Par Annick Drogou, Vice-Présidente du CLR. 14 novembre 2014
Accueillie à la Mairie de Paris par Madame Hélène Bidard, adjointe chargée des questions relatives à l’égalité femmes/hommes, se tenait la première journée, vendredi 7 novembre 2014, de la Première Conférence du Réseau International Féministe et Laïque (RIFL). Introduites par Sabine Salmon, présidente nationale de Femmes Solidaires, et Kulkit Kaur, vice-présidente de All India Women’s Conference, les prises de parole se sont succédées, suivies d’un débat.
Entre autres invitées, Shoukria Haïdar, Prix International de la Laîcité 2014, était venue porter la voix des femmes d’Afghanistan. Ainsi que Maria Hagberg pour la Suède, Soad Baba Aissa, au nom de Femmes Solidaires de France, Nursel Kilic et Caran Polat, militantes kurdes.
Nombre de réseaux féministes de lutte contre les violences faites aux femmes à travers le monde étaient représentés. France, Inde, Kurdistan, Somalie, République Démocratique du Congo, Suède, Pérou, Afghanistan, Québec, Mauritanie.
Féminicide, au sens propre le meurtre de la femme. La parole sur ce sujet s’est déployée, non comme une litanie larmoyante, mais comme un constat étayé de propositions tangibles.
On ne peut que regretter vivement que la gent masculine y ait été, malgré les invitations lancées, si visiblement absente…
Sans décliner le détail de toutes les interventions, un certain nombre de réalités récurrentes ont été diversement évoquées et commentées.
Une si banale barbarie
Les religions apparaissent comme les outils préférentiels de restriction des droits des femmes. Même si, à l’heure actuelle, les intégrismes islamistes paraissent les plus patents dans leurs violences assorties d’exactions liées aux guerres, il serait non pertinent de circonscrire ces constats à cette seule sphère islamiste, Maghreb, Afrique sub-sahélienne, centrale et orientale, Proche et Moyen Orient.
Certes, le code de la famille et les coutumes locales y favorisent une violence consensuellement exacerbée (viol, rapt et mariage forcé des filles impubères, excision) et une persécution systématique de toute déviance avérée ou supposée des filles et des femmes (lapidation pour adultère supposé ou avortement même en cas de viol). Mais que dire de territoires traditionnellement chrétiens qui n’échappent pas à l’ordinaire de la violence faite aux femmes ? Au Pérou, entre autres terres d’horreur, on a pratiqué sans vergogne la stérilisation forcée de 300.000 femmes qui n’avaient d’autre tort que celui d’être rurales et pauvres. Et on ne saurait passer sous silence la sinistre réalité des 44% de violences qui y sont banalement domestiques.
Il serait aussi inepte de ne voir dans les viols et violences recensés en Europe occidentale et septentrionale que le fait des immigrés aisément stigmatisés pour l’arriération de codes d’honneur et de traditions culturelles figés. La Suède, pour ne citer qu’elle, enregistre par an environ 17 assassinats de femmes par les hommes de leur proche entourage, 6000 viols avoués …
Viol et violences comme arme de guerre
La frontière est ténue entre ce quotidien de la brutalité et son aggravation barbare en temps et lieux de guerre.
Sévices sexuels, viol, torture, meurtre, sont le lot quotidien des femmes et filles de Somalie, accrus par les troubles profonds qui ravagent cet Etat depuis 1991, et plus encore par le radicalisme de la mouvance d’Al Shabbaab depuis 2006. Samira G., coordinatrice de Somalia Women Voice, dénonçait ces exactions dans l’Appel des Femmes Somaliennes, lancé aux Nations Unies.
Le Kurdistan, tant irakien que syrien, est sous les feux de la rampe. Depuis août 2014, les combats font de Kobané un enfer, dont femmes et enfants sont les principales victimes. 5000 femmes y ont été déjà pourchassées, converties de force à l’Islam et kidnappées pour être vendues en bazar sexuel, pour le prix de 100 à 1500 $ selon la « qualité du produit », au point que les plus jeunes et jolies d’entre elles préfèrent s’auto-mutiler…
En République Démocratique du Congo, comme en faisait état la représentante de l’ONG Femmes Victimes de Violences Sexuelles, viol et violences sexuelles sont utilisés comme armes contre la population, dans la perspective, hélas réussie, d’entretenir un traumatisme durable et d’assurer ainsi la pérennisation du conflit.
