Revue de presse

"Le négationnisme passé au crible de la Constitution" (la-croix.com , 8 déc. 15)

12 décembre 2015

"Les sages examinent mardi 8 décembre la constitutionnalité de la loi Gayssot, qui érige en délit toute contestation des crimes nazis. Ce texte de loi avait suscité de vifs débats lors de son adoption, en 1990. Il n’a finalement pas entravé la recherche académique, comme certains historiens le redoutaient.

C’est une loi minée qu’examinent aujourd’hui les sages. Lors de son adoption, en 1990, la loi Gayssot a profondément divisé la classe politique mais aussi le monde académique. Que dit le texte exactement ?

Il érige toute contestation de la Shoah en délit [1] et enjoint aux juges de poursuivre ceux qui nient l’existence de chambres à gaz, qui doutent publiquement de l’extermination des juifs ou, plus généralement, qui banalisent les crimes nazis.

Ce n’est pas tant la condamnation morale de tels individus qui fit débat à l’époque que la démarche elle-même. En effet, pour la première fois, le législateur s’arrogeait le droit de « dire » l’histoire et de sanctionner pénalement ceux qui la contestent.

Pour la majorité de gauche, il s’agissait là d’une nécessité. « Il faut se replacer dans le contexte de l’époque, qui rendait urgent de contrer le négationnisme, devenu au fil des ans un nouvel outil de propagande antisémite », se souvient Me Sabrina Goldman, avocate de la Licra. Il s’agissait aussi, sans que cela soit affirmé explicitement, de faciliter les poursuites à l’encontre de Jean-Marie Le Pen, auteur de plusieurs saillies choquantes sur l’holocauste.

Autant d’arguments irrecevables pour nombre d’universitaires, dont les plus éminents : Pierre Nora, Jean-Pierre Vernant, Paul Veyne, Pierre Vidal-Naquet, Michel Winock, etc. Leurs craintes ? Que la loi n’entrave la recherche sur le sujet. Pire, que les juges s’improvisent gardiens de l’histoire « officielle ».

« Dans un état laïque, il ne doit pas y avoir de religion d’État, de philosophie d’État ni de vérité d’État, affirme encore aujourd’hui l’historien Antoine Prost, l’un des plus virulents détracteurs du texte. Et l’histoire ne déroge pas à cette règle : il ne peut y avoir d’histoire officielle reconnue comme telle et qui, en cas de contestation, puisse déboucher sur des poursuites judiciaires. »

Forte de ces arguments, la droite refusa de voter le texte. Certains, comme Jacques Toubon, allant jusqu’à dénoncer une « loi scélérate ».

Le changement de majorité aurait pu avoir raison d’une loi aussi controversée. Il n’en fut rien. Ni Jacques Chirac, ni Nicolas Sarkozy n’ont souhaité rouvrir le débat – eux qui avaient pourtant combattu le texte en tant que députés. « La droite ne voulait surtout pas être accusée de faire le jeu de l’extrême droite », décrypte un juriste.

Mais c’est, plus encore, la façon dont les juges se sont emparés du texte qui a changé la donne. « Les poursuites ont été très rares au final, constate Me Sabrina Goldman. Seuls les négationnistes avérés ont été inquiétés. Le travail des chercheurs sérieux n’a jamais été mis en cause. » Quelques procès se sont tenus, visant essentiellement Robert Faurisson et Vincent Reynouard (auteur de la saisine du Conseil constitutionnel), tous deux négationnistes revendiqués.

« La loi Gayssot présentait un vrai danger dans son principe, mais force est de constater que la justice en a fait une application très raisonnable », note le constitutionnaliste Bertrand Mathieu. À l’entendre, tout le mérite en revient à la Cour de cassation. Cette dernière a en effet su, au fil des ans, élaborer une jurisprudence équilibrée en la matière. Notamment sur la très délicate question du nombre de victimes des camps d’extermination.

Dans un arrêt de 1997, elle a ainsi précisé que ne relevait du délit que « la minoration outrancière » du nombre de victimes « lorsqu’elle est faite de mauvaise foi ». Une façon d’encadrer strictement les poursuites et de laisser le champ libre à la recherche académique sérieuse.

Interrogé sur le sujet en juillet 2014 avant de prendre ses fonctions de défenseur des droits, Jacques Toubon reconnaissait lui-même que la loi Gayssot n’avait pas donné lieu aux excès redoutés. « Les alarmes que j’avais manifestées étaient infondées, les choses se sont appliquées très correctement. Cependant, je maintiens que ce n’est pas la loi qui doit lever le doute sur l’histoire, mais les historiens. »

Un certain nombre d’universitaires partagent encore ce point de vue. C’est le cas d’Antoine Prost, qui voit dans la loi Gayssot « un tournant fâcheux puisque c’est à partir d’elle que d’autres lois mémorielles ont vu le jour ». Deux lois ont en effet été adoptées en 2001, l’une reconnaissant la traite négrière, l’autre reconnaissant le génocide arménien. Depuis, les historiens opposés aux lois mémorielles se sont organisés – à l’initiative de l’historien Pierre Nora – et ont créé l’association « Liberté pour l’histoire ».

Conduits à se prononcer, les sages ne se positionneront pas sur la constitutionnalité des lois mémorielles. Mais sur un point de droit très précis : savoir si le fait que la loi Gayssot n’incrimine « que » la négation de certains crimes contre l’humanité (ceux reconnus par le tribunal de Nuremberg), et non d’autres, introduit entre les victimes une discrimination contraire à la Constitution."

Lire "Le négationnisme passé au crible de la Constitution".

[1Ce délit est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.


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