par Roger Bordier 15 avril 2008
C’est l’un de nos grands classiques évidemment, mais il est difficile de ne pas s’en tenir à cette fameuse loi de 1905 [1], de plus en plus menacée maintenant, tantôt de façon directe, brutale, tantôt selon les détours d’une phraséologie plus ou moins tortueuse. Ce n’est pas seulement en son nom propre, mais en celui du gouvernement bien entendu que Mme Alliot-Marie a parlé, et plutôt bizarrement à propos de cette loi, d’aménagements techniques [2]. Tiens ! Tiens ! Il y aurait là de quoi susciter quelque querelle sémantique, mais laissons ces exigences de côté et interrogeons-nous sur le projet.
Aménagements techniques ? Cette expression sibylline, l’on ne sait trop comment accolée à son sujet avec l’adjectif « technique », réclame à tout le moins des éclaircissements et plus d’une précision. De quelle sorte d’aménagement s’agit-il par rapport aux texte initial ? Quel est le support – moral, matériel, civique, spirituel – de cette « technique » ? Il faut le faire savoir, et vite. Nous avons le droit d’être impatients puisque, plus ou moins récemment encore, nous avons été dupés.
Les contorsions de langage ne sont pas une nouveauté en ce domaine, en d’autres non plus il est vrai, et c’est bien pourquoi nous devons inlassablement rappeler l’article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »
La simplicité, la brièveté même disent ici toute la valeur d’une pensée et, paradoxalement peut-être, c’est là qu’il faut se montrer le plus attentif. Il m’est arrivé plus d’une fois de noter, et je ne suis sûrement pas le seul dans ce cas, que beaucoup, chez les partisans de la laïcité, s’arrêtent aux deux derniers verbes, comme si le ressort de la compréhension était avant tout de nature financière. Comme si, en quelque sorte, le premier terme n’avait qu’une valeur indicative afin de permettre aux deux autres de se charger d’un sens actif. Mais non. La preuve ? Monsieur le maire de Paris a lui-même transgressé la loi en inaugurant une place au nom de Jean-Paul II puisque ce geste consistait à « reconnaître », à travers un individu, un culte. Comment seraient-ils dissociables alors qu’ils expriment ensemble, confondus, une incarnation divine, celle qui logiquement justifie le rôle même du pape ?
Toute distinction officielle en notre pays s’adresse à ceux qui, Français ou étrangers peu importe, sont d’après les textes considérés comme ayant bien mérité de la République. C’est d’ailleurs ce qui incita l’A. E. A. R. (Association des écrivains et artistes révolutionnaires) à écrire à M. Delanoë pour lui demander que soit réinscrit sur une plaque de rue, boulevard ou place, le nom de Robespierre chassé de la capitale en 1950. L’Hôtel de Ville fit tenir à l’Association une fin de non-recevoir, très sèche et naïvement inspirée de ces contre-vérités historiques depuis longtemps dénoncées, cependant, par les meilleurs spécialistes de la Révolution. L’A.E.A.R. posa alors et pose à nouveau, en souhaitant que le relais soit pris en divers lieux, la question suivante : si un maire socialiste de Paris estime qu’un pape réactionnaire a bien mérité de la République, en quoi Robespierre en aurait-il démérité ? [3]
L’exemple que nous venons de citer , et qui n’a pas fini de faire scandale, avait eu un précédent auquel, peut-être, et tout en protestant, l’on ne prit pas assez garde : lors d’une cérémonie officielle, le président Chirac accomplit ostensiblement une génuflexion devant l’archevêque de Paris. Là encore s’impose la signification profonde de cet imparable « reconnaître ». Car, comme pour le pape, c’est la rencontre indissoluble de l’être humain et de l’essence divine qui caractérise ce notable d’église. C’est donc bien devant le divin que s’inclina de la sorte le président d’une république constitutionnellement laïque, et non devant une fonction.
