Revue de presse

"Le coup de la dictée" (J. Julliard, Marianne, 25 sep. 15)

3 octobre 2015

"[...] Voilà que d’un coup, d’un seul, prenant tout son monde à contre-pied, Najat Vallaud-Belkacem nous régale de la dictée quotidienne ! Dieu me pardonne, mais dans cette façon d’aller sans crier gare à rebours de ses propres orientations, il y a, j’en jurerais, la patte de François Hollande...

Depuis, c’est la panique dans le camp pédagogiste. Au Conseil supérieur des programmes, dans les récents rapports duquel la ministre a découvert des orientations qui ne s’y trouvaient pas. Les occasions de rire sont trop rares aujourd’hui pour ne pas saisir celle-là. Il y a aussi le ton déconfit, déconcerté, outré, des responsables de la chronique éducative dans la presse progressiste, qui se font depuis des années les relais dociles de la Rue de Grenelle. Des cocus qui regimbent, cela s’est déjà vu, et c’est aussi très réjouissant.

Je viens d’employer par jeu, tant cette péripétie m’a mis de bonne humeur, les mots de « réactionnaire » et de « progressiste ». Pour ceux qui depuis trente ans tirent les ficelles au ministère est progressiste tout renoncement aux méthodes qui marchent. Est réactionnaire toute obstination à cantonner l’école dans les missions auxquelles elle est destinée. Ce serait trop facile ! Où serait dans tout cela l’innovation pédagogique ? [...]

Sommes-nous devant un véritable retournement stratégique ou une simple feinte tactique ? Seul l’avenir permettra d’en juger, tant ce pouvoir nous a habitués à l’inconstance. Deux facteurs paraissent avoir joué dans le nouveau discours de la ministre.

D’abord, la multiplication des résultats scientifiques et des enquêtes de terrain qui sont autant de démentis au pédagogisme doctrinaire. C’est ainsi qu’en matière d’apprentissage de la lecture les travaux de Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive au Collège de France, rejoignent les enquêtes des sociologues Jérôme Deauvieau, ou encore de Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller, dont Eric Conan a rendu compte il y a quinze jours de la façon la plus convaincante : la méthode syllabique est de loin la plus efficace. Même constat dans la grande enquête de l’Institut français de l’éducation, sous la direction de Roland Goigoux : il faut de toute urgence apprendre aux enfants le « code », c’est-à-dire la correspondance entre les groupes de lettres de la langue écrite et les sons de la langue orale. Cela commence à faire beaucoup. Les pédagogistes ne se rendent jamais, pas même à l’évidence, mais ils sont en train de perdre toute autorité intellectuelle.

Car l’évidence, que chacun constate, c’est que le nombre d’enfants arrivant en sixième sans savoir lire ne cesse d’augmenter, et qu’il fallait bien un jour se demander pourquoi. L’opinion se demande notamment si la « psychiatrisation de l’échec scolaire » (Garcia et Oller), la multiplication soudaine des « dyspraxiques » et des « dyslexiques » ne serait pas par hasard, comme la prolifération des césariennes dans les cliniques, de la responsabilité de l’opérateur plutôt que de l’opérée... La secte pédagogiste, toujours aux commandes Rue de Grenelle, n’a pas dit son dernier mot. Sa prochaine contre-attaque est déjà dans les tuyaux. Elle porte sur la notation : au lieu d’une gradation uniforme de 0 à 20, on songe à des groupes de niveau désignés par des couleurs. Imaginez un instant que l’on fasse la même chose pour les groupes humains : les Blancs, les Jaunes, les Noirs... Ce quasi-racisme docimologique est la dernière des farces et attrapes de nos petits génies pédagogistes, que le monde entier nous envie.

Trêve de plaisanteries. L’opinion publique, relayée par les enseignants, les intellectuels, les chercheurs, vient de remporter une victoire sur la technocratie. [...]"

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