(ladepeche.fr , 6 juin 24) 7 juin 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Chloé Morin, Quand il aura vingt ans, Fayard, 7 février 2024, 320 p., 21,50 €.
Conférence jeudi 13 juin, de 19 h à 20h30, au cinéma Pathé Wilson
Inscriptions sur metropole.toulouse.fr.
"L’essentiel Invitée par Toulouse Métropole dans le cadre d’un cycle sur les valeurs républicaines, la politologue Chloé Morin donnera le 13 juin à Toulouse une conférence sur le thème du "wokisme" qu’elle pourfend dans son dernier livre. Ancienne conseillère des Premiers ministres PS Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls, experte associée à la Fondation Jean-Jaurès, Chloé Morin, spécialiste de l’analyse de l’opinion et de la communication publique, se définit pour sa part "républicaine de gauche" et répond aux polémiques. Interview.
Pierre Challier
Vous avez publié ce début d’année "Quand il aura vingt ans… À ceux qui éteignent les Lumières". Vous y rappelez l’origine du mot "woke" un "éveil" contre les injustices qui n’est pas péjoratif. Mais vous y dénoncez le "wokisme". Comment définissez-vous ce mot et ce qu’il représente, selon vous, aujourd’hui ?
Il faut toujours rappeler que " wokisme " est utilisé comme un " mot-valise " et qu’il peut désigner tout et n’importe quoi selon qui l’utilise. Il y a effectivement un usage politique du mot " wokisme " par l’extrême droite qui vise à disqualifier toute la gauche. Mais ce n’est pas comme cela que je l’utilise. J’explique que s’il s’est chargé d’un contenu négatif, c’est parce que la nébuleuse du militantisme " woke " est devenue désormais la caricature d’un combat qui se dit pour l’égalité et la tolérance alors qu’il pratique l’intolérance et l’assignation à résidence identitaire.
En quoi, selon vous ?
Il divise le monde entre " dominants " et " dominés ", avec dans les " dominants ", le fameux " mâle blanc ", les riches, mais aussi les pays qui ont été des puissances coloniales, en y ajoutant Israël. Les "dominés" sont, eux, l’ensemble des minorités et groupes qui subissent des discriminations. Pour la France, ce sont les communautés LGBTQ +, les femmes, les anciens colonisés et les musulmans. Le but du combat politique devient alors de renverser les rapports de domination et pour y arriver, le wokisme emprunte au trotskisme l’idée que la fin justifie tous les moyens, y compris la censure, la menace, l’invisibilisation, puisque la cause est " noble " : quand vous êtes victime, vous ne pouvez jamais avoir tort. C’est là que les choses sont dangereuses. Des rapports de domination, il y en a évidemment beaucoup dans la société et depuis la Révolution, notre histoire même est de les déconstruire. Je n’ai donc pas de problème avec ça. Mais quand on en vient à tout déconstruire pour considérer que chacun est soit " coupable ", soit " victime ", l’universalisme qui fonde la République est en danger.
Votre venue à Toulouse suscite la polémique. Des élus de LFI ou le coprésident de la section toulousaine de la Ligue des droits de l’homme disent que le concept de "wokisme" a été créé par l’extrême droite. D’autres estiment que vous exploitez un "filon". Que répondez-vous à ces accusations ?
Le wokisme n’est pas du tout un concept d’extrême droite. Il est instrumentalisé par l’extrême droite, c’est très différent. Je consacre un chapitre entier à la généalogie du wokisme et à la richesse de la pensée de l’égalité qui a conduit à tous les combats contre les discriminations. Mais le wokisme est un activisme qui a mal tourné. En témoigne cette polémique lancée par LFI, précisément parce que je dénonce ses méthodes dans mon livre, et en l’occurrence, leurs attaques me donnent raison. Depuis 20 ans, la gauche crève surtout de laisser à l’extrême droite le monopole de valeurs qui sont historiquement les siennes. On a laissé la laïcité à l’extrême droite, qui évidemment l’instrumentalise et la dévoie, notamment contre les musulmans, mais aussi un boulevard sur la liberté d’expression et la question des caricatures de Mahomet, notamment.
Le 30 septembre dernier, à l’occasion de la rentrée politique de Carole Delga, vous étiez à Bram avec Ris, le directeur de Charlie Hebdo, toujours sous forte protection policière. Quel état des lieux dressez-vous, justement, de la liberté d’expression en France, bientôt dix ans après le massacre ?
Qu’aujourd’hui, il n’y a plus grand monde à gauche qui défend la liberté d’expression, l’un de nos biens les plus précieux, et qu’on a tendance à oublier trop facilement que des gens sont morts pour avoir essayé de la protéger. Or la liberté d’expression, c’est une valeur chère à la gauche. Mais au nom des meilleures intentions du monde, c’est-à-dire n’offenser personne et protéger la dignité de chacun, on en vient à s’autocensurer, notamment sur la question des religions. Il ne faut rien céder là-dessus. Tout citoyen français doit intégrer que la liberté d’expression fait partie de nos valeurs.
Vous êtes la compagne de Jean-François Achilli, licencié du service public pour faute grave après avoir envisagé une collaboration avec Jordan Bardella, président du RN. Vous évoquez une mécanique de destruction contre lui, contre vous. Que voulez-vous dire ?
Depuis la publication de mon livre, j’ai été la cible d’attaques personnelles. Au-delà du débat, normal, des gens s’en sont pris à notre vie privée. Pour une partie des journalistes, le combat idéologique prime désormais sur les faits. Nous basculons aujourd’hui dans une guerre idéologique avec des médias très polarisés, et les faits ne comptent plus. La seule manière de s’en sortir, c’est que chacun essaie de faire un effort sur soi-même pour être nuancé et avoir de l’empathie pour les gens qui pensent différemment. On ne s’en sortira pas autrement."
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier "Wokisme" (note de la rédaction CLR).
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