1er octobre 2014
"Pays où la religion est omniprésente, l’Égypte voit d’un mauvais œil cette jeunesse qui, depuis la révolution de 2011, se déclare athée. Notre correspondante Sonia Dridi est partie à la rencontre de ces "vilains petits canard".
En Égypte, se revendiquer athée est presque un acte de rébellion. Dans un pays où la religion est omniprésente, se déclarer comme tel, c’est risquer de se faire rejeter par la société, sa famille, ses amis…
Mais depuis la révolution, les athées osent davantage s’exprimer, notamment sur Internet. Impossible toutefois d’avoir des statistiques. Les intéressés considèrent qu’ils seraient entre deux et quatre millions dans un pays qui compte 90 millions d’habitants.
Ahmed Hussein a quitté l’islam en 2010 après avoir plusieurs fois mis en doute sa pratique religieuse. Il faisait partie des musulmans ultra-conservateur. "Avant, j’étais salafiste, je viens d’une famille de salafistes. Une fois devenu athée, ma situation a complètement changé, j’ai été rejeté par la société, tout le monde voulait me ramener à la religion", témoigne-t-il.
Anticipant la réaction de ses proches, Nada Monder, elle, a quitté le foyer familial il y a un an. "Au sein de ma famille, je ne pouvais pas dire que j’abandonnais la religion car ils auraient pu me traiter de façon très violente, commente-t-elle. En tant que fille, c’est difficile pour moi de vivre dans une société comme celle là, un ‘État islamique’ comme disent certains."
Depuis 2013, Ismail Mohamed se bat pour défendre la liberté d’expression des athées. Il est le premier Égyptien à avoir osé afficher ses convictions à la télévision. Selon lui, la parole des jeunes athées s’est libérée depuis la révolution de 2011. "On n’essaie pas de diviser la société plus qu’elle ne l’est déjà, nous demandons la liberté totale de culte comme c’est le cas dans n’importe quel État moderne", a-t-il proclamé lors de son passage à la télévision.
Ismail a également créé "Les vilains petits canards", une chaîne sur YouTube sur laquelle il interviewe des athées de différents pays arabes. Pour eux, Internet et les réseaux sociaux sont des moyens de combattre leur isolement dans la société.
En Égypte, afficher son athéisme peut coûter sa liberté… Karimane Khalil n’a pas vu son fils depuis deux ans. Alber Saber a fui en Suisse après avoir été condamné à trois ans de prison. Ce jeune athée d’origine copte a été accusé d’insulte à la religion notamment pour avoir publié sur sa page Facebook des extraits d’un film islamophobe (sic) [1]. Il a profité de sa libération sous caution pour quitter Le Caire.
"Alber ne voulait pas quitte le pays. Jusqu’au dernier moment il disait : ‘Je ne fuirais pas, je ne quitterais pas mon pays, je vais me battre pour ma cause ! Mais Alber recevait des menaces de mort, même quand il était en prison", affirme sa mère.
Karimane, chrétienne pratiquante, s’est battue à ses côtés… Elle est aujourd’hui rejetée par la société. "Maintenant, plus personne ne veut m’employer, même mes amis. Car mon visage est connu à cause des journaux et tout le monde sait que je suis la mère d’Alber et que je l’ai défendu avec acharnement."
Alber a été jugé lorsque les Frères musulmans étaient au pouvoir. L’attitude des nouvelles autorités n’a pas changé : un étudiant est actuellement jugé pour blasphème.
La liberté de croyance est garantie dans la Constitution mais le gouvernement égyptien considère que l’athéisme est aussi dangereux pour la société que l’extrémisme religieux. Les autorités du Caire recommandent un suivi psychologique pour les athées dont la position est considérée comme une dérive. Le ministère de la Jeunesse a même annoncé un plan national pour lutter contre le phénomène.
Neamat Sati en est l’une des instigatrices. Un site Internet sera prochainement créé pour ouvrir le dialogue mais surtout tenter de convaincre les athées des méfaits de leur croyance. "Sur ce site, il y aura des articles écrit par des sociologues, ils répondront également aux questions des jeunes et de leur famille concernant ce problème. Il y aura aussi des contributions de psychologues, des membres du ministère des Biens religieux et des religieux de l’institution d’Al-Azhar", explique-t-elle.
Parmi les autres initiatives figurent des campagnes de rue pour tenter de ramener les athées vers la religion. "Ils ont besoin que des spécialistes leur fassent prendre conscience de la réalité, corrigent leurs croyances et les remettent sur le droit chemin", défend Neamat Sati.
De nombreux Égyptiens, quelle que soit leur religion, voient également les non croyants d’un mauvais œil. "Je pense que ce n’est pas une bonne chose dans notre société. Notre société est très religieuse que ce soit les musulmans ou les chrétiens", estime un habitant du Caire.
De leur côté, les défenseurs des droits de l’Homme s’inquiètent du rejet des Égyptiens athées et du contrôle accru du gouvernement sur la société. "C’est la solution de facilité de dire que les athées sont malades et qu’ils doivent être soignés, déplore Ishak Ibrahim, de l’organisation non gouvernementale Egyptian Initiative for Personal Rights (EIPR). Et, bien sûr, ils sont pris en charge par des institutions qui appartiennent à l’État et des institutions religieuses. L’atmosphère politique en général en Égypte indique un déclin des libertés et parmi elle la liberté religieuse."
Dans la nouvelle Égypte du président Abdel Fattah al-Sissi, la religion et les valeurs morales sont au premier plan. Les Égyptiens athées savent que leurs convictions resteront encore longtemps taboues mais ils comptent bien s’imposer dans cette société en plein changement et espèrent un jour ne plus être stigmatisés…"
[1] Note du CLR.
Comité Laïcité République
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