par Eric Conan 15 octobre 2016
"L’école offre le spectacle d’une catastrophe au ralenti. L’écroulement commence à être perçu, reconnu, parfois compris, mais poursuit une course que personne ne semble vouloir ou pouvoir arrêter. Le dernier rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO) constitue une nouvelle étape de ce paradoxe désastreux. Cette nouvelle expertise interne au ministère de l’Education complète un bilan qui ne cesse de s’alourdir. Au terme de deux ans de travail, la synthèse d’une vingtaine de contributions de chercheurs (sociologues, économistes, psychologues) récuse les habituelles explications de l’inégalité scolaire (la faute de l’enseignement privé, des inégalités économiques ou de la stratégie des parents) au profit d’une terrible conclusion : ce sont les réformes éducatives de ces trente dernières années qui ont abouti à un système accroissant les inégalités de naissance au lieu de les réduire.
Ayant été contraint d’admettre que le niveau baissait après l’avoir longtemps masqué, le ministère reconnaît aujourd’hui son rôle négatif en matière d’inégalités au travers des Zones d’Education Prioritaire (ZEP) lancées en 1981. Le CNESCO montre que le mythe des fameux « moyens » supplémentaires (en postes et argent, 1,3 milliard d’euros annuel) qui leur sont accordés « constitue une fin en soi », l’institution se désintéressant de leur usage. Ils se traduisent trop souvent par des enseignants débutants, parfois des recalés aux concours recrutés comme contractuels et auxquels le rectorat de Créteil remettait l’année dernière un « Guide pédagogique » de trois pages leur recommandant de « s’exprimer dans un français correcte » (sic). Le CNESCO relève que les enseignants de ZEP consacrent plus de 20% de leur temps d’enseignement pour « l’instauration et le maintien d’un climat favorable » (se faire entendre au milieu de la foire) ce qui ne laisse en moyenne que 2h30 d’enseignement sur 4 heures de français hebdomadaire en 3éme. Cela confirme les enquêtes PISA établissant qu’en France l’autorité du maître est abaissée comme nulle part ailleurs, un collégien sur deux se disant « gêné en classe par le bruit » parce que « les élèves n’écoutent pas ce que dit le professeur ».
Que l’école n’apporte plus aux nécessiteux ce que les autres trouvent dans leur berceaux de famille résultent de trente ans de réformes permanentes, dont ces ZEP aboutissant à la « discrimination négative » constatée par le CNESCO et la loi d’orientation de 1989 de Lionel Jospin ayant placé « l’élève au centre de l’école ». Le prof doit l’aider à exprimer son savoir déjà génial plutôt que l’aider à s’instruire. L’opinion débile (entendue à la télé) ou archaïque (entendu dans sa famille) mises au même niveau que les savoirs communs éprouvés, vraie base de l’autonomie et de l’exercice de la liberté. La réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem ne fait que suivre cette pente. Dans les mêmes termes. Les enseignants doivent aider l’élève à « manifester sa sensibilité ». La langue française ne s’apprend plus – « la grammaire n’est pas un Dieu », explique le président du Conseil national des programmes – mais doit faire l’objet d’une « observation » de l’élève-maître qui doit lui même en « dégager les régularités et formuler les règles »
Cette charge du CNESCO coïncide avec le succès du livre de Carole Barjon Mais qui sont les assassins de l’école ? (Robert Laffont). Un événement. Car il ne s’agit pas du énième constat de ces « pseudo-z-intellectuels » réactionnaires dénoncés par Najat Vallaud-Belkacem. Son auteur, journaliste à L’Obs, met les pied dans le plat en parlant de « crime » : C’est la gauche qui a détruit l’école. Depuis trente ans, cette école centenaire qui doit tant aux valeurs de gauche est le seul service public a avoir été à ce point soumis à une réforme permanente voulue par cogérée avec les syndicats de gauche, soutenues et appliquée par les enseignants de gauche, au nom d’une doxa pédagogiste dominante à gauche et à laquelle la droite, intimidée, s’est pliée. Ce consensus a explosé pour la première fois l’année dernière avec le mouvement contre la réforme du collège. Une partie de la gauche enseignante s’aperçoit qu’elle a fait fausse route et se rebiffe contre une autre partie qui veut continuer à foncer dans la même direction. C’est ce qui rend douloureux l’actuel conflit scolaire : c’est une affaire de famille.
Carole Barjon dévoile l’origine de ce désastre : n’agir qu’au nom des bonnes intentions, se désintéresser des résultats. Un des péchés mignon de la gauche qui a pu se déployer des décennies durant au sein d’un ministère de l’Education sous la coupe d’idéologues irresponsables dont elle dresse des portraits effrayants. Elle permet aussi de comprendre pourquoi cela continue. Comme le Politburo entendait dépasser les échecs du communisme par encore plus de communisme, ils préfèrent les slogans – « la réussite pour tous » et autre « excellence pour chacun » – à la réalité. La reconnaissance, récente, du désastre, ne les empêche donc pas de poursuivre ce qui l’a permis. « La seule façon d’être égal, c’est d’être égal à zéro », raillait en 1984 Jean-Claude Milner dans De L’école, l’un des premiers essais dénonçant dans le pédagogisme une imposture obscurantiste. Le sourire satisfait de Najat Vallaud-Belkacem illustre cette fuite en avant : ce qui ne marche pas doit être généralisé, jusqu’à l’égalité dans la médiocrité. D’où son culot de se féliciter du rapport du CENESCO et son annonce (par un tweet bien sûr !) de la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans. Pour que ces 110 000 élèves qui sortent de 3éme ne sachant ni maîtriser ni l’écriture ni les calculs élémentaires perdent deux années de plus. Pour faire de belles statistiques, au lieu de reconnaître que l’école, coupable d’avoir abandonné ces victimes, a une dette à leur égard. Et qu’il faut imaginer des solutions pour ne pas les laisser handicapées à vie. Un plan pour vraiment revaloriser l’enseignement professionnel encore plus menacé par cette scolarité jusqu’à 18 ans. Ou, comme l’avait proposé Luc Ferry, leur offrir un chèque de formation continue utilisable jusqu’à 25 ans.
Mais, comme le reconnaissait une autre étude du ministère sur les mauvaises méthodes d’apprentissage du français, « le progressisme n’est pas toujours associé à ce qui fait progresser les élèves, mais à ce qui a été construit et imposé comme "pédagogiquement de gauche" ». L’école reste victime d’un phénomène dont les pays de l’Est ont fait l’expérience : le pouvoir destructeur des idéologues. Le ministère de l’Education, que Jacques Julliard propose de « raser », offre l’exemple fascinant de la puissance et des ravages de l’idéologie dans une société non totalitaire."
Lire aussi Ecole : une politique hostile aux savoirs (E. Conan, Marianne, 26 juin 15) (note du CLR).
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