Revue de presse

Contre Elisabeth Badinter, dérives et subterfuges des islamo-gauchistes (C. Valentin, lefigaro.fr/vox , 31 oct. 17)

Caroline Valentin, coauteur d’ "Une France soumise, Les voix du refus" (Albin Michel). 2 novembre 2017

"Le 8e numéro de “La Revue du crieur” de Mediapart dénonçait « les ambiguïté d’Elisabeth Badinter » et accusait la philosophe d’être « la voix d’un féminisme blanc et puissant ». Caroline Valentin voit derrière ces attaques l’idéologie essentialiste et différentialiste d’une certaine gauche radicale.

L’article que la Revue du Crieur de Médiapart consacre dans son dernier numéro à la philosophe Elisabeth Badinter ne présente pas d’intérêt particulier sur le plan du savoir. Lire « Fausse route », « Le conflit, la femme et la mère », « XY, de l’identité masculine » ou « L’un est l’autre », pour ne citer que ceux-là, est une bien meilleure façon d’aborder la pensée de cette grande féministe à la pensée claire et à l’écriture fluide. Mais cet article présente, probablement au corps défendant de son auteur, l’intérêt de démasquer les dérives idéologiques et les subterfuges rhétoriques et intellectuels de l’islamo-gauchisme, dont l’influence reste, en dépit du faible nombre de ses sympathisants, significative - et, surtout, dangereuse, nous y reviendrons.

A titre préliminaire, force est de constater que cet islamo-gauchisme n’assume pas une qualification que ses prises de position (à gauche) et ses accointances (islamiques) illustrent pourtant. Pour preuve, l’article se contente d’ironiser sur la dénonciation qu’en fait Elisabeth Badinter - et tant d’autres - comme d’une « prétendue nébuleuse éparse, bien-pensante et médiatiquement puissante qui nierait la réalité telle qu’elle est et brandirait l’argument de l’islamophobie pour « fermer la bouche » » - l’expression est d’Elisabeth Badinter - « de ceux qui osent critiquer l’islam ». Une « prétendue » nébuleuse … Pourtant, la plupart des personnalités s’exprimant dans le cadre de cet article en sont des figures tutélaires très repérables (de même qu’une grande partie du comité de rédaction du Crieur). Christine Delphy est une compagne de route habituelle de l’islamiste Tariq Ramadan et de Houria Bouteldja, porte-parole des « Indigènes de la République » et auteur du pamphlet racialiste, antisémite et homophobe « Les blancs, les juifs et nous » ; l’historienne Valentine Zuber cosigne des tribunes avec Houria Bouteldja, de même bien sûr que Rhokaya Diallo qui en est très proche ; Mona Chollet a publié sur le site des Indigènes de la République. Rien de bien surprenant au demeurant pour une revue publiée par Médiapart, dont le très médiatique fondateur Edwy Plenel revendique sa proximité avec Tariq Ramadan. Et comme de bien entendu, les Inrocks relayent cet article, dans la continuité parfaite de la ligne idéologique qui a conduit ce magazine à publier et stariser Mehdi Meklat alors même que sa rédaction avait connaissance des tombereaux de tweets misogynes, homophobes, antisémites et injurieux que ce dernier déversait depuis des années sur Twitter. A publier Mehdi Meklat… et à mettre récemment en une le chanteur Bertrand Cantat, moins célèbre aujourd’hui pour son art que pour avoir battu à mort sa compagne l’actrice Marie Trintignant - il n’est pas inopportun de le rappeler dans la mesure où nous allons parler de féminisme.

Qu’est-il reproché à Elisabeth Badinter ? D’abord d’être une bourgeoise, une riche, une actionnaire importante de Publicis. Une large part de l’article est consacrée à vilipender la « soixante-septième fortune de France » (pour la raison qu’elle est la soixante-septième fortune de France..), l’appartenance d’Elisabeth Badinter au « monde des puissants », ce qui, selon la Revue du Crieur, constituerait un véritable « caillou dans sa chaussure », même si, concède l’article, « on ne choisit pas sa famille » ni « d’être l’héritière d’un groupe de communication aussi riche » (le comique induit par la juxtaposition de ces deux propositions pour le moins contradictoires aura sans doute échappé à son auteur).

