la contingence des événements pour se faire emporter presque aussitôt dans les torrents de l’histoire. Comme toutes ces figures passées de la gauche radicale qui ont défrayé la chronique en leur temps, fins rhéteurs, idéologues pénétrants, animateurs du débat public, mais dont plus personne ne se souvient cinquante ou cent ans plus tard : Édouard Vaillant, Fernand Loriot, Pierre Semard, et même, dans une moindre mesure, Georges Marchais. En sera-t-il de même pour Jean-Luc Mélenchon  ?

Le fondateur de La France insoumise, obsédé par l’histoire et par la trace qu’il voudrait y laisser, a rarement été aussi fragilisé. Concurrencé désormais par un Parti socialiste qui, du haut de ses cent vingt années d’existence, lui tient tête de nouveau - pour l’instant. Alors qu’il croyait s’en être «  débarrassé  », ainsi que l’a formulé une intime, la députée Sophia Chikirou. Ce bras de fer n’a pas empêché socialistes et Insoumis de s’entendre mardi soir, après plus de quinze jours de négociations houleuses, sur le nom d’une première ministre commune : la haut-fonctionnaire Lucie Castets. Nouvelle preuve de l’isolement de Jean-Luc Mélenchon, cette candidate a été un temps adhérente du PS et est dépeinte comme une « proche » de la socialiste Anne Hidalgo.

Le premier tour
Reste que même si ce guérilléro politique ne le reconnaîtra jamais, il a subi une lourde défaite électorale le 9 juin. Il avait pourtant lui-même posé les termes de l’équation. C’était à Villepinte (Seine-Saint-Denis), en mars dernier, lors d’un meeting qui ressemblait à l’un de ces grands raouts de campagne présidentielle dont les Insoumis ont le secret. Il s’agissait ce jour-là de lancer la course des européennes, théorisées par les observateurs comme l’équivalent en France des « midterms » américains : seule élection nationale censée séparer les présidentielles de 2022 et 2027 - avant qu’Emmanuel Macron ne convoque les législatives anticipées ; sondage grandeur nature ; radiographie du corps politique…

Devant quelque 3000 militants, l’homme à la cravate rouge présente alors le scrutin comme « le premier tour » de la prochaine présidentielle. « Il faut bien commencer, alors ça commence aujourd’hui », fanfaronne-t-il dans une avalanche de gestes au pupitre. À cet instant, il est convaincu que son « mouvement gazeux », l’œuvre de sa vie, réglé comme du papier à musique, roulera sur Raphaël Glucksmann, ce novice en politique qui porte les couleurs d’un PS décati.

L’Europe, Jean-Luc Mélenchon n’en a cure. Il ne s’en est jamais caché. « Personne ne croit qu’elle peut changer à la fin de ce vote », affirme-t-il sur BFMTV en janvier. Résultat, il entend plutôt transformer cette campagne en une démonstration de force adressée à ses anciens partenaires de la Nupes. Ceux qui ont préféré partir chacun de leur côté, au mépris de l’alliance des gauches que le troisième homme de la dernière présidentielle avait su bâtir en 2022, fort de ses plus de 7,5 millions de voix à l’époque (21,95 %). Tant pis pour eux, se persuade l’ancien ministre de Lionel Jospin, convaincu qu’il suffit de surmobiliser sa base électorale pour remporter des élections européennes. Lui et son escouade ciblent donc les jeunes, l’outre-mer, les quartiers populaires : trois segments d’opinion qui l’ont particulièrement plébiscité il y a deux ans. Puis la « machine de guerre » Insoumise se met en branle : campagnes de communication au vitriol, tournées des facs, recrutement de figures ultramarines respectées (dont la Réunionnaise Huguette Bello), activisme propalestinien incarné par la nouvelle coqueluche Rima Hassan… Tous les moyens sont bons. « On ne parle que de nous ! », s’enthousiasment alors les Insoumis, sûrs de leur coup.

