Revue de presse

"Laïcité à l’école : pourquoi les professeurs ne sont pas toujours soutenus par leur hiérarchie" (lefigaro.fr , 21 oct. 20)

14 décembre 2020

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Des pressions de la part de parents ou d’élèves viennent régulièrement contester leur position.

Par Marie-Estelle Pech et Caroline Beyer

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Samuel Paty a-t-il ou non été soutenu par sa hiérarchie lorsqu’un père d’élève est venu contester son enseignement sur la liberté d’expression ? Dimanche, le rectorat de Versailles a répondu par l’affirmative, en dénonçant diverses allégations sur les réseaux sociaux. Il n’a jamais été question de le sanctionner, martèle l’institution. La principale l’a accompagné du début à la fin dans son dépôt de plainte. Elle avait par ailleurs écrit un courrier aux parents d’élèves : « M. Paty a tout de suite reconnu sa maladresse(d’avoir proposé à des élèves de sortir du cours s’ils pensaient pouvoir être froissés par la caricature de Mahomet, NDLR) et s’en est excusé. » Si cette lettre peut être perçue comme un souci manifeste d’apaiser les tensions grandissantes au fil des jours, certains enseignants considèrent que le rectorat aura donné raison aux parents.

Les professeurs sont-ils parfois jugés trop raides dans leurs convictions laïques par l’institution ? Ancien inspecteur, Jean-Pierre Obin n’hésite pas à parler de « complaisance » vis-à-vis de certains parents. Il a en tête le cas de Marie, proviseur de lycée, « une femme passionnée, aux convictions républicaines chevillées au corps ». Les faits, qu’il raconte dans son récent ouvrage Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, commencent en 2014 lorsqu’elle prend la tête d’un établissement de banlieue défavorisée, comptant une majorité d’élèves d’origine maghrébine.

Des dizaines de lycéennes ont le « droit » d’entrer dans l’établissement avec leur hijab et de le traverser jusqu’aux toilettes pour l’enlever. Des accommodements auxquels elle met fin. Mais une trentaine de jeunes filles continuent de porter le jilbab, une longue robe couvrant le corps. Marie rencontre leurs mères. Beaucoup pleurent dans son bureau. « Elles avaient peur que leurs filles arrêtent leurs études, raconte-t-elle dans le livre. Elles les savaient sous influence islamiste. » Les choses se calment avant que n’entre en scène une représentante locale de la FCPE, fédération de parents marquée à gauche. Une femme voilée et gantée, suivie de près par les services de renseignement. Celle-ci explique à l’inspection académique que Marie, « islamophobe », s’immisce dans la vie des familles.

Convoquée, elle décrit une attitude hostile à son égard de la part des représentants académiques. Le référent laïcité lui explique que la « robe longue » n’est pas une tenue religieuse. La sentence tombe : elle n’a plus le droit d’inviter les familles dans son bureau ! En 2015, deux parents et le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) la mettent encore en cause. Elle a organisé des cérémonies « laïques et républicaines » de remise des diplômes, « discriminantes et illégales », selon eux. Priée d’arrêter et de présenter des excuses, elle obtiendra une mutation en 2016.

Si ces témoignages sont peu fréquents, ils racontent toujours la même chose. Des pressions locales de parents ou d’élèves venant contester la position « trop laïque » selon eux d’un enseignant auprès de sa hiérarchie. Et la consigne de l’institution du « pas de vague ». « Oui, j’ai des positions personnelles laïques », explique Jacques Lavagnère, directeur d’une école primaire du quartier de Stalingrad, à Paris. Un quartier qui, en vingt-cinq ans, a changé de visage. Aujourd’hui, 80% des mères d’élèves sont voilées. Elles sont les premières à se proposer d’accompagner les sorties scolaires. « Les hidjabs, les gants… Cette image que renvoyait l’école ne me convenait pas. Ce n’est pas respectueux des enfants. »

En 2018, pour couper court, il s’appuie sur la circulaire Chatel, qui permet d’interdire aux parents manifestant « par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques », d’accompagner les sorties. Le directeur réunit le conseil d’école, pour inscrire dans le règlement intérieur l’interdiction des signes ostentatoires pendant ces sorties. Sur vingt-quatre personnes, un enseignant et deux mères s’y opposent. L’une est une musulmane remontée. L’autre, « plutôt bobo », y voit une discrimination. Elles mettent sur l’affaire le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), qui fait suivre au Défenseur des droits. Lequel contacte l’académie.