Une périlleuse dénonciation
En Somalie encore, une femme a été lapidée pour avoir dénoncé les violences faites aux femmes, les victimes elles-mêmes s’exposent aux représailles de la part des forces de sécurité.
La dénonciation par les femmes de ces viols et violences fomente les vengeances familiales, dans de nombreux pays, en conflits comme en paix, tels le Mexique, l’Inde, la Suède et bien d’autres.
Comment ne pas percevoir les liens indéniables qui, par la manière dont certains comportements façonnent la masculinité, se tissent avec la guerre ? Maintenir les femmes en position de victimes conforte la légitimité de leurs protecteurs auto-proclamés…
Dénoncer l’impunité
Difficile de ne pas s’indigner face au classement pur et simple de tels scandales (ce fut le cas pour la stérilisation forcée au Pérou), face à la fréquence accrue des viols et violences si mal, si peu ou pas même condamnés, à la justification des crimes d’honneur, à la dichotomie avérée entre loi nationale et coutume locale, à l’impunité des fauteurs de prostitution.
Evidemment, certains Etats modifient, durcissent, voire créent, leur législation contre les violences sexuelles. L’Inde s’est ainsi dotée d’un arsenal juridique plus répressif, sous la pression de mouvements pour le droit des femmes, en écho à des affaires très médiatisées, l’Ethiopie part en croisade contre l’excision, la France et nombre d’Etats prennent, depuis 2010, des ordonnances contre le harcèlement de rue. Des associations, telle Téléphone Grand Danger, luttent en France pour une meilleure protection des victimes de violence.
Il est à regretter que l’air du temps soit si volatil dans la mobilisation internationale. Si les enlèvements de filles perpétrés par la secte Boko Haram a soulevé l’ardeur médiatique autour des BringBackOurGirls, la déshérence guette trop rapidement ce genre d’initiative.
Or, prêter attention à la violence sexiste induit, en temps de paix comme de guerre, de se concentrer sur les femmes dans le quotidien le plus banal, dans les groupes minoritaires, dans les situations de vulnérabilité qui sont si fréquemment leur lot, parce qu’elles sont privées d’éducation, d’école, de liberté de conscience et de parole, d’égalité des droits, d’élémentaire sociabilité politique. Est-il besoin de répéter à l’envi les bienfaits de la Laïcité ?
Pénaliser les violences
L’entreprise n’est pas mince, car elle se fonde sur une prise de conscience que cette discrimination, poussée trop souvent à sa violence ultime, est un mal qui gangrène une société tout entière, que cette lucidité doit s’accompagner d’un changement profond des mentalités et des comportements, tant au niveau des individus qu’à celui des sociétés. Si difficile de briser l’étau de la peur…
Elle induit une appropriation du terme de féminicide par le vocabulaire juridique et légal des Etats. L’Italie quant à elle, en 2013, en a fait entrer le concept et le terme dans sa législation.
Elle suppose une vigilance pérenne et la dénonciation systématique des exactions.
Nombre d’Appels, de lettres, d’auditions, sont adressés aux organismes internationaux au plus haut niveau, Nations Unies entre autres.
En décembre 1979, la grande majorité des Etats a ratifié la CEDAW (Convention on the Elimination of all forms of Discrimation Against Women). Encore faudrait-il les contraindre à approfondir le travail contre la violence à l’encontre des femmes, à l’échelle mondiale… Ce qui suppose la mise en place de nouvelles législations concernant la violence masculine contre les femmes, le rapport des cas de féminicide fait par les femmes elles-mêmes à leur propre gouvernement, leur transmission aux Cours internationales de justice. Pourquoi ne pas constituer des instances judiciaires internationales spécialisées dans les dossiers de violences faites aux femmes ?
Génocide, gynocide, il s’en faudrait d’une voyelle. Sinistre paronyme…
Annick Drogou
Vice-Présidente du CLR
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
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