Revue de presse

"Le débat sur le voile à l’université relancé" (Le Figaro, 4 mars 15)

6 mars 2015

"Plusieurs enseignants ont refusé récemment de faire cours devant des étudiantes voilées. Le député UMP Éric Ciotti plaide pour l’interdiction. La secrétaire d’État PS aux Droits des femmes est également contre. À l’université Paris-VIII, des jeunes femmes portant le voile dénoncent une tentation « islamophobe ».

« Euh, vous comptez garder votre truc à tous mes cours ? », demandait en septembre une enseignante à une étudiante voilée de la Sorbonne, avant de la forcer à changer de cours. Un mois plus tard, c’était au tour d’un enseignant de Sciences Po Aix-en-Provence de s’emporter devant son auditoire contre la présence d’une étudiante voilée. Et de clamer que le voile islamique est une « manipulation des salafistes » ou encore « le cheval de Troie de l’islamisme ». Plus récemment, une nouvelle polémique a éclaté à l’École de formation professionnelle des barreaux de Paris. Enfin, le 2 février, un professeur vacataire de l’université Paris-XIII a exprimé son hostilité « au port de signes religieux dans l’espace public » lors de son cours de droit des assurances. Il a fait savoir à sa classe qu’il refusait de poursuivre dans ces conditions.

« Jusqu’en 2007, j’y suis allé toutes les semaines pour donner un TD (travaux dirigés, NDLR), puis seulement quelques semaines chaque année. Quand je donnais mes cours, il n’y avait pas de voiles. Ça s’est mis à ?champignonner ? ensuite, a indiqué Jean-Claude Radier, le professeur en question, dans une interview au Figaro, le 12 février. Depuis que je ne viens plus qu’une fois par an, je vois le phénomène grandir de façon brutale, je suis frappé. » Il a ensuite été démis de ses fonctions par le président de l’université Paris-XIII, Jean-Loup Salzmann. Une décision radicale prise, selon ce dernier, « pour trois raisons » : le « comportement discriminatoire » de l’enseignant, le « non-respect de la loi de 1905 » et le fait de polémiquer « au lieu de faire cours pendant une heure d’enseignement ».

À l’université Paris-VIII, le bâtiment par lequel les étudiants pénètrent dans l’enceinte fait face à la sortie du métro. Il est surnommé « le pont », car sa partie centrale enjambe l’avenue de Stalingrad, qui sépare le campus en deux, à Saint-Denis. Devant l’entrée, où trois vigiles vérifient les cartes d’étudiant, une jeune femme habillée d’une veste noire cintrée et d’un jean discute avec deux garçons appuyés sur une rambarde. Elle porte un foulard blanc cassé qui dissimule ses cheveux.

Ici, les étudiantes portant un voile ne sont « pas la majorité, loin de là », selon un étudiant. Mais un simple parcours du couloir principal du « pont » ou un regard vers la bibliothèque laisse distinguer plusieurs têtes voilées. Certaines portent un foulard pour cacher leurs cheveux. D’autres, et c’est le cas le plus fréquent, un hijab, qui dissimule aussi leur cou. On aperçoit également des étudiantes en jilbab, djellaba pour femmes qui recouvre l’ensemble du corps, ne laissant apparaître que les mains et le visage. Si les étudiantes voilées sont loin d’être la majorité parmi les jeunes femmes, elles représentent ici une part non négligeable de la population étudiante.

« Les universités ne sont pas des sanctuaires insensibles à l’évolution du monde. Il est clair qu’il y a une évolution à l’université, et c’est normal puisque la société évolue également », estime Danielle Tartakowsky, présidente de l’établissement. En quinze ans d’enseignement et deux de présidence, elle a constaté la multiplication des étudiantes voilées. Une présence accrue qui n’est pas problématique, selon elle, si la pédagogie des enseignants permet d’installer un débat avec celles qui portent un voile et que les cours se déroulent normalement.

Sylvain Pattieu, maître de conférences à Paris-VIII depuis 2010, est du même avis. En cinq ans, il a eu affaire à plusieurs cas, sans qu’aucun incident n’éclate. « Je suis un fervent athée, doublé d’un féministe », par conséquent « peu emballé par le port du voile », assume-t-il dans un sourire. Pour autant, il prône la tolérance envers toutes les croyances religieuses, tant que le respect est mutuel. Ainsi, le jeune enseignant exclut toute autocensure dans le cadre de son cours. « Quand je parle des mouvements féministes ou de la libération sexuelle de mai 1968, je ne m’interdis aucune référence », indique-t-il, estimant que la laïcité est respectée dans une université où il n’a jamais ressenti de « tensions communautaires ».

