Union des Familles laïques

"Laïcité à l’hôpital public : de l’eau bénite dans les perfusions ?" (C. Arambourou, Ufal, 4 mars 16)

6 mars 2016

"[...] Une fois de plus, l’ODL fait usage d’une conception restreinte voire caricaturale du « prosélytisme », qu’il ne définit jamais concrètement. Les « activités » prosélytes citées consistent à tenter de convaincre quelqu’un d’embrasser une foi (« devoir d’évangélisation », courant chez les chrétiens). Mais le guide omet un prosélytisme muet : la pression communautariste, même implicite et silencieuse, exercée sur les personnes supposées relever d’une catégorie culturelle et/ou religieuse. Nommons l’islamisme militant, sans crainte d’être accusés d’islamophobie.

Par exemple, appeler quelqu’un « ma sœur » ou « mon frère » alors qu’on ne sait même pas s’il est croyant, et de quelle obédience, n’est-ce pas une manière d’enrôler l’autre sous une bannière qu’il n’a pas revendiquée ? Le simple affichage ethnico-religieux ostensible (comportement discriminant à l’égard des femmes, vêtements religieux ostentatoires, etc.), même totalement silencieux, a bien pour objet d’inviter les membres supposés de la « communauté » à adopter de telles attitudes. Mais l’ODL préfère n’y voir que « la liberté de manifester sa religion »…

On s’étonnera quand même qu’en cas de refus d’une patiente d’être examinée par un médecin homme, le guide suggère de « faire appel à l’aumônier de l’établissement » : il ne s’agit pourtant pas d’une prescription religieuse, mais d’une tradition culturelle, ou d’une préférence personnelle ! Et c’est là qu’intervient notre première grosse réserve.

Les (seuls) cultes monothéistes reconnus d’intérêt général à l’hôpital public !

L’ODL renvoie à une « Charte des aumôneries » des établissements hospitaliers de service public : ce texte vaut le détour, comme en témoigne l’extrait suivant :

« Au-delà du rôle de visite au patient qui le demande (…), l’aumônier apporte son concours à l’équipe soignante ; son action ne se fait pas au seul bénéfice du patient qui l’a demandé : sa présence, par la dimension éthique qu’il porte, est enrichissante pour tous. L’aumônier éclaire, le cas échéant, l’équipe médicale et soignante sur les implications que peuvent avoir certaines de leurs décisions au regard des convictions et pratiques religieuses des patients. » (C’est nous qui soulignons).

La « dimension éthique » des religions est ainsi officiellement proclamée d’intérêt général, les dogmes particuliers considérés comme « enrichissant » l’exécution même du service public de santé ! Connaissant les positions de la plupart des religions monothéistes sur l’IVG, ou la fin de vie, on se demande dans quel sens un aumônier pourra « éclairer » dans ces cas l’équipe médicale et soignante…

De surcroît, les aumôneries sont explicitement réservées par la circulaire aux seuls cultes qui en font la demande et qui disposent « d’autorités cultuelles clairement identifiées ». La liste des participants à l’élaboration de la charte montre qu’il s’agit des seuls monothéismes. Décidément, on n’en a toujours pas fini avec la pratique concordataire des « cultes reconnus » (islam compris, cette fois) !

On apprend d’ailleurs que chaque culte présent à l’hôpital doit élaborer un « projet spécifique » (?) définissant la démarche de ses aumôniers, et qu’un « projet de service des aumôneries » (?) est rédigé par chaque établissement : le jargon du management public appliqué aux cultes est ici révélateur !

Comprenons-nous bien : les aumôneries sont autorisées par la loi de 1905, pour permettre la pratique de leur culte aux personnes hospitalisées qui le souhaitent. Mais en aucun cas elles ne sont d’intérêt général (« enrichissantes pour tous ») ! L’exercice d’un culte est strictement l’affaire privée de ses adeptes. La puissance publique, en le « garantissant », veille seulement à ce qu’il ne soit pas entravé : c’est l’impossibilité matérielle ou juridique d’aller pratiquer sa religion à l’extérieur qui justifie les aumôneries dans les lieux fermés (hôpitaux, internats, prisons, casernes).

