4 octobre 2013
"Femmes voilées et hommes barbus pourront désormais servir dans l’administration turque, une mesure voulue de longue date par le gouvernement islamo-conservateur du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, accusé d’ouvrir une nouvelle brèche dans la laïcité.
La décision, annoncée lundi par M. Erdogan et qu’il a présenté comme une réforme dans le domaine de la liberté de culte, doit certainement plaire aux électeurs de son Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) à l’orée des élections municipales de mars 2014.
Elle n’est d’ailleurs pas une grande surprise, car pas à pas, l’AKP avait ouvert la voie ces dernières années au port du foulard islamique en l’autorisant à l’université, dans les tribunaux pour les avocates, et aux examens.
Le chef du gouvernement, dont l’épouse et la fille sont voilées à l’instar des cadres féminines de sa formation, a proclamé la fin de "l’interdiction dans les institutions publiques (...) des mesures discriminatoires pour les femmes et les hommes".
Ces interdictions doivent en principe rester en vigueur pour les policiers, les militaires, les procureurs et les juges.
Mais le ministre de la Justice, Sadullah Ergin, a laissé entendre mercredi que les femmes en uniforme pourront aussi bénéficier de ce "droit" si les institutions pour lesquelles elles travaillent leur donnent le feu vert.
L’AKP souligne que la nouvelle mesure ne s’appliquera pas au voile islamique intégral qui ferme le visage au dessus des yeux et sous le nez dans l’administration, car les fonctionnaires femmes seront obligées d’avoir "le visage découvert".
Pour mettre en oeuvre la réforme, le parti gouvernemental se contentera de publier une circulaire officielle, mettant ainsi fin sans avoir à légiférer à une interdiction qui s’inscrivait dans la ligne des principes laïcs voulus par le fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk.
Depuis son arrivée au pouvoir, en 2002, l’AKP a fait de la levée de l’interdiction du foulard islamique dans la fonction publique le symbole d’une Turquie à la laïcité modérée, assumant son identité musulmane sans renier totalement ses principes laïques, l’un de ses combats favoris.
Déjà autorisé aux étudiantes sur les campus, le port du foulard sera désormais permis aux professeurs et à tous les agents publics, ainsi qu’aux députées.
En 1999, Merve Kavakçi, une députée turco-américaine élue sous les couleurs d’un parti islamiste, s’était présentée devant ses pairs coiffée du voile pour prêter serment. Elle avait dû quitter l’hémicycle sous les huées, avant d’être déchue de sa nationalité turque.
À six mois des municipales, l’annonce de M. Erdogan, sonne comme une "provocation" après la vague de contestation de juin, a estimé l’opposition social-démocrate.
Pendant près d’un mois, des centaines de milliers de manifestants avaient pris la rue pour reprocher au gouvernement sa "dérive islamiste", après notamment une réforme restreignant la consommation et la vente d’alcool.
"C’est un sérieux coup à la République nationale et séculaire", a martelé la députée Ayman Güler, membre du principal parti d’opposition pro-laïque, le Parti républicain du peuple (CHP).
Le chef de cette formation, Kemal Kiliçdaroglu, a appelé jeudi "tout les citoyens turcs, y compris ceux qui sont au niveau le plus élevé, à respecter les règles en vigueur".
Il rappelait à l’ordre à mots couverts Hayrünnisa Gül, la femme du président Abdullah Gül, qui a assisté à un discours de son mari coiffée de son foulard au Parlement, une première, un jour seulement après l’annonce de M. Erdogan.
"C’est un nouveau pas vers une Turquie transformée en un Etat de religion, ni plus ni moins", s’est insurgé Bekir Coskun dans ses colonnes du journal d’opposition Cumhuriyet.
Un universitaire, Ahmet Kiliçoglu, professeur à la faculté de droit de l’Université d’Ankara, a pour sa part estimé que le gouvernement turc avait ouvert la voie à l’islamisation de l’Etat turc.
"C’est un premier pas vers la burka en Turquie (...) Le voile appartient au domaine privé", a-t-il commenté, dénonçant une "dérive (islamiste) très dangereuse" et une "polarisation" dans la fonction publique entre croyants et non croyants. [...]"
Lire "Turquie : le Premier ministre Erdogan relance la polémique sur le voile".
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