Communiqué du Comité Laïcité République

Leïla Mustapha n’est plus. "Paix à ceux qui manquent à nos yeux comme disent les Kurdes, ils ont nos cœurs, ils sont entre nos côtes" (CLR, 30 nov. 23)

30 novembre 2023

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Leïla Mustapha avait reçu le Prix international de la laïcité en 2021.

C’est la romancière et reporter Marine de Tilly qui en avait tracé le portrait lors de la cérémonie.
Nous lui avons demandé l’autorisation de reproduire le bel éloge qu’elle lui rendit lorsque la nouvelle de sa mort nous parvint.
Nous lui laissons donc la parole.

« Sa voix est douce et profonde, elle coule sur moi comme un fluide magnétique. Aucune émotion ne filtre, aucun doute. D’expérience, sûrement, mais de nature, surtout, Leïla dirige, maîtrise, synchronise. Sauf que le corps est un franc-tireur ; même si une volonté athlétique le bâillonne, il sait prendre la parole. Quand la douleur sera trop vive, le chagrin inguérissable, la tâche trop immense, son larynx se serrera, limitant le passage du souffle. Alors, sa voix sortira de son rail et montera d’un ou deux octaves. Nous ne parlons pas la même langue, elle est syrienne, je suis française, elle est musulmane-sunnite, je suis chrétienne-catholique, elle n’a connu que la dictature et la guerre, je suis née dans un pays libre et en paix, mais je reçois le message. Ce sera comme un signal entre elle et moi, l’électrochoc qui relance l’oscillation, le témoignage des sens au secours de la pensée. Chaque fois que sa voix « de tête » baissera la garde, j’entendrai sa « voix de poitrine » comme disent les liseurs de psaumes. Je serai avec elle.

Pendant des mois, j’ai traqué ces instants minuscules où la voix de Leïla trouait la ligne de front de son esprit. Je l’ai observée - j’aurais pu l’engloutir, je l’ai accompagnée, attendue, écoutée, collée comme une bernique. À Paris, à Raqqa, à Kobané, à Aïn Issa ; sur les tapis violets du salon familial, sous les néons infirmes d’une cuisine, dans les couloirs du Conseil Civil ; dans les préfabriqués des chantiers, entre les tombes des martyrs, sous les tentes des camps de déplacés, chacune de mes terminaisons nerveuses était polarisée sur elle ; Leïla, son désir de liberté, sa volonté d’égalité, sa soif de fraternité, son travail acharné, ses cheveux dénoués. Et je ne comprenais pas. Comment pouvait-on croire encore en un monde « juste » où le multi-ethnisme l’emporterait sur le nationalisme, la laïcité sur le confessionnalisme, le féminisme sur le patriarcat, la démocratie sur la tyrannie, en Syrie, à Raqqa, après quarante ans de dictature, une révolution ratée, huit ans de guerre et trois ans de califat ? »

Elle était le cauchemar du Baas, de Daesh et des âmes mal famées ; la première gorgée d’eau-de-vie après des années de poison doctrinaire ; le hold-up du siècle sur le Moyen-Âge islamique, la victoire de la vitalité sur le néant. A Raqqa, au lendemain du ravage, elle avait inventé l’harmonie de l’impossible, elle était « La femme, la vie, la liberté ».

Leïla Mustapha vient de mourir à Damas, à 35 ans, loin de chez elle, des suites d’une opération qui devait soigner son cancer.

Paix à ceux qui manquent à nos yeux comme disent les Kurdes, ils ont nos cœurs, ils sont entre nos côtes. »

Comité Laïcité République,
le 30 novembre 2023.



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