17 août 2022
Le 21 Thermidor (8 août) une délégation du CLR Pyrénées se réunit pour une visite guidée du Camp de Gurs, près de Navarrenx (Pyrénées Atlantique). Un petit groupe improvisé dans la torpeur estivale pour (re)découvrir ce site mémoriel sous l’égide du Comité Laïcité République Pyrénées (CLR PYR).
Point de rendez-vous : Pavillon d’accueil du Camp, Gurs, à 10 h. 00
Visite commentée du site de 10 h. 00 à 12 h. 30
A 13 h. 00 : Repas convivial et républicain [1]
Le Camp de Gurs fut le plus grand camp dans les années 1940, d’une capacité maximale de 18 500 places. Il accueillit plus de 60 000 personnes internées en vagues successives. Pour près de 4 000 juifs provenant de toute l’Europe (et notamment du Sud-Ouest de l’Allemagne : Pays de Bade, Sarre, Palatinat), ce fut l’antichambre de l’extermination dans les camps en Pologne, contribution du Régime de Vichy à la Solution finale.
Mais, au-delà du souvenir indéfectible de ces déportations commencées il y a juste quatre-vingt ans, en août 1942, un mois après la rafle du Vel d’Hiv en région parisienne en application des accords Oberg-Bousquet, Gurs symbolise également les fluctuations de la politique mémorielle de la République française.
La création du camp, tout d’abord pour répondre aux besoins consécutifs à la Retirada à la fin de la guerre d’Espagne. 500 000 personnes fuyant la victoire des nationalistes et la terreur de la dictature franquiste. Les conditions d’accueil misérables sur les plages du Roussillon en février 1939, l’utilisation du château de Collioure comme centre de répression contre des dirigeants anarchistes et communistes. Tout cela sous l’égide d’un gouvernement républicain au crépuscule de la IIIe. M. Edouard Daladier, président du conseil (radical) élu par la Chambre des députés du Front populaire.
Contraint entre les pressions politiques internes d’une droite dure et d’une extrême droite (personnifiée dans la région par le député de Mauléon Ybernegaray) et otage d’une diplomatie britannique soi-disant « non-interventionniste », entre l’absence de soutien à la République espagnole (en dépit de Guernica et de l’intervention massive des aviations et des armées nazie et fasciste au profit des franquistes) et la lâcheté des accords de Munich abandonnant la République tchéco-slovaque, cette République, au moment où elle allait célébrer en grande pompe le 150e anniversaire de la Révolution de 1789, « accueillit » les combattants de l’armée espagnole en déroute comme des individus potentiellement dangereux « susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ». Et elle déploya un arsenal juridique d’exception permettant de porter atteinte aux libertés individuelles en contradiction avec les valeurs républicaines.
Après cette première vague espagnole et internationaliste, furent touchés, toujours sous l’égide de la République, différentes catégories de personnes jugées « indésirables » pendant la « drôle de guerre » : pacifistes, syndicalistes, staliniens… et réfugiés allemands et autrichiens antinazis...
Le camp de Gurs devient ainsi l’instrument concret des décisions d’internement administratif sous l’autorité du préfet en dehors de tout recours juridictionnel. Après la chute de la République, du 16 juin au 10 juillet 1940, le régime de Vichy n’eût qu’à proroger et amplifier ces pratiques.
Mais il convient d’évoquer d’autres enjeux mémoriels.
D’une part, la fermeture définitive du camp le 31 décembre 1945. La plupart des baraques des détenus, dans un état lamentable, furent purement et simplement détruites. Quelques baraques hébergeant les services administratifs et logistiques et la garde du camp purent être revendus par l’administration des Domaines. Et, ultime mesure d’effacement, des arbres furent plantés sur l’ensemble du site. 75 ans après, voici cette belle forêt, espace de silence, d’oubli, de déni.
Une amnésie au profit de la population locale : une partie de celle-ci tira bénéfice de l’existence du camp dans des conditions peu reluisantes. Offrir ses services comme employé dans le camp. Organiser des petits trafics en profitant de la misère des internés.
Une amnésie obligée pour les centaines de Basques et de Béarnais internés sur le site après la Libération, en attente de traitement des dossiers d’« épuration » ouverts à l’encontre de sympathisants pétainistes, de petits « collabos, de médiocres trafiquants du marché noir.
