Philosophe, écrivain, ancien membre de la commission Stasi. 15 janvier 2013
"[...] Le secrétaire général de l’enseignement catholique, Eric de Labarre, tente d’enrôler les élèves de ces écoles dans des débats sur le mariage pour tous, projet émancipateur programmé par les représentants du peuple. De qui se moque-t-on en prétendant que ces débats ne sont pas un appel déguisé à manifester contre ce projet ? Un enseignant de l’école publique commettant le millième de ce genre de détournement serait vertement rappelé à la déontologie laïque.
Pourquoi donc cette hargne déguisée en « discussion civique » ? Parce que le mariage pour tous relativise le mariage chrétien traditionnellement hétérosexuel et tourné vers la procréation, en en faisant désormais une option libre parmi d’autres et non plus une structure obligée.
[...] On cache ainsi le prosélytisme religieux mais cela ne doit tromper personne. Le ministre de l’Education nationale a donc raison de s’indigner. Mais il ne peut éviter de remonter à la cause première de cette faute juridique enveloppée par la rhétorique jésuitique des « débats ». Et cette cause, c’est la loi Debré.
La loi du 31 décembre 1959 organise le financement public d’écoles privées sous contrat tout en leur demandant d’observer la neutralité dans l’enseignement des programmes nationaux. Mais la même loi leur reconnaît un caractère propre, nom pudique et jésuitique donné à leur orientation religieuse. En guise de neutralité de l’enseignement, c’est en fait un pouvoir de prosélytisme financé sur fonds publics qui est offert. Hypocrisie, duplicité, contradiction. Autant dire que cette loi antilaïque veut marier la carpe et le lapin : la liberté de conscience des élèves et le caractère propre des écoles. Et ce, alors que l’école publique, laïque, ouverte à tous, souffre d’un manque de moyens qui tend à compromettre sa mission éducative. Où est la laïcité dans tout cela ? Et l’égalité des citoyens ? Imaginons que des libres penseurs athées demandent de l’argent public pour financer des écoles privées dont le caractère propre serait l’humanisme athée et la faculté de le promouvoir avec l’argent des contribuables croyants. Ces derniers se sentiraient trompés. « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse… » Pour les religieux responsables des établissements privés ainsi financés, c’est tout bénéfice. Ils ont le beurre (la faculté de prosélytisme auprès de la jeunesse) et l’argent du beurre (les fonds publics payés par des contribuables athées ou agnostiques). Ces derniers se trouvent ainsi contraints de financer la diffusion d’une foi qu’ils ne partagent pas. [...]
Le mariage hétéro traditionnel et sa codification juridique machiste ont été sacralisés par les trois religions du Livre quand elles ont confondu les préjugés inspirés par un patriarcat d’un autre âge et la volonté supposée éternelle de leurs dieux respectifs. L’irremplaçable mérite de la laïcité est de délivrer la loi commune de la tutelle religieuse et d’en faire un principe d’émancipation individuelle et collective, tout en laissant chacun libre de choisir son mode d’accomplissement.
[...] L’Eglise se sert des écoles qu’elle contrôle pour empêcher l’émancipation laïque. Il y a peu, les responsables des écoles privées se sont opposés aussi à l’enseignement laïque de la morale, qu’ils récusent au nom d’un enseignement religieux de la morale. Que vont-ils faire dans les écoles qu’ils contrôlent ? Seront-ils loyaux et fidèles à la République qui les finance ? Ou ne retiendront-ils que le caractère propre pour maintenir leur prosélytisme religieux tout en empochant l’argent public ? [...]
Quant à la droite cléricale, dite aussi « sociale » sans doute par goût du paradoxe, elle contrefait la définition de la laïcité. « La laïcité, c’est le respect de toutes les religions », dit Laurent Wauquiez (Le Figaro du 6 janvier). Trois erreurs en une formule.
D’abord ? Le respect porte non sur les religions mais sur la liberté de croire, qui n’implique nullement que les croyances et les opinions soient en elles-mêmes respectables. Je ne respecte ni la croyance raciste ni une religion qui brûle les hérétiques ou proclame l’infériorité de la femme.
Ensuite, si respect il doit y avoir, il ne saurait se réduire à la liberté de croyance religieuse. La liberté de se choisir athée ou agnostique, ou de n’avoir aucune croyance, est tout aussi respectable, sauf à faire des discriminations.
Enfin, la laïcité n’est pas qu’une attitude : elle se définit comme cadre juridique du vivre ensemble fondé sur des principes de droit universels et non sur un particularisme religieux. Liberté de conscience et autonomie de jugement, égalité de droit, sens du bien commun à tous : tel est le triptyque fondateur d’un idéal plus actuel que jamais. Il est temps que la gauche laïque ose enfin être elle-même."
H. Pena-Ruiz est l’auteur de : « Dieu et Marianne. Philosophie de la laïcité », PUF et de « Marx quand même », Plon.
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