Constat embarrassant
Sauf que rien n’y fait. Raphaël Glucksmann, en renouant avec la politique à l’ancienne, sur un mot d’ordre social-démocrate, escalade l’opinion jusqu’à menacer de s’emparer de la deuxième place en doublant la candidate macroniste. Pas de quoi inquiéter les mélenchonistes, qui y voient un fantasme médiatique au mieux, voire une invention sondagière au pire. Mais quand les résultats finissent par tomber, ils se révèlent implacables : avec un score certes honorable au vu des performances passées de 9,9 %, la liste LFI échoue très loin derrière le PS (13,8 %), qui retrouve un score à deux chiffres. Ce « premier tour » de la présidentielle est donc perdu.

Pas question, toutefois, d’assumer ce constat embarrassant pour le « Lider Maximo ». La coordination du mouvement se contente de communiquer sur la progression par rapport à 2019 (+ 3,6 points), sans rappeler que la campagne précédente avait été faite a minima, dans un contexte de crise interne, tandis que celle de 2024 a été menée tambour battant, comme si l’avenir du mélenchonisme en dépendait. Le « narratif » élaboré par la direction du mouvement corrèle aussi le score surprise de Raphaël Glucksmann à la déroute des Écologistes (5,5 %), comme si les reports de voix n’avaient profité qu’au PS et pas aux Insoumis - ce que plusieurs études ont démenti.

Heureusement pour eux, la dissolution surprise a vite détourné l’attention médiatico-politique. Les mouches ont changé d’âne, se rassure-t-on en substance. Profitant de la faiblesse des Verts, LFI parvient à rester au cœur des négociations des partis de gauche malgré sa récente marginalisation. « Si les députés écologistes n’avaient pas obligé Marine Tondelier à s’allier avec Manuel Bompard dix minutes après l’annonce de la dissolution, peut-être que nous aurions réussi à faire l’union sans LFI », regrette aujourd’hui un cadre socialiste. Ressuscité en moins de 24 heures sur les cendres de la Nupes, le Nouveau Front populaire, offre un répit à Jean-Luc Mélenchon malgré des concessions coûteuses à ses yeux.

« L’union conforte sa stratégie, à savoir détruire toute représentation qu’il juge “réformiste” », écrit l’ancien premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, qui le connaît bien. La suite de l’histoire est connue : le NFP arrive en tête du second tour, contre toute attente. Le chef Insoumis aura tenté lors de cette campagne éclair d’apparaître au centre du jeu. Mais, plus il parle, plus il s’attire les critiques de ses camarades. Jusqu’à être traité de «  boulet  » par François Ruffin, figure de la gauche qui a rompu avec lui. «  Son isolement est criant, il n’y a plus que ses lieutenants et quelques écolos fanatisés pour le soutenir  », constate un ancien compagnon de route.

Des purges
Les législatives ont confirmé le rééquilibrage à gauche. À l’Assemblée, si LFI ne perd que trois élus par rapport à 2022, le nombre de députés PS fait plus que doubler (+ 113 %), pour accoucher d’un groupe presque aussi fort que celui de LFI, avec 66 députés contre 72. Le «  come-back » esquissé début juin se confirme. Ceux qui le connaissent bien identifient depuis, dans l’attitude de Jean-Luc Mélenchon, des signes de fébrilité qu’ils ne lui connaissaient pas. Il n’y a qu’à voir l’épisode des « purges », dévoilées en catimini un vendredi au milieu de la nuit, pour écarter les voix les plus critiques. «  Virer les frondeurs permet d’asseoir son autorité et de faire venir du sang neuf, des personnes qui lui seront fidèles et ne risquent pas de la lui faire à l’envers  », analyse un socialiste qui a milité de longues années avec Jean-Luc Mélenchon.

Comment expliquer la brutalité de la méthode ? A-t-il été heurté par les affronts de ses anciens amis, Danielle Simonnet, Alexis Corbière, Raquel Garrido ? «  Moi, je ne suis pas blessé. Je calcule, j’ai une stratégie. S’il faut que je m’entende avec le diable, je vais bouffer avec lui, d’accord  ? Et c’est moi qui lui cire les sabots. Mon sujet, c’est l’efficacité, les résultats politiques que je veux obtenir  », arguait-il en petit comité mi-juin.

