Gaspard Koenig, philosophe et Aurélien Portuese, juriste. 21 décembre 2013
"[...] Bob Dylan mis en examen pour ses propos sur les Serbes ; Karl Lagerfeld objet d’une plainte pour « discrimination envers la communauté des femmes rondes » (sic) ; Manuel Valls poursuivi par le Mrap ; Christian Estrosi attaquant pour diffamation, au nom de la ville de Nice, tous ceux qui critiquent sa gestion budgétaire ; Jean-Marie Le Pen condamné pour avoir dit que « les Roms volent comme des petits oiseaux » ; sa fille promettant à son tour de traîner en justice tous ceux qui la qualifient d’extrême droite…
En fait, jamais, depuis l’Ancien Régime, le débat public en France n’a été autant corseté par le droit. Depuis quarante ans, nos gouvernants se sont mis en tête d’éradiquer la bêtise.
La loi Pleven de 1972 condamnant les propos discriminatoires peut être considérée comme le point de départ de cette évolution. Bien d’autres ont suivi, toutes rédigées avec les meilleures intentions du monde, mais aboutissant au cadre le plus liberticide de tous les pays développés.
Si l’on peut sourire du délit d’« outrage à ambassadeur », d’« opinions contraires à la décence » ou de « diffamation à l’encontre des administrations publiques », comment tolérer qu’un véritable délit de blasphème ait été réintroduit par la Cour de cassation ?
Que les lois mémorielles empêchent les historiens de faire leur travail (si elles avaient existé dans les années 60, jamais on aurait pu montrer que le massacre de Katyn avait été perpétré par les Russes et non par les nazis) ?
Que chaque communauté se dote de son association spécialisée traquant toute critique ? Que l’on ne puisse pas montrer, dans un reportage, un vigneron qui prend plaisir à boire son vin ? Que l’usage trop aisé de la diffamation, où la charge de la preuve est inversée, soit devenu une arme politique ? Que toute injure à un fonctionnaire soit automatiquement punie ? Qu’un simple « retweet » puisse valoir une mise en examen ?
Ce corpus juridique est aujourd’hui heureusement peu utilisé, hormis par quelques associations spécialisées et personnalités procédurières. Mais son existence laisse peser une ombre menaçante sur notre démocratie. La chanson de Serge Gainsbourg sur la Marseillaise, le sketch de Jean Yanne sur l’inspecteur du permis de conduire, la comptine J’ai du bon tabac, les livres de Virginie Despentes ou les passages du Cid sur les Maures pourraient tous aujourd’hui tomber sous le coup de la loi.
Nous proposons au contraire d’assumer, dans la lignée de John Stuart Mill (On Liberty, 1859), la fonction à la fois dialectique et cathartique de la libre expression. Aucun propos ne devrait être interdit sur la base de la « vérité » ou de la « morale ». Nous faisons le pari que l’individu est rationnel, responsable, et que l’opinion, correctement informée, est mieux à même de trancher le bien et le mal que les tribunaux. Comme le dit Jamel Debbouze à propos de la récente une de Minute sur Christiane Taubira, « laissons les imbéciles dire tout et n’importe quoi ». [...]"
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
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