Revue de presse

Législatives 2024 : « La gauche a remporté une victoire médiatique, mais électoralement, elle a subi un échec important » (D. Reynié, Le Figaro, 10 juil. 24)

Dominique Reynié, professeur à Sciences Po et directeur général de la Fondapol 10 juillet 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Dominique Reynié : « Pour les Français, ce n’est pas rien de voir que l’on s’est ligué pour empêcher la victoire du premier parti de France »".

"[...] Ce que les commentaires ont nettement minoré est la forte progression du vote RN, non seulement par rapport aux législatives de 2022 mais aussi par rapport au premier tour du 30 juin 2024. En nombre d’électeurs comme en nombre de députés, le RN est le premier parti de France, ce que les élections européennes avaient établi. [...]

Mais il demeure problématique de songer qu’entre le premier et le second tour, nous avons assisté à un refoulement forcé de l’expression démocratique. Si la plupart des Français ont le sentiment que la situation n’est pas satisfaisante en matière d’immigration et de sécurité, puisque ce sont les points forts prêtés au RN, il ne faudrait pas que le « barrage républicain » soit le nom donné par tous ceux qui ont échoué à régler ces deux problèmes majeurs pour bloquer l’accès au pouvoir de ceux qui proposent de faire mieux. Il est sans doute plus facile de bloquer l’ascension d’un parti dont le succès est ancré dans l’insatisfaction en matière de sécurité et d’immigration que de régler de tels problèmes, mais autant renoncer alors à la politique démocratique. [...]

Le Nouveau Front populaire, dont on disait qu’il ne pouvait pas gagner, est arrivé en tête des élections législatives. Que révèle ce résultat ? Comment l’expliquez-vous ?

On ne peut établir un verdict de « victoire » pour personne. Gagner les élections législatives, dans notre République, suppose qu’une force politique, un parti ou une coalition, obtienne au moins 289 députés et, s’il s’agit d’une coalition, qu’elle soit capable de durer. À gauche, aujourd’hui, aucun parti, aucune coalition ne satisfait ces deux critères. On ne peut donc pas dire qu’il y a un vainqueur. C’est le résultat le plus marquant et le plus préoccupant de ce scrutin pourtant décidé pour faire émerger une nouvelle majorité. De ce point de vue, au contraire, la situation est plus dégradée au terme de la dissolution.

En réalité, la gauche a remporté, comme souvent, une victoire médiatique, celle de l’interprétation des résultats, mais électoralement, elle a subi un échec important. Si, au second tour, on additionne les scores des partis du NFP avec ceux de toutes les gauches, on obtient laborieusement 27,28 % des suffrages exprimés… soit 17 % des électeurs inscrits. Les gauches reculent même par rapport aux élections européennes du 9 juin, où ce total de toutes les gauches dépassait 33,7 % des suffrages exprimés.

Comment expliquer que LFI, malgré sa dérive communautariste et antisémite, fasse aujourd’hui moins peur, semble-t-il, que le RN ?

Le journalisme, l’université, les métiers de la communication, de la culture, le monde associatif, ont une appétence connue pour les idées de gauche, peut-être parce qu’ils dépendent beaucoup des mécanismes économiques de redistribution. Cela pèse lourd sur le fonctionnement de notre débat public. C’est ce monde social si particulier, métropolitain, diplômé, aux revenus supérieurs à la moyenne, souvent protégé par un statut dérogatoire, d’une manière ou d’une autre, qui détermine la norme morale. Mais ce monde social peut se montrer parfaitement insensible, y compris à propos de sujets fondamentaux. L’émergence d’une tolérance de gauche à l’antisémitisme constitue pour moi un événement historique et lourd de conséquences. Si un antisémitisme d’extrême droite demeure visible dans l’expression de préjugés, des propos, il est désormais surtout le fait d’une collusion cynique entre une partie de la gauche et l’islamisme, comme on peut l’observer depuis maintenant vingt-cinq ans environ, et d’autant plus aisément qu’il s’agit d’un antisémitisme d’agression qui va jusqu’à se montrer compréhensif avec le terrorisme antisémite, accueillant, répercutant et amplifiant la haine d’Israël comme on a pu le voir depuis le 7 octobre 2023. Même si Philippe Poutou a été battu, le NPA a bel et bien été membre du Nouveau Front populaire.

Lors de ces élections législatives, il y a bien au moins une douzaine d’élus de La France insoumise (LFI) qui n’auraient pas dû être investis ou qui auraient dû être écartés après avoir été investis. Ce ne fut pas le cas, à la différence du RN. On comprend ainsi l’un des usages politiques du « barrage républicain » ; il permet à cette gauche de se retrouver confrontée à un adversaire présenté comme le plus immoral, tous les électeurs étant invités à s’engager dans ce combat aux côtés de la gauche, ce qui l’innocente en partie. [...]

Le pays, dont on dit souvent qu’il est plus à droite que jamais, bascule donc à gauche. Ce décalage va-t-il aggraver la fracture entre les élites et le peuple ? Au-delà de cette dissolution ratée, comment en est-on arrivé là ?

Le pays ne bascule pas à gauche. Depuis dimanche soir, le commentaire fait fausse route. Il s’est égaré en suivant le premier orateur de la soirée, Jean-Luc Mélenchon, occupé à semer le trouble dans les esprits sur l’interprétation du vote. Or, voyez plutôt : le total des suffrages exprimés en faveur des candidats du NFP au terme second tour n’est que de 25,7 % ; si nous ajoutons tous les votes de gauche, nous atteignons laborieusement 27,3 %, soit 17,1 % des électeurs inscrits… Il est impossible d’y voir une victoire. De l’autre côté, le RN et ses alliés réunissent 37 % des suffrages exprimés ; l’ensemble des suffrages de droite représentent 46,6 % des suffrages. Au soir du second tour, les votes de droite dépassent de 20 points les votes des gauches.

C’est dans ces conditions que la politique du « barrage » devient périlleuse et donc problématique. En effet, le RN a remporté ces élections législatives, certes sans parvenir au pouvoir. Mais il atteint des niveaux électoraux sans précédent dans son histoire. Le nombre de députés RN à l’Assemblée nationale va encore augmenter fortement (+ 58 %) après avoir été multiplié par 12 ou 13 entre juin 2017 et juin 2022. Le RN représente désormais près de 80 % des votes de droite. Autant dire que le RN, c’est la droite. Mais alors, le « barrage républicain » devient un « barrage » contre la droite, un barrage orchestré par une gauche qui n’a jamais été aussi faible sous la Ve République.

Enfin, compte tenu de la sociologie du vote RN et compte tenu du nombre croissant de ses électeurs, le « barrage républicain » est non seulement en train de fabriquer une équivalence entre le RN et la droite, mais aussi entre le RN et le « peuple », le RN et le monde du travail ; puis entre le RN et les élites, le « barrage républicain » mobilisant plus fortement une France plus favorisée, plus instruite, mieux connectée ; pour finalement aboutir à l’ultime retournement d’une équivalence entre le RN et la démocratie. [...]"


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