Revue de presse

"Le pénis au pénal !" (A.-M. Le Pourhiet, Causeur, juin 16)

Anne-Marie Le Pourhiet est professeur de droit public. 21 juin 2016

"En quoi le fait de dire à un individu, quel que soit son sexe, qu’il a de beaux yeux, de belles mains, de belles jambes, une belle poitrine ou de belles fesses révèle-t-il de la haine ou de la discrimination ?"

"Cette fois, ça y est ! Qu’on se le dise, ça va changer ! Yvette Roudy, Catherine Trautmann, Monique Pelletier et Roselyne Bachelot n’accepteront plus jamais d’être l’objet du regard concupiscent des hommes politiques et dénonceront désormais systématiquement les salauds qui osent leur « mater le cul », selon la délicate expression recueillie par trois gracieuses journalistes du JDD.

Même la narcissique mijaurée Nathalie Kosciusko-Morizet, qui passe pourtant une bonne partie de son temps à se contempler dans la glace et à adopter des poses lascives, ainsi que Fleur Pellerin, qui calcule si bien l’effet promotionnel de ses stilettos Louboutin, ont rejoint les sœurs en lutte contre les frères en rut.

Nos anciennes gouvernantes ont ensemble décidé que l’« on ne peut pas » dire d’une femme qu’elle a des seins magnifiques, que sa jupe est trop courte, ni lui demander si elle porte un string, ni mettre la main sur sa cuisse ou masser ses épaules sans avoir dûment obtenu son consentement préalable. Tous ces comportements « inappropriés » relèvent, disent-elles, du sexisme, c’est-à-dire, si l’on se réfère aux vagues définitions qui en sont données, de la discrimination ou de la haine à l’égard des femmes.

Franchement, j’avoue avoir du mal à saisir tant l’objet du scandale que le raisonnement tenu dans ces opportunistes cris d’orfraie. En quoi le fait de dire à un individu, quel que soit son sexe, qu’il a de beaux yeux, de belles mains, de belles jambes, une belle poitrine ou de belles fesses révèle-t-il de la haine ou de la discrimination ? Lorsque je fais remarquer à un collègue que la pratique sportive lui conserve un beau corps d’athlète ou qu’il a de longues mains à caresser les femmes, je n’ai pas du tout l’impression de lui exprimer de la haine ou de pratiquer une discrimination sexiste. Je crois au contraire lui manifester de la sympathie et lui faire un compliment flatteur. Il m’est souvent arrivé de déplorer qu’il n’y ait pas davantage de « beaux mecs » parmi les universitaires ou de me féliciter de ce que les professeurs de droit portent généralement un élégant costume-cravate, à l’opposé des enseignants d’autres disciplines, souvent fagotés comme des traîne-savates. On ne voit vraiment pas ce qu’il y a de péjoratif à pousser des sifflements admiratifs lorsque Mme Duflot se décide à troquer le jean informe et négligé qu’elle arborait en Conseil des ministres, comme une injure aux institutions, pour une robe gonflante et voyante à grosses fleurs bleues qui introduit le printemps dans l’hémicycle. Le but de l’ingénue politicienne était évidemment de se faire remarquer, et il fut parfaitement atteint, quoi de répréhensible à cela ?

Qu’il y ait, dans le monde politique comme ailleurs, une minorité d’obsédés sexuels qui se jettent grossièrement sur leurs collègues ou assistantes, est un phénomène marginal que l’on a vite fait de remettre à sa place. En presque 40 ans de carrière universitaire, il m’est arrivé deux fois d’être sexuellement agressée : une fois par un collègue masculin respectable auquel on aurait donné le bon Dieu sans confession et qu’il a suffi d’éconduire rudement ; une autre fois, à l’inverse du cliché du Sofitel de New York, par une étudiante noire qui s’était permise de bloquer la portière de ma voiture et dont j’ai peut-être brisé le tibia en claquant cette dernière violemment avec force injures « lesbophobes ». L’idée de porter plainte pour agression sexuelle, dans les deux cas, ne m’a pas effleurée une seconde. Qu’est-ce qu’un tribunal viendrait faire dans ces sottises ? Les magistrats ont des choses plus sérieuses à traiter que ces non-événements.

Mais nos 17 combattantes, dont on devine la fébrilité avec laquelle elles ont réuni d’urgence leurs augustes signatures, ont justement oublié la sagesse de l’adage De minimis non curat praetor (On n’encombre pas le prétoire avec des broutilles) et la lucidité de Racine dans Les Plaideurs (« Tandis qu’au procès on travaille ma partie en mon pré laisse aller sa volaille »), pour manifester haut et fort leur « envie du pénal ». Inutile de préciser que les cas de harcèlement et d’agression homosexuels ne sont pas pris en compte par nos geigneuses, étrangement borgnes sur ce point, et qu’elles n’ont jamais aperçu non plus la stratégie pourtant fréquente et grossière de certaines femmes journalistes pour accrocher un homme politique à leur tableau de chasse. Sur cela, elles continueront à respecter l’omerta.

Nos ex-ministres enrôlées dans l’Armée du salut ont donc choisi pour slogan exclusif : « Le pénis au pénal ! » Les voilà toutes fières de proposer le renforcement du délicieux arsenal répressif qui faisait la joie du regretté Philippe Muray : allongement des délais de prescription en matière d’agression sexuelle (pour celles qui mettent plusieurs années à se souvenir du « fléau » qu’elle ont subi), possibilité pour les associations « compétentes » de porter plainte en lieu et place des victimes (de quoi alimenter copieusement la rubrique « genre » du recueil de jurisprudence Dalloz), poursuites systématiques pour harcèlement (bon courage aux procureurs), fin de la possibilité de correctionnaliser un viol (mais quelle femme Denis Baupin a-t-il donc violée ?), etc.

Nous avons récemment vu à la télévision une scène hilarante dans laquelle, après que le Conseil constitutionnel avait eu la sagesse d’abroger une incrimination de harcèlement sexuel parfaitement tautologique et arbitraire, une plaignante déçue accompagnée de son avocate hurlait dans le hall d’un palais de justice : « Il m’a touché les seins et ma plainte est irrecevable ! » Le reportage télévisuel était destiné à nous apitoyer sur le sort des malheureuses dont le machiste juge constitutionnel avaient torpillé la plainte, mais il produisit évidemment l’effet inverse en nous exhibant une sélection cocasse de nunuches ridicules.

Le philosophe Yves Michaud vient de publier un livre percutant intitulé Contre la bienveillance (Stock, 2016), dont l’analyse serait à poursuivre sur le terrain juridique. Il y décrit les effets pervers de la « morale du soin » et de l’idéologie du care, générés par l’obsession de la vulnérabilité dans nos sociétés de maternage. Les réactions hystériques à l’insignifiante « affaire Baupin » sont encore un exemple de cette pathétique dérive : une pluie de pleurnicheries sociétales dégoulinantes de compassion artificielle et poisseuses de sollicitude « gynécocentrique », accompagnée de l’habituel réflexe de la castration par la répression pénale. La bêtise ordinaire poursuit ainsi inlassablement son œuvre de pollution démocratique et juridique."



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