C’est sans compter un front anti-Mélenchon d’une ampleur inédite, y compris au sein même de la gauche. À commencer par Raphaël Glucksmann, porté au pinacle dans les enquêtes d’opinion, qui a fait de la fin du magistère mélenchonien le premier de ses combats : «  Jean-Luc Mélenchon a dominé politiquement et psychologiquement la gauche depuis des années, il ne la domine plus. Une bascule s’est opérée aux européennes  », défendait récemment l’eurodéputé dans Le Figaro. L’attitude du PS lors des négociations du NFP - consistant à ne rien céder - donne du crédit au social-démocrate. Le parti de la rose, dont Jean-Luc Mélenchon ne cesse de moquer les luttes intestines, se montre de surcroît soudé comme rarement il l’a été. «  Mélenchon et ses amis ont du mal à accepter que nous sommes la première force à gauche, que nous comptons beaucoup plus d’élus qu’eux, mais ça va finir par rentrer  », nargue une huile socialiste. Tandis que le député François Ruffin, qui dispose lui aussi d’une très bonne cote dans l’électorat de gauche, trace sa route en solitaire depuis qu’il a divorcé avec fracas du mélenchonisme.

Plus menaçant encore, Jean-Luc Mélenchon voit redescendre dans l’arène son rival de toujours, biberonné lui aussi au mitterrandisme, rusé comme un Sioux, François Hollande. L’ancien président rappelle souvent qu’il n’a jamais perdu une seule élection face à l’Insoumis, quand ce dernier s’inquiète, parfois à voix haute, des plans échafaudés par l’indéboulonnable socialiste. Interrogé sur les raisons de son retour, un proche de François Hollande confiait que la volonté de «  régler ses comptes  » au fondateur de LFI n’y était pas étrangère. Conscient du match qui se profile, Jean-Luc Mélenchon ne rate d’ailleurs pas une occasion d’assaillir son adversaire historique lorsqu’il intervient dans les médias ces derniers jours. «  Il le craint bien davantage qu’Olivier Faure (premier secrétaire du PS, NDLR) pour qui il n’a que mépris  », souffle un député Insoumis.

Aplomb brutal
En attendant, dans la tempête, le vieux loup de mer Mélenchon garde le cap et s’en tient à ses plans. Il se prépare au duel avec Marine Le Pen, qui lui apparaît plus que jamais inéluctable. Son audacieux « Faites mieux ! », lâché tel un adieu au soir de la dernière présidentielle, semble loin face à ce qui s’assimile aujourd’hui à un acte de candidature pour 2027. « Le choix final de la France se fera entre moi et Marine Le Pen », a-t-il exposé dimanche au journal italien La Repubblica. Pour vaincre ceux qu’il présente encore comme des « voyous fascistes », l’ancien trotskyste-lambertiste se cramponne à son assurance-vie électorale, son socle d’affidés : jeunes, quartiers populaires, tenants du « gauchisme culturel »… Autant d’électeurs qu’il soigne avec beaucoup d’application, quitte à cliver, déranger, bordéliser. « Il s’agit, en s’appuyant sur un pôle de radicalité autour de 12 %, de construire un bloc contestataire qui permet à un peuple idéalisé de se constituer. Cela donne par ailleurs le socle minimum pour un vote utile à gauche », décrypte Jean-Christophe Cambadélis au sujet de la stratégie « populiste » de LFI.

Mais son aplomb souvent brutal, qui lui a permis d’imposer son autorité politique depuis une décennie, pourrait finir par le perdre. Combien se sont damnés en confondant histoire et prophétie ? L’un de ses plus fidèles acolytes narrait il y a quelques mois le grand dessein de LFI : supplanter, dans le siècle, un socialisme moribond, dont la doctrine est dépassée. À l’époque, le résultat du PS à la présidentielle (1,7 %) pouvait éventuellement le laisser penser. Mais la donne politique a changé. «  Nous avons une chance de fermer la parenthèse Mélenchon qui nuit à la gauche française depuis trop longtemps, mais il faut la saisir en révisant de fond en comble notre logiciel. Glucksmann l’a fait pour les européennes, il faut reproduire l’exploit à la présidentielle  », balise un socialiste de premier plan. Prêt à laisser le mélenchonisme dériver, plutôt que le réarrimer sans cesse à l’union des gauches.


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