Revue de presse

"Le « deuil impossible » de la famille de Samuel Paty" (Le Figaro, 9-10 nov. 24)

(Le Figaro, 9-10 nov. 24) 19 novembre 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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COMPTE RENDU D’AUDIENCE - Ce vendredi après-midi, les proches de l’enseignant assassiné ont témoigné devant la cour d’assises spéciale. Sous les yeux de son fils, âgé de neuf ans et demi.

Par Aude Bariéty de Lagarde

Île de la Cité, 13 h 47. Un petit garçon en doudoune fait son entrée dans la salle des grands procès du Palais de justice. Avec sa mère, il s’installe au premier rang, à gauche. Me Francis Szpiner s’approche, lui sourit et lui serre la main. Cet enfant, c’est Gabriel, neuf ans et demi, le fils unique de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie assassiné par un terroriste islamiste à la sortie de son collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) le 16 octobre 2020. Désormais pupille de la nation, Gabriel est venu assister à l’après-midi consacré à l’audition des membres de sa famille, qui conclut la première semaine du procès de l’assassinat de son père. « C’est lui qui a souhaité être ici, il a toujours été extrêmement demandeur d’explications, depuis le premier jour. C’est logique qu’il soit ici », explique sa mère.

Devant lui défilent à la barre sa grand-mère, sa mère, ses deux tantes, ses deux cousines - son grand-père est absent en raison d’une « mauvaise chute ». Bernadette Paty, la mère de la victime, revient d’abord sur l’enfance de son fils, « un enfant plein de centres d’intérêt, qui adorait les livres, passionné d’histoire ». « C’était mon mari qui couchait Samuel. Comme il n’avait pas envie de lui lire des petits contes pour enfants et qu’il était passionné d’histoire, il lui a toujours raconté l’histoire de France », narre la vieille dame. Elle n’est donc pas surprise lorsque son fils opte pour la carrière d’enseignant d’histoire-géographie.

C’est dans son établissement scolaire de Seine-et-Marne que Samuel Paty rencontre Jeanne A., professeur d’espagnol, qui sera sa compagne pendant onze ans. Ensemble, ils ont un fils, Gabriel. « Samuel adorait son fils. C’était un papa poule, et il était extrêmement fier de lui », confie Gaëlle Paty. Le couple déménage à Éragny-sur-Oise, tout près du nouvel établissement de Samuel Paty, avant de se séparer « en bons termes ». Au collège du Bois-d’Aulne, Samuel Paty « se plaisait, témoigne sa mère. Il trouvait qu’il y avait une bonne ambiance et que le niveau des élèves était meilleur que dans son établissement précédent. »

« Nous ne savions pas qu’il avait des ennuis »
En octobre 2020, le quadragénaire vivait pourtant dans la peur, se sachant menacé. Mais il n’avait confié ses inquiétudes à aucun membre de sa famille. « Nous ne savions pas qu’il avait des ennuis depuis qu’il avait fait ce cours (pendant lequel il avait montré des caricatures de Mahomet, NDLR). Nous l’avions eu au téléphone le dimanche qui a précédé son assassinat et il ne nous avait rien dit », se souvient Bernadette Paty. Le vendredi 16 octobre, à 17 h 04, Samuel Paty est assassiné par Abdoullakh Anzorov dans une rue d’Eragny.

À proximité du lieu du drame, son ex-compagne récupère à l’école leur fils, alors âgé de 5 ans. « Gabriel me dit qu’il a entendu des pétards. Nous rentrons à la maison, nous dînons tôt, sans savoir. J’écris des textos à Samuel qui n’obtiendront jamais de réponse, et l’inquiétude commence à monter », raconte-t-elle. Elle reçoit en fin de soirée la visite de policiers du commissariat de Conflans qui lui annoncent officiellement le décès de son ex-conjoint. « Gabriel dort toujours. Ma nuit se passe à anticiper le moment où je vais devoir annoncer à mon fils la mort de son père », se rappelle Jeanne A.

« Nos vies ont été foutues en l’air »
S’ouvre alors une période terrible pour les proches de la victime. « Il a été tué, et nos vies ont été foutues en l’air », résume Salomé, la nièce de celui qu’elle et sa sœur Zoé appellent « Samu ». « Depuis quatre ans, notre vie est marquée par cet attentat, déclare Jeanne A. Je dois me forcer tous les jours pour que les couteaux fassent partie des couverts avec lesquels nous mangeons. Pour notre fils comme pour moi, toutes les lames, quelles qu’elles soient, nous renvoient à l’attentat. »

« Perdre son enfant dans de telles conditions est épouvantable. Nous ne l’accepterons jamais. Savoir qu’on a massacré notre fils parce qu’il a montré des dessins nous révulse », abonde Bernadette Paty, qui décrit le « grand vide » de leur vie depuis l’assassinat de leur fils. « L’absence de Samuel est de plus en plus lourde à porter. Ce qui lui est arrivé est tellement barbare, injuste, qu’on ne pourra jamais faire notre deuil. (…) La famille entière est détruite. » Et ses filles de confirmer : « Ce drame a tout cassé », affirme Mickaëlle. « C’est un deuil impossible », souligne Gaëlle.

Au-delà de son infinie tristesse, la mère de Samuel Paty fait part de son incompréhension. Ancienne enseignante, tout comme son mari, elle se dit « contente d’être en retraite parce qu’à l’heure actuelle les enseignants sont contestés. Maintenant, on conteste, on agresse, on menace. Avec mon époux, jamais au grand jamais on n’a eu la moindre contestation. Je ne comprends pas ce qui se passe à l’heure actuelle, je ne comprends plus le monde dans lequel on vit, ça me dépasse. »

Qu’attendent tous ces proches endeuillés du procès qui s’est ouvert le 4 novembre devant la cour d’assises spéciale de Paris ? « Que les sanctions soient à la hauteur du drame que nous vivons tous. Nous devons apprendre à vivre sans notre fils, ses sœurs sans son frère et Gabriel sans son père », répond Bernadette Paty. De leur côté, les deux sœurs du professeur choisissent de s’adresser aux accusés. « C’est votre procès qui a commencé, vous qui avez fait le procès de mon frère et qui l’avez condamné à mort, (…) vous qui dans le box des accusés avez jeté mon frère en pâture », s’écrie Mickaëlle Paty. « Sans vous, Samuel serait vivant aujourd’hui et son fils grandirait avec son père à ses côtés », lance Gaëlle Paty. Et Jeanne A. de conclure, sous les yeux de son fils assis derrière elle : « J’attends la vérité et la justice. Ce ne sont pas des mots vides, c’est juste ce que demande Gabriel pour son papa. »


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Procès de l’assassinat de Samuel Paty (2024) dans Assassinat de l’enseignant Samuel Paty (16 oct. 20) dans la rubrique Terrorisme islamiste (note de la rédaction CLR).


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