31 octobre 2016
"La journaliste et essayiste Djemila Benhabib, Prix international de la laïcité, est traînée en justice par les islamistes. Un procès symbole qui s’ouvre à Montréal le 26 septembre.
"Les prétoires aussi sont des champs de bataille. Précédant, provoquant et prolongeant le terrorisme, une nuée d’avocaillons s’affaire depuis vingt ans, d’Orient en Occident, à traquer le moindre zeste et geste de liberté. Faut-il rappeler que, longtemps avant d’être massacrée, l’équipe de Charlie Hebdo avait été poursuivie par la Mosquée de Paris et l’Union des organisations islamiques de France ? Djemila Benhabib, qui publia naguère un salutaire Ma vie à contre-Coran et appelle au sursaut laïque dans Après Charlie (H&O éditions), n’a rien oublié. Ni nos amis assassinés, ni son pays natal, l’Algérie, laboratoire du totalitarisme islamique dans les années 90. Elle avait mis un océan entre elle et la terreur, mais la terreur nous rattrape toujours.
Le 26 septembre, l’indomptable essayiste passe donc en procès au Canada, poursuivie par l’association Les Ecoles musulmanes de Montréal. Une affaire qui remonte à 2012. Djemila Benhabib avait osé, dans une interview, se dire scandalisée par des méthodes pédagogiques qu’elle a elle-même subies, enfant, en Algérie. « J’ai dénoncé le fait qu’on fait réciter à des petits enfants des versets coraniques appelant à l’extermination des mécréants. A leur âge, on m’ordonnait de répéter des phrases entières réclamant la destruction des juifs et la lapidation des femmes adultères. Je me suis également insurgée contre le port du voile imposé à des fillettes de moins de 9 ans. L’école qui me poursuit est l’établissement islamique le plus important du Québec... » Créées en 1985 à l’instigation d’un Pakistanais qui voulait importer le « modèle » du « Pays des purs », Les Ecoles musulmanes accueillent toutes les sessions du Conseil de la charia. Cet organisme, comme son nom l’indique, vise à influencer toutes les institutions afin que le droit musulman soit pris en compte dans le droit québécois. Djemila Benhabib se bat sans relâche contre l’offensive obscurantiste, laquelle s’enfonce pourtant, comme un coin d’acier, dans la mollesse du multiculturalisme nord-américain. La détermination de la jeune femme en fait une cible de choix pour ceux qui jouent le grand air victimaire sur les violons grinçants de « l’islamophobie », ce mot inventé « pour permettre aux aveugles de rester aveugles », comme l’écrit si bien Salman Rushdie. Djemila Benhabib a défendu la charte de la laïcité qu’aurait fait passer le Parti québécois s’il avait gagné les élections de 2014. La victoire du Parti libéral a éloigné, hélas, cette éventualité. « Mon procès, c’est le symbole du djihad juridique », résume Djemila.
Cette chasse à l’homme et à la femme libres n’est pas neuve. Le djihad juridique a commencé dans les pays arabes avant de se répandre en Occident. L’Egypte fut l’un de ses premiers champs de manœuvres. Dans les années 90, au Caire, la lutte contre le terrorisme va de pair avec une réislamisation de la société supposée protéger le peuple de ce même terrorisme. Comme d’habitude - comme aujourd’hui dans les sociétés occidentales -, ce raisonnement, qui allie l’inconscience à la lâcheté, ne tient pas. Nasr Abu Zayd fut l’une de ses victimes. Ce philosophe et historien brillant était partisan d’une relecture du Coran. En 1994, des avocats islamistes parviennent à obtenir l’annulation de son mariage au motif que l’universitaire est un apostat qui ne peut être l’époux d’une musulmane. La décision a beau contredire, en théorie, les lois égyptiennes, elle est appliquée. Car un flou artistique flotte, en terre musulmane, sur ce qui relève du droit religieux et du droit civil. Le couple se réfugie aux Pays-Bas. Nasr Abu Zayd meurt en exil en 2010. Le djihad juridique lui a interdit de revoir les bords du Nil.
A la même époque, le brillant cinéma égyptien voit ses stars pulpeuses prendre le voile les unes après les autres. Un vrai festival de pudibonderie. Seule la belle Yousra, actrice fétiche de Youssef Chahine, résiste aux cris aigres des tartufes qui trouvent anticoranique le déshabillé de satin noir ouvert sur sa gorge blanche. Elle affronte procès après procès intentés par un tribunal de Damanhour, en Haute-Egypte. Les romans du prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz sont eux aussi attaqués en justice, et le vieil écrivain, en 1994, est la cible d’une tentative d’assassinat par deux membres des Gamaa al-Islamiyya, les commandos djihadistes. Les ados au couteau ne connaissaient ses livres que par l’odeur de scandale répandue par les procès. Tout comme les assassins du journaliste copte Farag Foda, en 1992, n’avaient entendu parler de ses écrits que par la condamnation pour blasphème émise par le grand imam de la mosquée Al-Azhar.
