Tribune libre

"Le style c’est l’homme", écrivait Buffon, Annie Ernaux l’a pris au pied de la lettre (Th. Martin)

par Thierry Martin. 7 octobre 2022

[Les tribunes libres sont sélectionnées à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Le Monde, L’Obs, 20 Minutes, le Huffington Post, Télérama, l’agence Tass, heu pardon ! France Presse, bref tous les médias de l’Etablissement ont exhumé un papier de leurs pages froides - il ne faut pas être pris de court, et la nobélisée Annie Ernaux, qui ressemble de plus en plus à Michel Houellebecq, a déjà 82 ans. Macron et Mélenchon se sont bien sûr précipités pour la féliciter.

Elle est loin l’année 1964, quand Sartre refusait le prix Nobel de littérature, devenant le seul écrivain à avoir décliné la distinction. Le jour même de sa décision, il l’expliquait dans les colonnes du Figaro : le prix Nobel l’aurait changé en « institution », ce qui n’était pas en accord avec sa vision personnelle de l’écrivain. Aujourd’hui, la gauche n’a plus ce genre d’état d’âme, et Madame Ernaux un sujet du bac definitely du côté du manche.

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Annie Ernaux "casse les codes de l’écriture « féminine »". Il faut casser les codes. Elle « est connue, écrit LSD : Liberté, Sororité, Diversité, pour avoir été la première femme à écrire dans un style que l’on pensait “masculin”, c’est à dire sans fioritures, sans émotions personnelles. Bref loin de ce style qui « ne peut être que d’amour » pour les femmes. » Lisant « Le style c’est l’homme » [1], l’écrivaine a pris la phrase du naturaliste Buffon au pied de la lettre, oubliant qu’en français l’homme veut dire aussi la femme.

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C’est vrai que les Hussards, mouvement littéraire français des années 1950 et 1960, qui portaient en étendard l’amour du style et l’impertinence, n’étaient que des hommes. Blondin, Nimier, Déon...

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Dès l’incipit du Traité du style que le jeune Aragon avait publié en 1926, ne pouvait-on pas lire (avec cette faute qu’on comprend volontaire) : « Faire en français signifie chier. Exemple : Ne forçons pas notre talent : Nous ne FAIRONS rien avec grâce. La carte postale représentait un petit garçon sur le pot. Sujet de plaisanteries inépuisables, cependant une moitié de la population dépérit pour ce que tant de bons mots sont au rencart depuis que la chaise percée passa de mode » ?

Annie Duchesne naît au même moment que la chanson "En mille-neuf-cent-quarante, j’ai renversé le pot de chambre".

La sociologie bourdieusienne de la domination - qui a ravagé l’esprit français - lui a permis, dit-elle, dans les années 1970, d’identifier le « mal-être social » qui la ronge dès son entrée dans une école privée dans les années 1950. Elle vit jusqu’à ses 18 ans dans le café-épicerie « sale, crado, moche, dégueulbif » de ses parents à Yvetot en Haute-Normandie, oubliant que ce café-épicerie « sale, crado, moche, dégueulbif » permet à ses parents de lui payer une école privée.

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L’héroïne des Armoires vides décrit les deux mondes dans lesquels l’adolescente évolue : « l’ignorance, la crasse, la vulgarité des clients ivrognes, les petites habitudes minables de ses épiciers de parents » - oubliant encore que c’est ceux-là même qui lui paient son école - et « la facilité, la légèreté des filles de l’école libre ».

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En 1984, La Place lui vaut d’emblée le prix Renaudot. « On parle à son sujet d’écriture minimaliste, qui vise un certain « degrés zéro » de l’esthétique pour dépasser ce que la littérature ne parvient pas à capter : la réalité la plus banale. Cette écriture plate, pour reprendre un terme de l’auteur, vise à capter la vie avec la neutralité d’un objectif. On est donc loin de l’écriture fleurie - soit disant [sic] féminine », écrivent les sisters LSD « défoncé.e.s à la liberté » qui farcissent leur écriture inclusive de fautes involontaires. « Le "je" ici est neutre, un pur capteur, différent du je autobiographique habituel gorgé d’émotion. Il est un support pour saisir le réel : rien d’autre. C’est pourquoi l’expérience personnelle se transforme dans ses romans en une expérience collective et du même coup en expérience dé-genrée. »

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Annie, celle qui vient de publier Le Jeune homme dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard - un récit de 37 pages pour quand même 8 euros - l’a dit à plusieurs reprises dans ses interviews, « Si elle devait choisir sa mort, ce serait pendant des ébats ardents avec un amant... même si elle reconnaît que ce serait un peu "éprouvant" pour l’amant », s’émoustillent les sisters du Salon des Dames, qui se présentent comme une ONG qui repense la place des femmes dans la société et réintègre les femmes dans les manuels scolaires de l’Education nationale. Tout un programme. Voilà qui plaira à notre ministre wokiste de l’Education nationale.

Pierre Jourde écrivait dans son blog de L’Obs le 24 août 2021 : « Vous vous souvenez certainement de cette tribune qui, à l’initiative d’Annie Ernaux, a permis de débusquer de son trou le nazi Richard Millet (alias M le maudit). Ce fut un lynchage organisé. L’abject individu en a d’ailleurs perdu son emploi. […] J’aime bien les comités d’épuration, ils aident à rendre la justice. La même Ernaux a d’ailleurs appelé depuis au boycott d’Israël ». A l’époque, Marc Cohen avait écrit dans Causeur, le 21 septembre 2012 : « Affaire Millet : Patrick Besson scalpe Annie Ernaux », alors qu’Annie Ernaux vient d’écrire dans Le Monde "Le pamphlet fasciste de Richard Millet déshonore la littérature". »

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« La lettre-pétition d’Annie Ernaux contre Richard Millet dans Le Monde du mardi 11 septembre 2012 a paru accompagnée de 109 noms de personnes que le journal, par une sorte de prudence atavique gagnée au fil des années, se garde bien de qualifier d’écrivains, écrit Patrick Besson dans Le Point. Surprise : Didier Daeninckx absent de cette liste exhaustive de dénonciateurs qui restera dans l’histoire des lettres françaises comme la liste Ernaux. Je ne vois qu’une explication : Didier est décédé. Je présente toutes mes condoléances à sa veuve. » 

"Qui fait l’ange fait la bête", écrivait Blaise Pascal, voilà où mène la bien-pensance, et l’écrivain progressiste Annie Ernaux au prix Nobel de littérature.

Thierry Martin

[1Discours de Buffon lors de sa réception à l’Académie française, 25 août 1753 (note du CLR).


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