Une amnésie pour les pouvoirs publics soucieux de présenter une image héroïque, oubliant la continuité de l’Etat et de l’administration entre la IIIe République sur le déclin et l’Etat Français proclamé à Vichy, entre Vichy et la IVe République. Continuité des « Grands serviteurs de l’Etat », continuité des outils juridiques mis en œuvre pour maintenir l’ordre public et garantir la sécurité publique.
La mémoire de Gurs revint par vagues successives.
D’abord les Juifs allemands, lorsque le Consistoire israélite du Pays de Bade entreprit la restauration du cimetière laissé à l’abandon après 1945. C’est au début des années 1960 que les 1 073 tombes furent restaurées… dont les 23 premières où reposent Républicains espagnols et brigadistes internationaux.
Ce fut ensuite en 1979 d’anciens internés espagnols républicains qui érigèrent le monument commémoratif et fondèrent l’Amicale du Camp de Gurs.
Il fallut attendre la dernière décennie du XXe siècle en 1994 pour que l’Etat, dans la prolongation du discours de Jacques Chirac sur la Rafle du Vel d’Hiv, s’engage dans la politique mémorielle. L’installation de l’artiste israélien Dany Karavan permet depuis lors d’inscrire le souvenir de l’internement et des déportations sur le site.
Au cours des dernières années, se sont ensuite incarnées les mémoires sectorielles : le gouvernement Basque fit planter un rejeton de l’Arbre de Gernika. Puis virent ajouter leur monument Navarrais et Portugais. Le tout dernier, quelque peu saugrenu, parait être ce chapiteau gothique de la cathédrale de Fribourg en Brisgau (Pays de Bade) témoignant de l’amitié retrouvé entre catholiques et juifs. Cette même église était pourtant demeurée bien silencieuse en octobre 1940 lors de la déportation vers Gurs des Juifs du Pays de Bade.
Et aujourd’hui ? L’obligation mémorielle doit garder force et vigueur. Mais la mémoire historique du passé, si elle est instructive et si elle facilite le décryptage de situations complexes, ne suffit pas en elle-même. Elle doit permettre le développement des consciences. Comprendre avec bienveillance et humanisme les enjeux contemporains remettant trop souvent en cause les principes et les valeurs de la République.
A l’heure où, dans les discours et les pratiques politiques, les concepts de valeurs républicaines (et de laïcité) sont instrumentalisés sans vergogne, l’impérieuse nécessité s’impose de redonner toute leur signification à ces mots et à ses valeurs.
Quel itinéraire ? Par où commencer ?
La logique la plus évidente serait de commencer par l’entrée historique, route de Mauléon.
Cette entrée offre aussi l’opportunité de faire découvrir les colonnes érigées des deux côtés de la route du Camp, recensant les différentes vagues de personnes internées au camp de 1939 à 1944, hormis les prisonniers de guerre de la Wehrmacht et les collabos et trafiquants accueillis en août 1944.
Cette solution peut être contrariée par
Le pavillon d’accueil permet une présentation générale de la problématique du camp en un lieu (relativement) abrité en cas de vent et de pluie. Quelques grands panneaux peuvent servir de support aux explications données (plan du camp, photos, reproductions de peintures).
Etapes
Le Camp
Construction en 42 jours
Ouverture le 2 avril 1939. Fermeture le 31 décembre 1945
2 km de long / env. 500 m de large (superficie comparable à celle de la Principauté de Monaco) env. 80 ha
Capacité d’ « accueil » = 18.500 personnes
428 baraques = 382 pour les internés en 13 ilots - 46 pour la garde
Les différentes strates d’internés = env. 60 000
Années 1920 : Mussolini et le fascisme en Italie
1933 : Hitler au pouvoir en Allemagne
24 Avril 1934 : République espagnole
Printemps 1936 : Front populaire en France, Frente Popular
17-18 juillet 1936 : le coup d’Etat de Franco en Espagne
L’aide apportée aux Rebelles nationalistes par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste : Légion Condor, Pont aérien entre le Maroc espagnol et l’Andalousie
La politique de « non-intervention », une neutralité asymétrique des démocraties affaiblies – L’alignement de la France sur la diplomatie britannique
La très célèbre photo de Robert Capa Mort d’un soldat républicain.