Car quand on fait partie de l’élite, on est forcément un ennemi du peuple. Oublié le grand aristocrate Lafayette, que ses origines sociales n’ont pas empêchées de devenir l’un des plus grands acteurs de la Révolution française. Cette gauche-là n’a pas fait un centimètre depuis la position honteuse de l’appareil socialiste rechignant à soutenir Dreyfus au motif que c’était un bourgeois. On est en plein dans l’esprit du procès stalinien des ingénieurs, également connu sous le nom du « procès du parti industriel » en 1928, parfaitement décrit par Soljenitsyne dans « L’archipel du goulag » (si le plan quinquennal a échoué, c’est à cause d’un complot des ingénieurs ; si les ingénieurs ont comploté, c’est parce qu’ils sont issus de la classe bourgeoise, donc ennemis du prolétariat). Bien sûr, des origines bourgeoises, de la situation confortable voire ultra-privilégiée de la plupart des contributeurs du Crieur, il ne sera pas question - pas assez fous pour retourner leur inquisition totalitaire contre eux-mêmes.

Le féminisme d’Elisabeth Badinter est également mis à l’index. D’abord par Christine Delphy, présentée par l’article comme une « figure intellectuelle du féminisme français de gauche ». L’auteur de l’article avoue s’être fait « sermonner » par cette dernière qui se serait exclamée « Mais pourquoi faites-vous un papier sur elle ? Elle n’est pas féministe ! C’est une construction médiatique ! ». Christine Delphy a manifestement usé de ce type d’arguments de fond avec d’autres intellectuels, notamment Nathalie Heinich, dont la réponse qui révèle l’imposture académique de Madame Delphy [1], pourrait être celle d’Elisabeth Badinter.

De son côté, l’historienne et journaliste Mona Chollet, qui officie au Monde Diplomatique, accuse Elisabeth Badinter - sans davantage d’arguments - de « défendre le droit du plus fort sur le plus faible sur à peu près tous les sujets » et s’insurge contre le reproche que fait Badinter, notamment dans son livre « Fausse route », au discours de victimisation des femmes que tiennent les néo-féministes. Pour Mona Chollet, ce reproche est « particulièrement révoltant et riche de ravages potentiels quand on sait que la reconnaissance de leur statut de victimes est essentielle, justement, pour permettre aux femmes concernées par la violence conjugale de s’en sortir ».

La lecture de « Fausse route » permet de prendre la mesure de l’injustice de cette accusation et la caricature qu’elle révèle. Dans son livre, Elisabeth Badinter indique très clairement qu’ « il faut rendre hommage au féminisme actuel qui a donné au viol sa véritable signification et s’est largement mobilisé pour sortir les victimes de leur solitude et de leur silence. C’est grâce aux associations qui les écoutent et les soutiennent que celles-ci trouvent le courage de déposer plainte ».

Ce qu’elle fustige, en revanche, c’est l’opération consistant à gonfler artificiellement les statistiques des viols et de harcèlement sexuel - qu’elle démontre avec force exemples dans son livre - pour nourrir un discours visant à généraliser la victimisation féminine et la culpabilité masculine. Victimisation féminine aboutissant à donner à la femme « le statut d’un enfant : faible et impuissant », renvoyant cette dernière « aux vieux stéréotypes de jadis, quand les femmes, éternelles mineures, en appelaient aux hommes de la famille pour les protéger » ; sauf qu’aujourd’hui, tous les hommes étant suspects, c’est la justice qui doit reprendre à sa charge le rôle qui leur était hier dévolu.

N’en déplaise à Mona Chollet, Elisabeth Badinter précise pourtant bien que « le plus gênant dans cette approche n’est pas la dénonciation des violences faites aux femmes » - encore une fois, il faut insister, Elisabeth Badinter reconnaît bien évidemment l’importance fondamentale de cette dénonciation -, « mais la cause assignée à cette violence. Il ne s’agit plus de condamner les obsédés, les méchants et les pervers. Le mal est plus profond parce qu’il est général et touche la moitié de l’humanité. C’est le principe même de virilité qui est mis en accusation. » Ce qu’Elisabeth Badinter dénonce, c’est une vision différentialiste et essentialisante de l’humanité dont on ne peut sortir que par un véritable programme de rééducation des hommes relevant d’une « utopie totalitaire ». Utopie totalitaire qui reste, hélas, un objectif pour cette ultra-gauche très minoritaire dans l’opinion - mais auquel Le Monde Diplomatique ouvre parfois ses colonnes.