En revanche, on ne résiste pas au plaisir de citer ce qui constitue rétrospectivement une « perle juridique » de la Charte, qui proclame : si l’aumônier « est bénévole, il est considéré comme un collaborateur occasionnel du service public. » Enorme ! Rappelons, comme Jean-Louis Bianco se plaît à le faire (pour en tirer des conclusions erronées s’agissant des parents accompagnateurs de sorties scolaires), que selon une étude du Conseil d’Etat du 19 décembre 2013, il n’existe pas juridiquement « une catégorie homogène et pertinente de “collaborateurs du service public”. » Alors, illégale, la charte des aumôneries ? C’est bien volontiers (comme « collaborateurs occasionnels ») que nous apportons ici notre contribution aux travaux de l’Observatoire de la Laïcité. Nous ne doutons pas qu’il trouvera les arguments, et au besoin les arguties, permettant de lever la contradiction : il a bien su le faire pour les crèches de Noël !

Neutralité religieuse des bâtiments publics… sauf pour les crèches catholiques de Noël !

L’apposition de crèches de Noël dans les bâtiments publics était sans doute de la plus haute importance, puisque le guide de l’ODL lui consacre un chapitre entier. On est quand même tenté de n’y voir qu’un prétexte pour trancher la question à la place du juge administratif, et au détriment de la laïcité.

L’ODL commence par rappeler (c’est le moins !) que les bâtiments publics doivent rester neutres. L’interdiction d’y apposer des signes religieux est posée depuis 111 ans par l’art. 28 de la loi de 1905. Elle ne peut logiquement que s’appliquer aux crèches de la Nativité, qui constituent pour certains chrétiens (mais pas tous) la représentation rituelle de la naissance du Christ, à l’occasion de fêtes religieuses, de Noël à l’Epiphanie… Or c’est compter sans la casuistique !

Tout l’art consiste à dénier le caractère religieux d’une crèche, en se prononçant « au cas par cas », et en fonction (citons l’ODL) « des circonstances locales de temps et de lieu », de « la récurrence de l’exposition », et de « la présentation publique qui en a éventuellement été faite ». Comme disait Fernand Raynaud : « Ça dépend, si y’a du vent… ». Bref, il suffit (guide, pp. 5 et 6) de rebaptiser « l’apposition [d’un] emblème religieux » (interdite par la loi), en « simple exposition culturelle ou traditionnelle », et le tour est joué ! … Voilà comment l’ODL apporte de l’eau (bénite) au moulin des militants de la « tradition catholique de la France », partisans de l’affichage d’une seule religion dans les bâtiments publics, en violation de la loi ! Les incroyants (49% de la population française), les adeptes de toutes les autres religions possibles et imaginables, sont priés de trouver ça « neutre » !

Or la jurisprudence administrative n’a toujours pas tranché définitivement la question. Dans les trois cas examinés à ce jour, les juges d’appel ont systématiquement contredit les premiers juges, qui eux-mêmes se sont prononcés tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre ! Quand l’un interdisait au nom de la loi, l’autre autorisait au nom de la tradition… en se fondant exactement sur les mêmes éléments. Le Conseil d’Etat finira bien par intervenir en cassation : l’ODL tenterait-il une discrète pression sur le sens de son éventuel arrêt à venir ?

Le Guide peut bien dès lors conclure vertueusement, que « toute présentation religieuse de la crèche traduisant une préférence du service » [pour ce culte]serait « un manquement à l’obligation de neutralité ». L’obscurité de la formulation étant sans doute voulue, nous traduisons : exposez le Petit Jésus, mais dites que ne n’est pas religieux !

Faudra-t-il exorciser de l’Observatoire le démon de l’hypocrisie ? « Tartuffe, sors de ce corps ! »"

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