Car le djihad juridique se situe bien au cœur touffu de la charia, la loi islamique. Son objectif est d’invalider, au nom de l’islam majoritaire, la loi civile que se sont donnée les pays musulmans, ou de détourner, au nom des droits de l’islam minoritaire, la loi régalienne des pays occidentaux. Dans le premier cas, il a comme alliée une opinion publique musulmane conservatrice et peu éduquée. Dans le second cas, il s’appuie sur les tenants d’une idéologie de compromis, arc-boutés, toujours, sur le concept magique d’« islamophobie ».
Au Canada, le journaliste roumain Mihai Claudiu Cristea, qui avait cru pouvoir tenter sa chance à Montréal, a été condamné après un harcèlement qui l’a épuisé, ruiné, et finalement poussé à quitter son pays d’adoption. En juin 2012, surpris, comme tous les passants, par l’irruption sur un marché d’une femme en niqab, aux côtés d’un compagnon en tenue estivale, il photographie la scène et en tire un article en donnant sobrement la parole aux partisans comme aux adversaires du voile intégral. Cristea, qui a lancé son propre journal, découvre depuis quelque temps le sinistre petit monde salafiste. Au cours de diverses rencontres islamiques et portes ouvertes à la bienheureuse différence, il entend des prédicateurs recommander « les tapes correctrices » contre les épouses et avertir les croyantes que serrer la main d’un homme équivaut à forniquer. Il se fait expulser d’une salle de l’université Laval par les videurs de l’Association des étudiants musulmans pour de naïves questions sur la polygamie. Le couple salafiste photographié décide de porter plainte contre le journaliste. Conseillés par les avocats islamistes qui flairent une aubaine idéologique et leur promettent une manne financière, la femme en niqab et son acolyte, des Tunisiens, attaquent. Malgré la clarté de son argumentaire et la confusion de celui des plaignants, Cristea perd. Car, témoigne Djemila Benhabib qui a suivi son procès, « sans avocats et sans grands moyens hormis quelques amis et lecteurs qui ont constitué un comité de soutien pour l’épauler, l’éditeur fait face à cette cabale salafiste presque seul. Les dés sont pipés, la justice n’accepte pas de porter la cause en appel ». Condamné « pour atteinte à l’identité » d’une personne qui se voile pourtant intégralement, le journaliste, effondré, rentre en Roumanie. Autrement dit, deux salafistes tunisiens sont confortablement installés aujourd’hui à Québec alors qu’un Roumain laïque et républicain a dû quitter le pays.
Le djihad juridique est donc une arme efficace de destruction. « On veut nous affaiblir, nous ruiner, nous effacer, nous empêcher d’écrire, de parler, de participer au débat public, de diffuser nos idées », explique Djemila Benhabib qui n’en est pas à son premier procès. Elle a gagné le précédent, intenté par une mosquée, en 2015. Cette fois, si les avocats des Ecoles musulmanes la font taire, d’autres voix résonneront-elles aussi fort ? Et surtout aussi clair ? « Qu’on ne s’étonne pas si un enfant imprégné d’une culture de violence passe à l’acte. Il y a une continuité entre l’idéologie véhiculée par de pseudo-pédagogues et l’acte terroriste. Peut-on accepter de tels enseignants ? » Ces centres d’intoxication mentale sont subventionnés par le ministère de l’Education : un demi-million de dollars par an. La classe politique dort sur ses deux oreilles en ronronnant : laissez venir à nous les petits djihadistes...
Martine Gozlan
Ma charia au Canada
Lors de l’entretien qu’il nous a accordé (n° 1013), le juge Marc Trévidic est revenu sur un précédent canadien : « En 2004, j’ai suivi de très près ce qu’il s’est passé là-bas. La charia civile a failli passer, de justesse. Il y a eu tout un débat, et des hommes politiques, laïques, avaient des arguments pour justifier son acceptation, notamment dans le domaine des affaires familiales. On entendait des gens dire : "Comme les femmes ne viennent pas dans les tribunaux laïques, pour les procédures de divorce, la garde des enfants, ou en cas de violence conjugale, au moins avec l’instauration de ces tribunaux islamiques ce sera un moindre mal, elles iront, ce sera un minimum de protection." C’était assez surprenant. Du moment que le reste de la population ne devait pas s’y soumettre, cela leur paraissait acceptable. Ils avaient aussi pensé à le faire pour certaines affaires commerciales. Ce n’est ni plus ni moins que la stratégie de certains groupes radicaux, qui estiment qu’ils sont solidaires du djihad mais ne vont pas prendre les armes, en préférant se consacrer à l’établissement de la charia sur certaines parties du territoire : c’était le cas de Charia For Belgium, Shar’ia For Britain et, en France, de Forsane Alizza. »
Vladimir de Gmeline"
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
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