Revue de presse

"Le Français, cet "Homo periurbanus"" (Le Monde, 2 juin 12)

5 juin 2012

"[...] En se frottant les yeux, les citoyens de l’Hexagone ont dû se rendre à l’évidence : la fameuse opposition ville-campagne, qui permettait de penser l’espace depuis des siècles, n’était plus opérationnelle. A la place, une autre forme d’occupation du territoire, à la fois plus complexe et plus vague, incontestablement plus difficile à saisir, mais qui pèse lourd dans les urnes. D’un côté le vote urbain, très majoritairement de gauche dans les villes grandes ou moyennes ; de l’autre celui des périphéries, où progressent à la fois l’abstention et le vote tribunitien, qu’il soit en faveur des tribuns d’extrême gauche ou d’extrême droite. [...]

Les travaux du géographe Jacques Lévy, professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse), mettent en évidence une tendance des périurbains à rejeter le "système". Le vote tribunitien, notamment pour le Front national, augmente à mesure qu’on s’éloigne des centres et que le revenu moyen des populations concernées diminue. [...]

C’est autour des questions anthropologiques que s’articulent les visions les plus contradictoires. Pour les uns, le périurbain n’est qu’une ville dégradée, un non-lieu générateur de repli, d’abdication du politique et de l’idée même de collectif. Pour d’autres, il serait la préfiguration d’une société en mouvement, l’endroit où s’inventent des espaces, des mobilités et des formes de sociabilité nouvelles.

La cartographie précise du périurbain n’est pas facile à dresser, mais on sait que les communes concernées sont majoritairement occupées par les classes moyennes, puis moyennes "inférieures" en fonction de l’éloignement, avec des composantes ouvrières dans certaines régions et paysannes dans les endroits les plus périphériques.

L’Homo periurbanus ne roule pas sur l’or. "Selon une étude réalisée en 2009-2010 par l’Union des maisons françaises, un tiers des acquéreurs de logement individuel ont un revenu de 2 400 à 2 500 euros par mois", note Eric Charmes, chercheur à l’Ecole nationale des travaux publics de l’Etat (ENTPE). Pour ce citoyen en constant déplacement, la voiture est une extension irremplaçable de lui-même - et une source de dépenses très importante : il travaille à l’extérieur de sa commune, fait ses courses dans des centres commerciaux situés à plusieurs kilomètres, emmène ses enfants faire du sport loin de chez eux, et perd souvent du temps et de l’argent à compenser le manque de structures sur place (accueil parascolaire, équipements sportifs, etc.). Bref, il vit dans les transports. Résultat : son existence est en grande partie mangée par des tâches fonctionnelles, qui l’absorbent et lui laissent peu le loisir de flâner, de se cultiver, de dialoguer. Autour de sa maison, les rues sont désertes, ses voisins sont dans leurs voitures, il peut passer des jours sans les croiser, il n’y a pas de cinémas, pas de bars, pas de bibliothèques. [...]

Ces citoyens "comme les autres" sont à la recherche de "solutions plus amples", soutient Martin Vanier, qui s’élève contre le "racisme spatial" dont les périurbains sont l’objet. "Le périurbain aura sa vie, son avenir, ses mutations, ajoute-t-il. C’est un désert culturel, événementiel, symbolique qui doit se fabriquer des représentations collectives, des hauts lieux, des récits, une culture, un imaginaire." Pas facile dans des endroits le plus souvent limités aux cinémas multiplex, à l’ombre des centres commerciaux. Mais il ne faut pas sous-estimer le degré de sociabilité qui se développe là, estime Jean-Marc Stébé. "Allez dans un centre commercial un samedi, les terrasses des cafés sont noires de monde." Pour lui, le périurbain déploie de "nouvelles centralités", les habitants se regroupant de préférence à proximité du Carrefour ou du Auchan. [...]"

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