L’engagement de la Russie soviétique et les Brigades Internationales
1937 1er exode après la chute du Pays basque et des Asturies – Guernica
1938 : La Bolsa de Bielsa dans les Hautes Pyrénées
Février 1939 : la chute de la Catalogne – La retirada
Les camps d’ « accueil » sur les plages du Roussillon : Argelès, St Cyprien …
Les camps : Gurs, Septfonds, Noé, Rivesaltes
2 avril 1939 : l’ouverture d’un camp « flambant neuf » … mais provisoire le temps d’un été
1.- Basques, Espagnols et Brigadistes : la peur des miliciens, Rouges et Anarchistes
24 530 combattants républicains
La droite et l’extrême droite française une forte opposition à l’accueil : « Plutôt Hitler que Staline ». Le député basque de Mauléon Ybernagaray.
Le gouvernement français : pleine reconnaissance de Franco et de son régime, l’ambassade de France à Burgos : Pétain et Léon Bérard.
Les Interbrigadistes : originaires des pays sous domination nazie ou fasciste.
Un sens de l’organisation politique.
Une activité militante, créatrice, artistique, littéraire.
Le choc du Pacte germano-soviétique.
1er septembre 1939 : Hitler envahit la Pologne – le 3, déclaration de guerre de la GB et de la France – Mobilisation générale.
Vider le Camp ?
Retours en Espagne plus ou moins contraints par les autorités françaises (risques majeurs d’exécution sommaire ou d’emprisonnement)
Besoins majeurs de main d’œuvre agricole et industrielle en France.
Création des GTE
2.- Les « indésirables »
Prévention des « troubles à l’Ordre Public »… Sécurité nationale !
10 mai 1940 : offensive allemande contre les Pays Bas, la Belgique et l’Est de la France
15 mai 1940 : Regroupement des femmes allemandes, autrichiennes et tchèques au Vel d’Hiv, destination GURS : réfugiées juives, anti nazies… Anna Harendt
Evacuation des détenus politiques (communistes) des prisons parisiennes vers Gurs
Juin 1940 : débâcle et exode
17 juin 1940 : Le maréchal Pétain, président du Conseil
22 juin 1940 : Armistice
Zone occupée (jusqu’au Pays Basque) : Ligne de Démarcation à St Jean Pied de Port et Salies de Béarn) / Orthez / Dax : Zone « libre » : GURS
Dispersion des internés du Camp
10 juillet 1940 : Instauration du Régime de Vichy, naufrage de la IIIe République Les 80 parlementaires opposés
Législations répressives anti-républicaines, épuration de la fonction publique, interdiction de la franc-maçonnerie
Octobre 1940 : premier Statut des Juifs – Interdictions professionnelles, « aryanisation » des propriétés commerciales et industrielles, discriminations, exclusions de la société
3.- Les Juifs allemands … et européens
Les Juifs = 20 000
Décision des Gauleiter BURCKEL et WAGNER de « libérer » son territoire de la présence juive (« Judenfrei ») Pays de Bade-Palatinat-Sarre, territoires frontaliers de l’Alsace et de la Lorraine
22-23 octobre, expulsion des domiciles. Beaucoup de personnes âgées, de femmes, d’enfants
Expulsion vers la zone non-occupée. Arrivée à Gurs le 24 octobre
Le contexte du Plan Madagascar
Hiver 1940 – 1941 très rigoureux. Froid et humide dans des baraquements sordides
Désespérance, épuisement physique et moral : 800 décès.
Puis transfert de Juifs venant d’autres camps (Rivesaltes, Saint-Cyprien, Les Milles-Aix en Provence, Le Vernet, Noé)
… et des victimes des rafles et opérations de police
Gurs : un maillon de la « Solution Finale »
Janvier 1942 : Conférence de Wannsee, suite à l’invasion de l’URSS. Décision d’extermination des Juifs d’Europe
Juillet 1942 : Dans la région parisienne, Rafle du Vel d’Hiv, puis déportation vers les camps d’extermination en Pologne
6, 8, 24 août et 1er septembre 1942 : premiers convois de déportation de Gurs vers Drancy
27 février et 3 mars 1943 : nouvelles déportations
Au total 3 907 … plus tous ceux transférés dans d’autres camps avant leur déportation.
