Revue de presse

"Le leg précieux d’Abdelwahab Meddeb pour un « Islam des Lumières »" (J.-C. Ploquin, blogs.la-croix.com , 7 nov. 14)

7 novembre 2014

« L’entrée dans la modernité de l’islam nécessite un travail de deuil et engendre la douleur de la séparation »

Abdelwahab Meddeb, essayiste. Le 22 février 2008, interview dans La Croix.

"[...] Intellectuel né dans une famille de dignitaires religieux et nourri de culture classique française, il s’était fait connaître par un essai publié quelques mois après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, « La Maladie de l’Islam ».

[...] En hommage à son engagement, je reproduis ici les principaux extraits d’une interview que j’avais réalisée avec lui et qui était parue dans La Croix le 22 février 2008.

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, vous débusquez ce qui, au cœur de l’islam, peut mener à la violence terroriste. Êtes-vous entendu ?

Abdelwahab Meddeb : « La situation n’est pas bonne. Elle se dégrade de jour en jour. Une idéologie, l’intégrisme diffus, est en train de façonner le sujet islamique, grâce notamment à l’adaptation spectaculaire de son message à la télévision satellitaire. »

« Le point de départ, c’est la naissance à la fin des années 1920 du mouvement des Frères musulmans, avec pour projet de créer d’une manière polémique, forte, violente, une identité alternative par rapport à l’identité hégémonique de l’Occident. Ils refusent cette assimilation entre modernité et occidentalisation. C’est la réaction d’une tradition blessée, qui a peur de se sentir destituée. Or l’entrée dans la modernité nécessite un travail de deuil et engendre la douleur de la séparation. »

« Face à la violence que ce moment engendre, la plupart des États du monde arabe ont depuis passé un compromis avec les instances officielles de l’islam, malheureusement souvent acquises à l’intégrisme diffus : je vous donne la société et vous travaillez à cantonner la violence terroriste. Le résultat, spectaculaire dans un pays comme l’Égypte, c’est le renfoncement dans la superstition et l’obscurantisme ».

« Moi, j’essaie de sauver mon origine islamique dans le dépassement. Je travaille aussi pour l’islam européen et pour une frange du milieu lettré maghrébin qui a opté pour la modernité en conscience, même s’il conserve un lien très fort avec la croyance islamique. Il s’agit de conformer à la culture occidentale cette volonté de chercher un apaisement pour la dualité qui nous constitue. On retrouve aussi cette quête au Liban. Ce milieu est dans le désarroi. Il se sent de plus en plus étranger sur son propre sol, par rapport à sa propre communauté, et culpabilise en se demandant s’il n’est pas en train de défaillir. La pression du communautaire est très forte ».

« En tant qu’écrivain et critique formé à l’occidentale mais très informé par la tradition islamique, je vise à créer, à partir de l’espace de la scène islamique, un « post-islam », tout comme les amis d’origine juive et chrétienne avec qui je chemine, qui sont eux aussi dans le « post ». Cet « après » est le lieu où tout le monde peut se rencontrer, sans rien céder de son origine. C’est lui qui peut permettre aux musulmans d’Europe d’être en toute sérénité de plain-pied dans l’espace européen, dans les valeurs européennes ».

« Plus largement, c’est lui qui contribuera à désenclaver la référence islamique pour qu’elle puisse circuler à l’échelle mondiale sur la scène commune. Bien sûr, le postulat élémentaire dans ce « post », c’est que personne ne prétend plus avoir toute la vérité ! Je suis rasséréné par la vision kantienne selon laquelle toutes les religions reviennent à une communauté, une identité, qui s’appelle LA religion. »

« Je trouve par ailleurs extraordinaire ce que Jean-Paul II avait généré avec l’esprit d’Assise. Le fait d’inviter toutes les religions, même celles qui paraissaient les plus fantasques pour les monothéismes, celles qui sont encore profondément marquées par la superstition, par le mythe, était remarquable. Cette idée que toute forme de religion peut-être participante à la vérité, c’était une audace extraordinaire de la part d’un pape car c’était mettre à l’épreuve sa propre vérité et ce qu’il estimait être la seule religion vraie ».

« Le problème, dans la tradition islamique, c’est le statut du Coran, qu’elle considère comme incréé, parole inaltérable de Dieu dans sa lettre même. Si l’on en reste là, il n’y a pas moyen de travailler sur la part du texte qu’il s’agit de neutraliser. Une part qu’on doit contextualiser et estimer caduque car elle appartient de toute évidence à un moment historique, à un état anthropologique très précis, celui du patriarcat ».

« C’est pourquoi il me paraît essentiel de restaurer la thèse du Coran créé, en puisant notamment dans l’histoire de la pensée islamique, qui est un gisement très précieux. Cette démarche, qui nous permet de travailler sur le Coran de manière plus interventionniste, devient un enjeu démocratique majeur. Sur le fond, mon option est de donner la priorité à l’horizon éthique par rapport à l’injonction de la loi religieuse »."

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