La boussole d’Elisabeth Badinter, c’est d’abord et avant tout l’universalisme. Mais la gauche morale n’entend laisser à Madame Badinter aucune prérogative en la matière, quitte à se livrer sur l’universalisme à une récupération sémantique vidant celui-ci de toute sa substance. Ainsi, selon Alain Policar, il existerait plusieurs universalismes. Celui des « néorépublicains français » comme les appelle Monsieur Policar (le préfixe « néo » étant utilisé pour suggérer un dévoiement) aurait le tort de se prendre pour « l’incarnation exclusive et unique de la République ». Or, poursuit Policar, il conviendrait de concilier la laïcité avec la « tolérance anglo-saxonne » afin de ne garder que « ce que les deux ont de meilleur ». Comprenez qu’il faudrait promouvoir en France le multiculturalisme adopté au Royaume-Uni, au Canada et aux Etats-Unis, c’est-à-dire faire table rase du modèle d’intégration français pour promouvoir une société dans laquelle le modèle culturel français n’aurait plus préséance.

Un petit tour d’horizon de ces trois pays laisse toutefois dubitatif quant aux supposées vertus de la « tolérance anglo-saxonne ». Au Royaume-Uni, un récent sondage indique que le vote en faveur du Brexit est d’abord et avant tout le résultat d’un sentiment généralisé d’hostilité à l’immigration, où les préoccupations d’identité nationale et les enjeux culturels ont joué un rôle plus grand que l’insatisfaction envers la politique conduite par le gouvernement. La frénésie multiculturaliste du Canada, à laquelle il s’est même obligé constitutionnellement, est en train de lui faire abandonner ses valeurs universalistes à grande vitesse. Quant aux Etats-Unis, ils viennent d’élire à la fonction suprême un Donald Trump dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas fait de la tolérance l’inspiration de son message politique ... De surcroît, même parmi la frange progressiste de la société américaine, la tolérance se révèle parfois être source des sectarismes les plus abscons, comme le montre le pouvoir qu’ont pris sur les campus les pourfendeurs de « l’appropriation culturelle ».

Brice Couturier relève d’ailleurs fort justement que « contrairement à ce que prétend le discours médiatique ambiant, le multiculturalisme ne favorise pas le métissage des cultures. Au contraire, il le proscrit théoriquement et l’empêche en pratique - puisqu’il développe un discours de l’authenticité, qui vise à préserver les cultures minoritaires comme autant de réserves d’Indiens. Le multiculturalisme aboutit ainsi à une ethnicisation et à une folklorisation des cultures minoritaires. » Ethnicisation qui, n’en déplaise à Alain Policar, est l’exact opposé de l’universalisme.

Tant Alain Policar que la militante féministe « décoloniale » Rhokaya Diallo - à qui La Revue du Crieur donne également la parole - fustigent un universalisme badintérien qui serait soit en lui-même « islamophobe » et raciste, soit générateur de « racisme anti-musulman » chez ceux qui l’écoutent. L’historienne de la laïcité Valentine Zuber explique quant à elle que la position exigeante d’Elisabeth Badinter sur la laïcité l’empêche d’envisager l’existence d’un « féminisme musulman ». L’islam : c’est donc là, le centre des critiques que ces trois personnalités adressent à Madame Badinter, celle de son attitude par rapport à l’islam.

S’il est un sujet qui mérite d’être traité avec toute la rigueur scientifique et l’exhaustivité qu’impose l’exercice de la raison critique, c’est bien celui-là. Or, aucun des contempteurs de Mme Badinter n’explique comment il est possible d’étendre l’universalisme, la laïcité, et toutes les valeurs républicaines à une religion qui les rejette en bloc, en même temps que l’idée même d’une société sécularisée, fondée sur les droits individuels, et où l’égalité homme-femme est un principe cardinal. Car l’islam porte une vision essentialisante de l’humanité, considérant que le musulman est supérieur à tous les autres humains, et bien sûr que même au sein de la population musulmane, l’homme est supérieur à la femme.

La rigueur des principes de l’islam est d’autant plus menaçante qu’il est aujourd’hui totalement dominé par ses mouvements les plus fondamentalistes, dont les Frères musulmans, dont l’ambition explicite est d’imposer la domination politique totale de leur islam non seulement sur tous les autres islams mais aussi sur toutes les autres religions, partout où les Frères se trouvent - et donc aussi en France (c’est Mohamed Louizi qui l’explique, et il sait de quoi il parle puisqu’il a fait partie des Frères). Les peuples européens, eux, ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : dans l’enquête internationale réalisée par la Fondapol, « Où va la démocratie ? » qui vient juste d’être publiée chez Plon, l’islam est perçu comme représentant une menace pour 68% des habitants de l’Union Européenne, un pourcentage transcendant largement les clivages politiques.