Pas de faux-fuyant. Certains rites ont trop de force, en disent trop pour être réduits à une figure conventionnelle. Il n’est pas nécessaire de s’être imprégné d’une longue philosophie pour ressentir au moins cette inquiétude : tout homme qui volontairement s’abaisse devant un autre homme ne risque-t-il pas d’abaisser en lui l’homme ? Là aussi, la loi était donc nettement transgressée par un mandataire du peuple, à ce titre gardien des lois... Bref, il s’agissait bien d’un signe religieux assimilable dans sa forme à tout autre , quel qu’en soit le genre, de la croix arborée une fois par une présentatrice de la télévision publique au foulard-soumission et ainsi de suite.
Oh ! je sais, on va encore , du côté des gens bien équilibrés, hurler au laïcard. Eh bien, soit. Et si nous tentions de nous emparer d’un certain vocabulaire pour le diriger, imitant en cela des aînés que nous admirons, vers nos propres perspectives ?
Il y eut en ce sens des initiatives fort intéressantes, Ainsi, en 1871, le mot communard était une injure que la bourgeoisie bien-pensante, affolée et rageuse, lançait en direction de ceux qui, malicieusement, adroitement, le reprirent à leur compte et en inversèrent l’effet, alors qu’ils s’appelaient couramment entre eux « communalistes ». Or, du moins pour les citoyens qui pensent d’une certaine manière, communard conserve toujours une tournure élogieuse, fièrement revendiquée. Affectueusement aussi. Et si nous nous disions laïcards ?
Pourquoi pas ?
Ce serait rester dans la note : on a peut-être un peu trop oublié que , dans ses décrets, la Commune mentionnait énergiquement ce qui fut repris sous Jules Ferry et avait été conçu fin 1792 (et déjà en ces termes) par Michel le Peletier de Saint-Fargeau : la création d’une école primaire gratuite, laïque et obligatoire pour tous, ouverte aux garçons et aux filles.
Pour en revenir à 1905, le comble est aussi que, de notre côté, nous pourrions trouver à redire au sujet de certaines dispositions (trop précautionneuses et d’un certain point de vue relativement laïques) inscrites en cette loi. Nous le ferons pas. Telle quelle, et spécialement dans les conditions politiques actuelles, désastreuses à bien des égards, la loi pour l’essentiel nous convient. Mais alors tout entière et sans qu’il soit possible d’en effacer une virgule. Pour paraphraser un alerte et bien sympathique avertissement qui fit un temps fureur, nous nous exclamerons : Touche pas à ma loi.
Et allons-y pour laïcards.
On a remarqué (par exemple pour les artistes avec impressionnisme ou cubisme) que ce sont souvent les ennemis qui trouvent – bêtement ou non ? – le nom qui en général désigne le mieux ce qu’il vise. Peut-être pourrions-nous en profiter. Ce serait renvoyer à certains une politesse qu’ils nous jettent volontiers du haut de leur impolitesse. Ou pire : de leur mépris hargneux, rancunier et moqueur. Rendez-vous compte, nous disent ces censeurs avertis : 1905, la laïcité, le laïcisme, c’est loin tout cela, c’est usé. Puis vient le mot décisif, celui avec lequel l’on ne cesse de nous rebattre les oreilles : archaïque.
Vraiment ?
Alors, voyons cela, et mettons les choses bien au point. Invoquer la laïcité dans sa rigueur normale serait archaïque, mais remonter aux temps de l’école sans Dieu en affirmant la supériorité du prêtre sur l’instituteur ne le serait pas [4].
Une telle sortie, à ce point inadmissible, véritable déclaration de guerre qui sans doute en annonce d’autres, semblait elle-même conçue pour appeler une réponse aussi musclée : après tout, il y aurait eu de quoi faire descendre dans la rue les potes laïcards.
Roger Bordier
[1] Les liens dans ce texte sont établis par le CLR (note du CLR).
[2] Lire article 266, “Nicolas Sarkozy envisage des "aménagements techniques" de la loi de 1905” (AFP, 9 jan. 08), J.-M. Quillardet (Grand Orient) : « Une laïcité “positive” ? Elle n’a pas besoin d’adjectif » (Nouvelle vie ouvrière, 15 fév. 08) (note du CLR).
[3] Lire Etats généraux de la laïcité (9 déc. 2006) : intervention de Philippe Foussier (note du CLR).
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