Revue de presse

"Législatives 2024 : le règne de l’artificialisation généralisée" (A. Shalmani, L’Express, 18 juil. 24)

(A. Shalmani, L’Express, 18 juil. 24). Abnousse Shalmani, journaliste, essayiste, écrivain et réalisatrice, présidente du jury du Prix de la Laïcité 2023 18 juillet 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Législatives 2024 : le règne de l’artificialisation généralisée, par Abnousse Shalmani".

Si on ne peut que se réjouir du retour aux urnes des citoyens français, si on ne peut que se féliciter d’entendre les Français parler politique et tactique, partager crainte et espoir, et cela partout, dans les commerces ou lors des dîners amicaux et familiaux, il n’empêche que l’attitude voire la posture des politiques, des intellectuels et des médias n’est pas à la hauteur des enjeux. Les enjeux : le blocage parlementaire, l’immobilisme économique, le ressentiment, voire le dégoût des citoyens. L’une des causes de ce capharnaüm inédit et toxique est avant tout l’artificialisation généralisée.

Artificialisation du vote d’abord. Ne nous leurrons pas, malgré le soulagement d’avoir évité l’arrivée à Matignon d’un Jordan Bardella mal préparé, sans colonne vertébrale solide, opportuniste jusqu’à l’accumulation d’erreurs de débutant : le RN est sorti gagnant des législatives en doublant le nombre de ses députés. RN qui a voulu flatter son électorat historique avec le doute malsain distillé sur les doubles nationaux tout en donnant des gages de "mélonisation" au monde économique, prenant le risque de perdre son électorat déçu de la gauche, qui vote avant tout pour son pouvoir d’achat et contre les élites. D’accord.

Mais les près de 11 millions de Français qui ont glissé un bulletin RN dans les urnes ne sont pas des Waffen-SS. Le barrage dressé contre le RN – parti dont nous pouvons, à l’image de nombreux intervenants, débattre de la face infréquentable cachée derrière la face cravatée, mais qui joue depuis quelques années le jeu de la démocratie – et la panique montée en mayonnaise pour faire tenir ce barrage républicain, en allant jusqu’à blanchir la France Insoumise, qui s’embarrasse, elle, de moins en moins de la démocratie et des valeurs républicaines, et dont la responsabilité, dans la montée de l’antisémitisme est impardonnable, laisse un goût amer, trop amer.

Artificialisation du vote barrage qui devrait imposer une écoute attentive des électeurs RN, un respect des questions qui les taraudent, dont l’immigration, et d’y répondre politiquement, sans posture idéologique. Comme le disait dans nos colonnes Christophe Guilluy la semaine dernière, "pour certains, l’inquiétude autour des flux migratoires est au mieux une invention de l’extrême droite, au pis la preuve que le peuple français est raciste. Le plus révoltant, c’est qu’un débat serein est empêché par des hypocrites qui, dans la vie, se comportent en parfaits sécessionnistes sociaux et ethniques."

Artificialisation des blocs nés au soir du second tour des législatives. Qu’est-ce qui fait tenir le Nouveau Front populaire, si ce n’est la peur viscérale des mélenchonistes ? Ils sont parvenus à créer un tel climat de terreur que l’alliance de gauche semble être prise tout entière dans un syndrome de Stockholm. Le programme signé par tous ne tient pas la route tant il est dangereux, et ce ne sont pas les économistes idéologues qui le soutiennent qui rassurent – dont un certain nombre filera à la rentrée aux Etats-Unis pour échapper au désastre économique. Rien ne tient si ce n’est la pensée magique : les Français ont choisi notre programme. Faux. Les Français ont voté contre le RN comme ils avaient voté pour Emmanuel Macron contre le RN, les programmes des trois blocs n’ont pas été débattus – sauf pour constater qu’ils étaient scandaleusement hors sol.

Artificialisation à gauche, artificialisation à droite. Les Républicains devenus La Droite républicaine ne sont plus qu’un alliage de personnalités qui ne savent plus grand-chose sauf l’espérance de créer la surprise en 2027. Si la France est clairement à droite, la droite n’a pas été fichue de créer une alternative en douze ans à végéter dans l’opposition. Ils ont résisté à la vague RN-Ciotti, mais ils ne proposent rien si ce n’est une posture d’indécrottables indépendants, chacun y allant de sa formule pour faire tenir le pays bon an mal an jusqu’à la présidentielle.

Artificialisation de la Macronie dès l’origine, mais qui éclate dorénavant au grand jour. Emmanuel Macron ne peut plus se cacher derrière ses grands discours lyriques qui seuls faisaient tenir son camp, association de débauchages plus ou moins réussie. Le roi est, enfin, nu, mais l’indispensable authenticité n’a pas encore le droit de cité.


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