L’affaire atterrit sur le bureau d’un inspecteur. Le directeur est sommé de supprimer l’article. L’inspecteur le menace de prendre la tête du conseil d’école pour le faire. En d’autres termes, en le démettant temporairement de ses fonctions. Le directeur retire l’article. C’est plus aimablement que le directeur académique lui fait comprendre que « cela risque de soulever une polémique qui va les dépasser », que « le Défenseur des droits va ruer dans les brancards », que l’article ne tiendra pas juridiquement. Fin de l’histoire. Mère d’élève aux origines marocaines, Hanane Pernel en est toujours scandalisée. « J’étais d’accord à 200% avec cette mesure, explique-t-elle. Il faut venir dans ce quartier où, le week-end, des petites filles de deux ans vont, entièrement voilées, à la mosquée. »

Il y a deux ans, Jérôme assure, lui aussi, avoir été victime du « pas de vague ». Professeur des écoles en CM2 dans une ville du nord de la France, il s’alarme lorsqu’il constate que cinq élèves de sa classe ne travaillent pas, ne rendent aucun devoir. Après les avoir interrogés, il constate qu’ils passent toutes leurs soirées dans une mosquée radicale à « étudier le Coran par cœur », l’un d’eux avait même remporté « un concours de sourates ».

En conseil d’école, soutenu par un de ses collègues, il soulève un « conflit de loyauté » concernant ces élèves. « Très vite, les parents ont mené une cabale contre moi, m’accusant de racisme. Ils ont manifesté pour que je parte. » Convoqué à la direction académique, il est déplacé dans une autre école : « On m’a accusé d’un mot malheureux à l’égard d’un de ces élèves, très turbulent. Il devait être opéré des amygdales. Agacé par son comportement, j’avais indiqué qu’il devrait plutôt être opéré du cerveau. J’ai payé pour l’ensemble. »

En 2015, après l’attentat contre Charlie Hebdo, un professeur d’arts plastiques de Mulhouse, avait également montré à ses élèves de quatrième des caricatures du prophète Mahomet. Les parents s’étaient révoltés. L’homme avait dans un premier temps été suspendu, avant d’être réintégré, grâce aux soutiens de ses collègues qui menaçaient de manifester. Sa hiérarchie lui reprochait l’utilisation « sans discernement » des caricatures. Face à la gêne d’un élève, le professeur aurait réagi de façon agressive : « Je suis le chef de mon cours, c’est moi le maître ici… Tu peux sortir ta kalachnikov ! » Pour le recteur, son attitude était « non maîtrisée et violente ».

« S’il est évidemment nécessaire de défendre la laïcité, il ne s’agit pas non plus de braquer les familles jusqu’à un point de non-retour. Il nous faut trouver un équilibre », note Sophie, directrice d’école dans l’Essonne. Même appréciation de la part de cet inspecteur pédagogique régional. « Certains professeurs prennent vite la mouche quand il est question de religion. Ils peuvent manquer de tact et d’à-propos. Et avoir eux-mêmes leurs propres idées reçues concernant les croyances religieuses. Si la majorité des professeurs s’en sortent très bien sur ces questions, ce ne sont pas tous des saints, ils peuvent faire des erreurs », explique-t-il,avant d’expliquer qu’il ne lui est jamais arrivé d’aller jusqu’à la sanction concernant ces affaires d’atteinte à la laïcité.

Pour Thierry, professeur de sciences de la vie et de la terre dans un collège parisien défavorisé, l’idée même du « pas de vague » est exagérée par les enseignants, même s’il existe « une forme de culture du secret »de la part de l’institution. « D’une certaine façon, parler des problèmes peut nuire à l’image du collège. Certains préfèrent donc se taire », explique-t-il. Sophie reconnaît « que certains vieux inspecteurs peuvent encore être trop verticaux et infantilisants dans leurs appréciations. J’ai déjà entendu, dans le passé, qu’il fallait faire le moins de remous possible mais c’est une question de personne à vrai dire, plus qu’un problème institutionnel », estime-t-elle. Elle-même a déjà dû appeler plusieurs fois la cellule laïcité de son rectorat : « Jamais pour sanctionner l’enseignant comme on l’entend trop souvent ces jours-ci. Mais pour dénouer des tensions, trouver une solution, une médiation. »"

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