par Hubert Huertas, journaliste, ex-chef du service politique de France Culture, ex-chroniqueur à Mediapart. 14 août 2023
[Les tribunes libres sont sélectionnées à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Aussi brutal que soit le constat, l’acte barbare commis contre une jeune femme à Cherbourg, par un jeune homme prénommé Oumar, est un bonheur pour la droite raciste, et un embarras pour la gauche antiraciste. Au-delà de la sauvagerie des faits, et des pensées qui doivent aller à la victime, constatons que cette aubaine et cette gêne sont un fait politique marquant, et d’autant plus empoisonné qu’il revient périodiquement dans l’actualité, depuis quarante ans ou plus.
Pourquoi serait-ce une aubaine ? Parce que depuis Jean-Marie Le Pen qui organisait des marches dès qu’un Arabe commettait un acte criminel, dans le but de les accuser tous, la droite raciste pratique la généralisation. Puisque c’est toi, c’est donc tes frères.
Notons d’abord l’absurdité du raisonnement. Mettre au ban tous les Arabes quand l’un d’eux commet un crime est aussi cohérent que virer les Belges de Belgique quand Dutroux assassine des jeunes filles, ou vouloir en finir avec les Français de France si Jonathan Daval vient d’étrangler sa femme.
Notons ensuite que pour appuyer son accusation la droite raciste interpelle la gauche antiraciste. Elle soutient que lorsque l’assassin porte un nom peu catholique, cette gauche refuse de le dénoncer, ou ne le fait qu’en se tortillant, ce qui est vrai. Et qui pose un problème.
Pourquoi cette pudeur de gazelle, comme dirait l’autre ? Pour une raison très simple : la gauche antiraciste redoute que l’acte d’un seul Oumar rejaillisse sur tous les Arabes de France. Ce faisant elle tombe dans un piège. Pour répondre à la mise à l’index de toute une communauté (« Tous dans le même sac » !) elle crée une contre-communauté (« Tous des victimes ») et la langue devient pâteuse avec cet Oumar, car admettre qu’une victime soit un coupable est assez compliqué.
Cette contradiction, la gauche antiraciste l’affronte après chaque fait divers de cette nature, et se pose toujours la même question : doit-on donner le prénom, et le nom, d’un agresseur dont la consonnance pourrait renvoyer à une communauté, qui pourrait-dès lors en souffrir dans son ensemble ? Vaine pudeur de gazelle à l’heure des réseaux sociaux, d’autant que ce paravent n’a jamais servi à rien, sauf à alimenter la rumeur en cachant l’information.
Vaine pudeur et problème peut-être encore plus profond. Si la gauche antiraciste a si peur de ce que va dire la droite raciste c’est sans doute qu’elle en est devenue le symétrique. La droite raciste condamne toute une collectivité au nom d’un individu ? la gauche anti raciste couvre un individu au nom de sa collectivité ! A la monstruosité de l’idée d’un « peuple mauvais » elle finit par opposer le principe d’un « peuple bon ». Au « peuple d’agresseurs » elle oppose le « peuple de victimes ». Au bloc du rejet elle oppose le bloc du tous pour un.
Dans ce genre de circonstances, la seule voie de salut n’est pas de cacher qu’Oumar s’appelle Oumar, ce serait plus sûrement de dénoncer son crime en s’indignant que des politiciens puissent faire lui le représentant de toute une communauté. Et rappeler à l’occasion que chaque humain est l’égal de tous les autres, qu’il peut donc devenir le pire ou le meilleur, qu’il doit être jugé pour ce qu’il a fait, et pas parce qu’il est noir, blanc, jaune, gris, Sikh, Animiste, Musulman, Juif, Catholique, Bouddhiste, ancien colonisé, futur colonisateur. Sortir des généralisations, oublier le sac de racisés face au stock de raciseurs, en revenir à l’universalisme. Ca ne semble hélas pas faire partie du programme de la droite populiste, ni des promesses de la gauche tapageuse.
Hubert Huertas
Comité Laïcité République
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