Un constat qui n’est pas partagé par tous. Depuis l’éviction de l’enseignant de Paris-XIII, le débat sur l’absence de règles concernant les signes religieux à l’université est relancé chez les responsables politiques. Le 15 janvier, le député UMP des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti, a publié une proposition de loi pour étendre l’interdiction des signes religieux, inscrite dans une loi de 2004 dans les écoles, collèges et lycées, à l’enseignement supérieur. « J’ai été très choqué qu’on ait sanctionné un enseignant pour un incident avec une étudiante voilée », indique le député, qui réfléchissait déjà à ce texte depuis « l’été dernier ». Sa proposition de loi était prête quand l’affaire de Paris-XIII a éclaté et le député UMP en a profité pour la rendre publique.

Selon lui, « les incidents se multiplient dans les universités, et on voit bien que des enseignements sont contestés du fait de croyances religieuses ». Il ajoute : « Il ne doit pas y avoir de signes religieux et ostentatoires et notamment de voile, le symbole le plus expressif, dans un lieu qui doit symboliser la liberté d’expression. » Cette position ne fait pas l’unanimité à droite. François Fillon, Bruno Le Maire et Alain Juppé s’en sont désolidarisés. Mais Éric Ciotti assume une proposition « personnelle », qui sera discutée prochainement, lors « d’un débat sur l’islam au sein du parti » souhaité par Nicolas Sarkozy.

À gauche également, le sujet refait surface. Pascale Boistard, secrétaire d’État aux Droits des femmes, a semé le doute, lundi dernier, dans une interview au« Talk Le Figaro ». Elle a déclaré ne pas être « favorable » au voile à l’université. « L’université, c’est un lieu où l’on doit pouvoir parler de tout », a-t-elle précisé, avant d’affirmer « ne pas être sûre que le voile fasse partie de l’enseignement supérieur ». L’Observatoire de la laïcité, instance qui conseille et assiste le gouvernement « dans son action visant au respect du principe de laïcité en France », est déjà en ordre de marche.

Une consultation sera lancée « au printemps prochain », selon Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire. « Les syndicats étudiants et enseignants, la Conférence des présidents d’université et les administrations » seront auditionnés. Il ne s’agira pas de traiter seulement du port du voile, mais de « s’intéresser aux pratiques relevant du prosélytisme », car « c’est la dimension qui peut être la plus grave ». Nicolas Cadène estime qu’une des solutions envisageables pour favoriser le vivre ensemble dans les limites de la laïcité serait de « multiplier les formations en laïcité pour les enseignants, mais également pour tous ceux qui le souhaiteraient, notamment les étudiants ».

Ce nouveau débat sur le voile à l’université est la ritournelle d’une interrogation plus que trentenaire sur la place de l’islam dans la « laïcité à la française » qui n’a toujours pas trouvé de solution. En 2003, après plus de dix ans d’affaires et de polémiques sur le voile islamique en France et notamment dans les écoles, le président Jacques Chirac nommait une commission pour réfléchir « au principe de laïcité dans la République ». Il en était sorti une recommandation : inscrire dans une loi globale sur la laïcité une disposition interdisant les signes religieux ostentatoires au primaire et au secondaire. Chose faite un an plus tard avec la loi interdisant « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » dans « les écoles, les collèges et les lycées publics ». Cette mesure laissait donc de côté l’université. Un vide juridique s’installait, source des débats actuels.

Dans les couloirs de l’université Paris-VIII, les principales concernées considèrent qu’elles « ne dérangent personne ». Mais elles ne cachent pas leur inquiétude face à une potentielle interdiction. Deux jeunes femmes voilées, chacune par un hijab, étudiantes en licence de droit, s’inquiètent d’une loi « stigmatisante » et « islamophobe ». Pierre, qui les accompagne, hoche la tête. Il pense que cela participerait à une « mise à l’écart des musulmans ».

Hassina, au fait de l’actualité, en discute avec un camarade dans l’escalator qui la mène vers la sortie du campus. « C’est ridicule », s’insurge cette étudiante en licence de science politique. Elle qui porte un foulard depuis son enfance, qui le retirait au lycée pour se conformer à la loi, ne comprend pas ce qui motive une possible extension de l’interdiction à l’université. Une loi, selon elle, « n’est pas la bonne méthode, car cela va participer de l’exclusion de ces filles : la grande majorité d’entre elles décideront de ne plus venir en cours ».

Conséquence que dénoncent deux autres étudiantes. Elles portent de grands hijabs, l’un mauve et l’autre gris, qui recouvrent l’ensemble de leur corps. Seuls leurs visages et leurs mains sont visibles. Souriantes et ouvertes au dialogue, elles ne veulent toutefois pas donner leurs prénoms. La première est étudiante à Paris-VIII, l’autre est une amie qui étudie à l’université de Cergy-Pontoise depuis un an. Cette dernière ne savait pas qu’une proposition de loi envisagerait l’interdiction du voile parce qu’elle « ne regarde pas la télé ». Déjà, au lycée, elle tolérait mal de devoir enlever son voile pour assister aux cours. Elle évoque un « malaise permanent » qui a causé son « absentéisme aigu ». Elle assume clairement sa « déscolarisation totale » si la loi est votée. Son amie acquiesce ?"

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