Quant à la critique du voile que formule Elisabeth Badinter, elle procède moins de sa position sur la laïcité que de son féminisme. C’est son universalisme qui conduit la philosophe à considérer le concept de féminisme musulman comme un oxymore. On pourra lui objecter que certaines femmes portent le voile de leur plein gré. Certes, mais toutes les femmes ne sont pas forcément féministes (raisonnement, une fois de plus, essentialiste) ; le modèle patriarcal, et ce qu’il en reste aujourd’hui, doit énormément au soutien dont il a pu bénéficier - et bénéficie encore - de la part d’un nombre très significatif de femmes. Ce n’est donc pas par rapport à l’adhésion que quelques femmes, ni même un grand nombre de femmes, vont manifester à un modèle, que doit être déterminée sa compatibilité avec une vision universelle de l’humanité, en vertu de laquelle l’objectif doit être l’égalité de droits, de traitement et de dignité. L’égalité est une notion objective et non subjective ; et l’objectivité, n’en déplaise à Madame Diallo, ne dépend ni de la couleur de peau, ni de la religion, ni du sexe. Or le fait, et il est objectif, est qu’en islam, la femme n’est pas l’égale de l’homme.

L’article du Crieur a le mérite de révéler les accointances idéologiques entre le féminisme actuel et les mouvements racialistes des indigénistes et militants « décoloniaux » qui sont les compagnons de route de l’islam politique. Tous reposent sur une vision essentialisante de l’être humain. Et tous dissimulent leur idéologie - y compris parfois à leurs propres yeux - en continuant d’utiliser les mêmes signifiants mais en en modifiant le signifiés. Ainsi, ils sont favorables à la laïcité - mais ouverte ; à l’universalisme - mais mâtiné de « tolérance anglo-saxonne » ; ils sont contre le racisme - mais tolèrent chez les minorités visibles des paroles et des comportements racialistes sinon racistes qui leur feraient pousser des cris d’orfraies s’ils étaient le fait de la population majoritaire (ainsi par exemple de la tribune publiée dans Le Monde signé par un groupe d’universitaires - dont d’ailleurs Christine Delphy - en soutien à Houria Bouteldja).

Quant au féminisme différencialiste, il s’oppose aux Lumières qui, depuis trois siècles, nous protègent contre l’obscurantisme, protection ô ! combien nécessaire et urgente. Le cri d’alarme que nous lance le grand écrivain algérien Boualem Sansal à cet égard est éloquent : « l’urgent n’est pas de sauver l’islam de l’amalgame, mais de sauver les enfants de la mort. [Les Algériens qui ont de l’amitié pour la France] sont inquiets et effarés de voir l’Europe se déliter et devenir un amplificateur de crises. Les fabricants d’un islamisme européen véritablement monstrueux, qui, par ses prétentions totalitaires et ses haines tous azimuts, s’apparente au nazisme-fascisme d’antan qu’il contribue de la sorte à ressusciter. (…) La France doit retrouver l’usage de la parole libre et en faire une arme. Si le terrorisme se combat dans la discrétion et la patience, par le renseignement et l’infiltration, l’islamisme se combat par la parole dite au grand jour, haut et fort. Ce combat a toujours été celui des journalistes et des écrivains, qu’ils reprennent le flambeau, il est à eux. » [2]

C’est exactement dans cette tradition du combat que s’inscrit Elisabeth Badinter quand elle défend pied à pied l’universalisme et les Lumières, seuls capables de vaincre l’obscurantisme religieux qui nous menace. Elle fait partie de ceux qui n’ont jamais lâché le flambeau. Et ce combat, comme l’indique Boualem Sansal, implique également une guerre civile contre la matrice islamo-gauchiste qui génère, promeut, défend des idées telles que celles développées dans cet article du Crieur :

« On n’oubliera pas de mener ce combat en premier contre l’armée des idiots utiles et des bien-pensants, qui, avec une poignée de considérations de patronage, ont réussi à paralyser la France, peuple et institutions, et l’ont livré aux islamistes et demain, à la guerre civile. pas d’amalgame tu feras, l’assassin de ton frère est ton frère, des bisounours tu lui adresseras, raciste et islamophobe tu es si tu ne tends pas d’autre joue, ta coulpe tu battras car colonisateur et esclavagiste tu fus, de remords et de pénitence tu te nourriras, ta place tu céderas, dhimmi tu seras, paix, tolérance et soumission tu pratiqueras avec tes agresseurs. Ces formules sont arrivées à l’école, avec d’autres douceurs du même genre, ce qui facilite les abandons de demain. "Cons et dangereux" disait d’eux Yves Montand, qui lui-même fut un idiot utile des plus célèbres, c’était hier. aujourd’hui, je pense qu’il dirait plus "con, dangereux et heureux de l’être" »."

Lire "« Les ambiguïtés d’Elisabeth Badinter » ou la rhétorique intellectuelle des islamo-gauchistes".



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