Revue de presse

"Le Pen diffuse des valeurs xénophobes à travers un prisme républicain" (S. Crépon, actuj.com , 30 mars 15)

Sylvain Crépon, enseignant-chercheur à l’Université de Tours. 4 avril 2015

"[...] A.J. : L’un des thèmes de campagne du FN a été la lutte contre le communautarisme. Que recouvre cette notion dans la bouche de Marine Le Pen ?

S. C. : Cette obsession va de pair avec l’intégration du discours républicain par le FN. Du temps de J-M. Le Pen, on n’aimait pas beaucoup la République et la laïcité dans le parti, notamment du fait de l’alliance objective avec des groupes catholiques traditionalistes, comme celui de Bernard Antony. L’intégration du discours républicain date de la campagne présidentielle de Jean-Marie Le Pen en 2007. Marine Le Pen, qui était la directrice de campagne, a appuyé cette thématique républicaine notamment sur les conseils d’Alain Soral qui avait alors rejoint le FN. Cette thématique était très importante car elle faisait partie de cette stratégie de dédiabolisation et de normalisation. J-M. Le Pen avait eu des mots très durs contre le principe de laïcité.

Sa fille a compris que c’était une erreur et qu’elle devait épouser les valeurs de la République si elle voulait voir son parti progresser. Pour autant, elle ne peut pas renoncer aux valeurs de son mouvement, qui est un parti nationaliste, véhiculant un principe ethnique de la nationalité. Le principe du droit du sang, tel que voudrait le mettre en place le FN, repose sur une vision ethnique de la nationalité. Ce qu’elle appelle la « priorité nationale », et qui est en fait la préférence nationale, s’appuie sur la même logique. Ce sont des principes anticonstitutionnels et contraires aux valeurs républicaines. Mais le fait d’inscrire le FN dans la lutte contre le communautarisme est très important car cela permet de républicaniser la xénophobie et de donner un visage républicain au rejet de l’autre.

On dit que l’islam ne veut pas s’intégrer, développe une forme de communautarisme qui ne s’assimile pas et qu’il faut réfléchir à un moyen de l’écarter ou bien de l’assimiler totalement. Cette conception est contraire aux valeurs de la laïcité car celle-ci n’est pas, au regard des articles 1 et 2 de la loi de 1905, l’opposition à la religion ou l’évacuation de la religion de l’espace public. D’ailleurs, le FN véhicule une laïcité à géométrie variable. Quand il s’agit du catholicisme, exprimer sa foi dans l’espace public ne pose aucun problème car cela fait partie de notre culture. Pour les autres religions, c’est différent. Cela explique par exemple la déclaration de Marine Le Pen sur sa volonté d’interdire le port de la kippa dans la rue. Ce discours est très adroit car il existe de réels problèmes de cohabitation entre certaines minorités, ou dans le rapport de certaines minorités au reste de la société. Mais le FN oppose sa vision nationaliste sous une tournure républicaine, ce qui contribue à rendre son discours audible.

A.J. : La question des repas de substitution dans les cantines scolaires est d’ailleurs revenue au cœur de l’actualité ces dernières semaines…

S. C. : L’idée vient au départ du FN, a été relayée ensuite par des élus de l’UMP et commence aujourd’hui à influencer Nicolas Sarkozy. La droite de gouvernement court après les thématiques du FN, ce qui est à mon avis une erreur stratégique, comme l’ont démontré les travaux de Nonna Mayer sur les droites européennes. Des élus de l’UMP pourraient être embarrassés par cette interdiction des repas de substitution qu’on prendrait au nom de la lutte contre le communautarisme. Même s’il ne s’agit pas de repas casher ou hallal, le FN peut parler de « repas spécifiques » et contribuer à diffuser ses valeurs xénophobes à travers un prisme républicain."

Lire Sylvain Crépon : "Marine Le Pen diffuse des valeurs xénophobes à travers un prisme républicain".



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