4.- Le déclin du Camp de Gurs
25 septembre 1943 : le Camp, presque vie, est attaqué par les Maquisards basques et béarnais … pas de résistance !
Printemps 1944 : arrivée d’un groupe de gitanes venant d’autres camps
5 juin 1944 : les transférées du Camp de Brens
Evasions le 25 juin 1944
20-25 août 1944 : libération du Sud Ouest de la France, après le débarquement de Provence du 15 août.
Arrêt de la Colonne de l’armée allemande tentant de passer en Espagne par le Col du Somport : prisonniers transférés au camp de Gurs
Internement administratif de sympathisants du Maréchal, de membres de partis collaborationnistes « petits collabos », trafiquants du marché noir
Octobre 1944 : les Guerilleros espagnols lancent l’opération de reconquête de l’Espagne par le Val d’Aran. Echec sanglant, reflux vers la France et Internement très bref au camp de Gurs alors contrôlé par les FFI
31 décembre 1945 : fermeture définitive du camp de Gurs
Gurs : un Camp 100 % français, sous administration militaire (1939-juin 1940) puis policière, dans une continuité de maintien de l’Ordre public à la fin de la IIIème République, sous le régime de l’Etat français puis sous l’égide du Gouvernement provisoire de la République française
La vie dans les baraques, les ilots
60 personnes par baraque : installation sommaire. De la paille qui pourrit
La promiscuité.
Le froid, l’humidité, la malnutrition
La misère, la vermine, les rats, les poux : conditions d’hygiène déplorables
Les Ilots : un champ de boue
La vie culturelle et artistique : périodes espagnole / juive
Les Œuvres : les 1ères ONG humanitaires : le Secours suisse (Elsbeth Kassler), la CIMADE
Mourir à Gurs
Le cimetière
Après 1945 : Abandon du Camp et « oubli »
Destruction des baraques pourries et revente par l’administration des Domaines des baraques en état correct (Locaux administratifs, casernement des gardes)
Plantation de la forêt
Une amnésie entretenue par la mauvaise conscience :
La mémoire retrouvée
1963 : Réaménagement du Cimetière par le Consistoire Israelite du Pays de Bade
Les 23 1ères tombes : Républicains espagnols et Interbrigadistes
Plus de 1 000 tombes identifiées très majoritairement israélites
Les monuments commémoratifs : Euskadi, Navarre, Portugal, Républicains, Juifs
1980 : création de L’Amicale du camp de Gurs par d’anciens internés espagnols
1994 : le Mémorial National du camp de Gurs : de la Baraque symbolique à l’enceinte de barbelés représentant les camps, une improbable voie ferrée
Une œuvre de Dani Karavan
Ressources bibliographiques
Claude Laharie, Le camp de Gurs, 1939-1945, un aspect méconnu de l’histoire de Vichy, J & D éditions, 1993
Claude Laharie, Gurs 1939-1945, Un camp d’internement en Béarn, éd. Atlantica, 1982
Claude Laharie, Les Basses-Pyrénées dans la Seconde Guerre mondiale, éd. Cairn, 2021
Emile Vallés, Itinéraires d’internés du camp de Gurs, 1939-1945, éd. Cairn, 2016
Emile Vallès, Le camp de Gurs, éd. Cairn, 2018
Denis Peschanski, La France des camps, L’internement 1938-1946, éd. Gallimard, 2002
Laurent Jalabert et Stéphane Le Bras (sous la direction de -), Vichy et la collaboration dans les Basses-Pyrénées, éd. Cairn, 2015
Louis Poullenot, Basses-Pyrénées Occupation Libération 1940 1945, éd. Atlantica 2008
Site Internet : www.campgurs.com.
[1] Cette visite est une Première pour le CLR. Certains amis proches ne sont pas disponibles à cette date. Cela nous donnera l’opportunité de récidiver !
Voir aussi la rubrique CLR Pyrénées dans CLR en régions (note du CLR).
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales