13 octobre 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Formation, signalements, protection fonctionnelle, veille sur les réseaux sociaux… Deux ans après l’assassinat du professeur Samuel Paty par un terroriste islamiste, les enseignants sont-ils mieux armés pour défendre les valeurs de la République ?
Par Marie Quenet
« Transparence » et « fermeté », c’est ce qu’a promis le ministre de l’Éducation nationale face aux atteintes à la laïcité à l’école. Les chiffres seront désormais publiés chaque mois. Ceux de septembre sortiront jeudi, mais Pap Ndiaye a déjà donné la tendance : le nombre de signalements relatifs à des tenues islamistes augmente depuis un an. Une note d’un service anti-radicalisation de l’Etat constatait déjà, fin août, « une recrudescence, sur les réseaux sociaux, de messages encourageant le port de signes religieux et la pratique de la prière en milieu scolaire ». Deux ans après l’assassinat du professeur Samuel Paty, exécuté par un terroriste, les enseignants sont-ils toujours autant exposés ?
« Ce ministre devrait afficher un discours beaucoup plus offensif contre l’islamisme politique qui se diffuse de plus en plus parmi les élèves », estime Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur général de l’Éducation nationale. « Les services du ministère ont alerté, dès la fin mai, sur la multiplication des tenues religieuses à l’école », assure un connaisseur. Le 16 septembre, la rue de Grenelle a fini par envoyer une note aux recteurs précisant notamment comment apprécier si des tenues comme les abayas (robes couvrant l’ensemble du corps) ou les qamis (vêtements masculins longs) démontrent une volonté de manifester une appartenance religieuse.
Faire porter la responsabilité au terrain revient à exposer les chefs d’établissement !
Les proviseurs réclament encore une clarification. « Le sujet est très sensible, notamment dans les quartiers difficiles, réagit Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction (SNPDEN-Unsa), qui s’apprête à écrire à Pap Ndiaye. C’est au ministre de dire si l’abaya est une tenue religieuse, sans renvoyer à des interprétations locales. Faire porter la responsabilité au terrain revient à exposer les chefs d’établissement ! »
Des efforts de formation
En deux ans, l’institution a pourtant pris des mesures pour défendre son personnel. En termes de formation tout d’abord. Les futurs enseignants bénéficient désormais de 36 heures de cours dédiés à la laïcité (le volume était auparavant très variable selon les INSPE, les instituts chargés de les former). Depuis cette année, les concours de recrutement comportent aussi un oral de 35 minutes, avec une mise en situation pouvant notamment évaluer leur aptitude à faire partager les valeurs de la République. « C’est une première approche indispensable, se félicite Pierre Chareyron, au nom du réseau des INSPE. Mais il est nécessaire d’y revenir ensuite de façon régulière. »
Les incidents ne sont pas forcément liés à une mauvaise maîtrise de la laïcité
À la rentrée 2021, Jean-Michel Blanquer, le précédent ministre de l’Education, a justement lancé un grand plan de formation pour le personnel déjà en poste. Près de 1 200 agents ont été formés… et chargés de former leurs collègues. Si le dispositif a démarré moins vite que prévu en raison du Covid-19, près de 130 000 professeurs en ont déjà bénéficié. L’objectif est d’en toucher 300 000 de plus cette année. « La mise en œuvre varie beaucoup selon les académies et les départements », regrette Jean-Pierre Obin, chargé au départ de suivre ce plan. D’autres estiment qu’il faudrait prévoir plus de deux demi-journées d’intervention.
La formation ne résoudra pas tout. « Les incidents ne sont pas forcément liés à une mauvaise maîtrise de la laïcité », rappelle Jean-Rémi Girard, le président du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc). Car certains entendent délibérément contester les valeurs de l’école républicaine. Du 1er décembre 2021 au 31 mars 2022, on relevait ainsi 627 incidents (les ports de signes et tenues arrivant déjà en tête).
Des chiffres qui peuvent sembler marginaux rapportés aux 60 000 établissements scolaires et 12 millions d’élèves. Mais ils ne reflètent qu’une partie de la réalité. « C’est du déclaratif, souligne Iannis Roder, membre du Conseil des Sages de la Laïcité et auteur du livre La Jeunesse française, l’école et la République (Éditions de l’Observatoire). Certains établissements peuvent régler les choses en interne et ne pas le signaler. D’autres laisser filer. Cela dépend des situations locales. » Selon un sondage Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès, publié en janvier 2021, plus d’un enseignant sur quatre (27 %) déclare s’autocensurer de temps en temps ou régulièrement.
Plus de protection fonctionnelle
L’assassinat de Samuel Paty a permis malgré tout une prise de conscience. « Tout le monde a bien compris qu’il ne fallait rien mettre sous le tapis. Chaque signalement concernant une atteinte à la laïcité est systématiquement remonté au rectorat », assure-t-on au ministère. Certains ont acquis les bons réflexes. Comme cette professeure du lycée Simone Weil à Paris qui, le 16 septembre, demande à une élève de retirer son voile lors d’une sortie scolaire, se voit menacée par le frère de celle-ci, et prévient la police, qui intercepte le jeune venu en découdre.
Des sanctions tombent aussi : un mois après l’attentat de 2020, un homme de 19 ans était par exemple condamné à 18 mois de prison ferme pour avoir menacé un enseignant de le faire « mourir comme Samuel Paty » (une « blague » selon lui).
La protection fonctionnelle, dont peut bénéficier tout agent public agressé, est désormais accordée plus facilement. Dans l’académie d’Amiens, par exemple, 90 % des demandes ont reçu une réponse positive en 2020-2021 (contre 58 % en 2018-2019). Au niveau national, le nombre d’agents souhaitant en bénéficier est passé de 2 377 en 2020 à 3 558 en 2021 (tous motifs confondus) : 86,6 % l’ont obtenue. L’Autonome de Solidarité laïque, une association qui défend les personnels de l’éducation, souhaiterait malgré tout que cette protection soit automatique et octroyée plus rapidement : « Il faut aussi que les agents soient informés sur ce dispositif car un certain nombre ne savent même pas qu’il existe ! »
Dans chaque rectorat, l’équipe « valeurs de la République » est prête à intervenir. Des professeurs ne se sentent malgré tout pas épaulés. « Quand j’étais sous protection policière, on a voulu me transférer à Argenteuil, une ville qui compte encore plus de salafistes. J’ai dû faire jouer mon droit de retrait ! », raconte Didier Lemaire, professeur de philosophie à Trappes, menacé après avoir dénoncé la montée de l’islamisme dans sa ville. Une prof de SVT, accusée de racisme sur les réseaux sociaux par un parent d’élève, elle, a vite été protégée par la police mais a dû batailler pour être mutée dans une académie qui lui convienne.
Deux écoles privées hors contrat fermées
La communication entre les différents services de l’État avant l’attentat de 2020 a été critiquée. La famille de Samuel Paty a déposé plainte, en avril dernier, contre les ministères de l’Éducation et de l’Intérieur : « Ils connaissaient trois des personnes aujourd’hui mises en examen pour complicité d’assassinat. Mais ils n’ont rien fait des éléments qu’ils avaient, déplore Me Le Roy, leur avocate. J’ai l’intime conviction que l’assassinat aurait pu être évité. » Il aurait fallu, estime-t-elle, mettre l’enseignant sous protection policière ou l’écarter du collège jusqu’aux congés. Au lieu de quoi, le prof s’est parfois fait raccompagner par des collègues. Et transportait un marteau dans son sac, le jour où il a été décapité.
Le ministère de l’Éducation comme celui de l’Intérieur assurent que la coordination s’est améliorée depuis. Selon eux, les cellules départementales de lutte contre l’islamisme, créées en 2019, sont montées en puissance et réunissent, en général une fois par mois, préfet, magistrats, recteur, services des renseignements territoriaux… Mais il reste parfois difficile de savoir qui fait quoi. Et d’obtenir le nombre de saisines du procureur, de plaintes ou de jugements rendus après des atteintes à la laïcité.
La loi confortant le respect des principes de la République, votée en août 2021, plaide pourtant pour une meilleure coopération. Elle permet notamment de fermer plus facilement les écoles privées hors contrat : deux établissements depuis sa promulgation. En 2021-2022, la place Beauvau s’est aussi opposée à l’ouverture de deux écoles privées hors contrat, la rue de Grenelle à 33 (pour différents motifs). L’instruction en famille, elle, est désormais soumise à autorisation préalable : sur 53 000 demandes déposées à la rentrée 2022, environ 5 000 ont essuyé un refus.
Une cellule de contre-discours républicain
Une attention particulière est aussi portée sur les réseaux sociaux, dangereuse caisse de résonnance en cas d’incident. Dans le cas de Samuel Paty, ce sont des vidéos mensongères, diffusées sur la toile, qui ont transformé le professeur en cible. Une unité de contre-discours républicain a vu le jour au lendemain de son assassinat au sein du comité interministériel anti-radicalisation.
Sa mission : assurer une veille sur internet, signaler les contenus illicites à la plateforme Pharos du ministère de l’Intérieur (10 144 pour la période du 1er janvier au 31 août 2022, pas seulement dans le champ éducatif) et rédiger des éléments de langage pour contrer l’offensive. Pour quelles suites ? En 2021, 74,9 % des contenus haineux signalés ont été retirés, 89,2 % des contenus terroristes."
Lire "Laïcité : ce qui a changé à l’école depuis l’assassinat de Samuel Paty".
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