par Gilbert Abergel, premier vice-président du Comité Laïcité République. 21 mars 2018
Le 23 février dernier, le gouvernement publiait le « Plan national de prévention de la radicalisation ». Elaboré par le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, ce plan se décline en 60 mesures réparties sur 5 axes :
Toutes les propositions contenues dans le plan révèlent une connaissance presque sans faille des mécanismes de radicalisation de la part des auteurs que l’on devine plongés au cœur d’un terrain d’une extrême complexité.
En premier lieu, on peut se féliciter de l’abandon du fantasme de déradicalisation tel qu’il était à l’œuvre dans les politiques publiques, avec les échecs que l’on connaît. Cette conception révélait un déni total de la nature et de la force des convictions qui armaient le bras des radicalisés sur le point de passer à l’acte terroriste, ou l’ayant déjà accompli. Cette volonté de ramener dans le droit chemin ces « brebis égarées » était marquée du sceaux de l’angélisme, et forcément vouée à l’échec.
On ne parle donc plus de « déradicalisation » mais de prévention de la radicalisation, et les champs pour « prévenir » le phénomène semblent avoir été bien identifiés.
La volonté de « prémunir les esprits contre la radicalisation », première orientation de ce plan, est d’abord déclinée sur un axe majeur, celui de l’école, qu’il faut « investir en défendant les valeurs de l’école républicaine » On ne peut que se féliciter de cette première mesure « Développer les dispositifs de soutien à la laïcité aux niveaux national et académique, en les adaptant aux besoins locaux. Renforcer la formation aux valeurs républicaines des enseignants et de l’ensemble des personnels de la communauté éducative ».
Même si l’on est en droit de s’interroger sur ces « adaptations aux besoins locaux », cette priorité qui permet d’évoquer la laïcité et les valeurs républicaines rassure. L’éducation aux médias et à ses dérives, celle de l’internet notamment, l’accompagnement social des cibles privilégiées de l’islamisme radical figurent aussi en bonne place. Figure aussi comme prioritaire, le contrôle de la scolarisation en établissements d’enseignements hors contrat, et des situations d’instruction à domicile.
L’internet en tant que vecteur privilégié par les agents de radicalisation pour la facilité qu’il offre de contourner la loi dans l’anonymat le plus total, fait aussi l’objet d’un plan associant pouvoir public et acteurs. On notera la volonté de développer le « contre discours républicain » auprès des jeunes et des femmes.
Le second axe qui concerne le maillage détection / prévention permet d’identifier les champs sociaux confrontés au risque de radicalisation. Certains, comme le sport, ont depuis longtemps été repérés et les constats récurrents de l’activisme de certains groupes au sein de ces communautés sportives, laisse entrevoir l’ampleur du travail à accomplir.
Dans les administrations et les collectivités territoriales, il est prévu de former des référents chargés d’animer tous les dispositifs de détection et de prise en charge des personnes radicalisées.
La République dispose d’outils, et le CIDPR, auteur de ce plan, préconise, à juste titre de mobiliser voire de compléter l’arsenal juridique permettant de préserver le caractère laïque de nos institutions. Un groupe de travail devrait faire des propositions pour répondre aux situations de personnels des administrations « en contact avec des publics sur lesquels il est susceptible d’avoir une influence et dont le comportement porte atteint aux obligations de neutralité de respect du principe de laïcité ». Les conclusions de ce groupe de travail devraient être connues très prochainement.
L’entreprise est un autre de ces terrains sortis de l’aveuglement des pouvoirs publics. Le CLR avait, lors de l’un de ses colloques [1], participé à cette mise en lumière des situations qui, du refus de travailler avec une femme à l’exigence d’organisations adaptées aux convictions religieuses empoisonnaient la vie d’entreprises de plus en plus nombreuses. Plus personne ne conteste le caractère scandaleux des demandes de dérogations à la loi commune pour raison religieuse. Le travail d’enquête de l’Observatoire du fait religieux en entreprise renforce le caractère objectif de ces constats. Les évolutions législatives contenues dans la loi dite El Khomri ne sont pas négligeables. Le plan, quant à lui, se veut pédagogique. Offres de formation, mallettes pédagogiques, instances de signalement et d’évaluations sont proposées. Le souci d’associer les instances consulaires et les partenaires sociaux révèle la volonté d’un dialogue avec des acteurs parfois déjà pris dans la tourmente. Le rôle de la DIRRECTE est lui aussi précisé.
La finesse de certaines de ces mesures s’explique sans doute par la pertinence des observations d’acteurs de terrains, rompus à l’intervention sociale mais aussi à la recherche.
En témoigne, la volonté de « Comprendre et anticiper l’évolution de la radicalisation », objet du troisième axe de ce plan. Scientifiques et chercheurs spécialistes de la radicalisation, mais aussi psychologues, éducateurs, et bien d’autres, sont invités à l’éclairage théorique de ce phénomène. Des « Etats généraux de la recherche et de la clinique en psychologie et en psychiatrie sur la radicalisation » sont même proposés.
Ce plan s’achève par cinq chapitres s’inscrivant dans le volet « Adapter le désengagement ».
Y sont déclinées les différentes mesures de réinsertion, d’accompagnement des publics radicalisés de retour de zones d’opérations de groupements terroristes. Formation des personnels, coordination des différentes instances intervenantes, dispositifs de suivi y sont définis.
Il semble que l’on ait quitté cette posture de déni qui caractérisait les orientations des politiques publiques, et, hors de toute polémique, on s’interrogera sur la contradiction évidente entre le refus de l’Observatoire de la laïcité de reconnaître un problème laïque au sein de notre république et la sophistication de ce plan de 60 mesures ayant mobilisé pas moins de 18 ministères et nombre d’experts.
Félicitons-nous de cette évolution et espérons que ce dispositif ambitieux disposera des moyens nécessaires. En l’absence de planification et de calendrier de mise en place de ces nombreux, mais indispensables, outils, le risque de la lettre morte ou de l’incantation rassurante surgira.
Ajoutons que les instances d’évaluation devront, tout au long de la mise en place de ce plan, réajuster, corriger, inventer.
La prévention de la radicalisation n’en n’est qu’à ses débuts. Nous payons le prix d’un trop plein de dénégations et d’aveuglements, mais nous n’avons pas le choix.
Gilbert Abergel,
Premier vice-président du CLR.
[1] Voir Colloque du CLR « Laïcité et entreprises » (Paris, 13 déc. 14) (note du CLR).
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